Le Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste 5
Version de 1577 de Loys lazarel
Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste, de Loys lazarel
Chapitre XI.
Toutes ces choses doncques estant telles, convient dire et conclure, qu’il n’y a rien stable, aresté, ny
immobile, tant en ce qui prend naissance en ce monde, que en toutes autres choses celestes, et
terriennes. Car Dieu seul, et iustement seul, est totallement plein et parfaict en soy, de soy, et à
l’entour de soy. Et de luy mesme proviêt sa ferme stabilité, sans pourvoir estre meu de son lieu, par
impulsion et contrincte d’autruy, atendu qu’en luy seul sont toutes choses, et qu’il est luy seul en
toutes. Si quelqu’un ne vousist dire, sa motion estre en eternité. Mais plustost doit on dire, ceste
eternité estre immobile,
Le Monde qui n’est jamais né.
en laquelle recoulle l’agitation et mouvement de tous temps, et de laquelle ilz penent leur source et
origine. Dieu doncques a esté, est, et sera à tousiours stable, ayant tousiours quant et soy eternité, et
le monde, qui n’a point esté né (lequel droictement nous appellons intelligible) dedâs soy. Dont
vient que ce monde, comme estant l’image de Dieu, est fait imitateur d’eternité. Mais le temps
encores que il se mouve sans cesse, ce nonobstant il obtient la force et nature de sa fermeté, par la
mesme necessité de retourner en soy. Parquoy iaçoit que eternité, soit stable, immobile, et fixe, ce
neantmoins à cause que le temps est mobile, son mouvement aussi se replye tousiours en eternité,
qui est la cause que ceste mobilité se tourne et se faict au moyen du temps : tellement qu’il semble
que eternité, laquelle est seule immobile, soit meuë par le temps, auquel est et consiste icelle
agitation, et tout autre mouvement. Qui faict à presupposer que la fermeté d’eternité soit meuë et
agitée, et la stable mobilité du temps se face par la fixe loy, de courir et tourner incessamment. En
ceste sorte peut on croyre pareillement, que Dieu se meult en soy mesme par semblable immobilité.
Car l’agitation immobile de sa fermeté, gist en sa haultesse : au moyen que telle agitation est
l’immobile loy de sa maiesté. Parquoy ce qui est tel, qu’il ne puisse
L’éternité sans limitation.
estre submis à noz sens, est totallement infiny, incôprehensible, inestimable, et ne peut estre
soustenu, ne porté, ny encerché par humain esprit. Car il est incertain dont il est, ou il va, ou il est,
ou quel, ou comment il est. Au moyen qu’il est porté en une supreme et souveraine fermeté ayant
mesme en soy cest fermeté, ou que soit Dieu, ou eternité, ou l’un ou l’autre, ou que l’un soit en
l’autre, ou l’autre en soy mesme. Qui est cause que eternité, est sans limitation, ou diffinition de
temps. Mais le temps à l’occasion qu’il peut estre expliqué et determiné par nombre, ou par
changement et variation, ou par ce qu’il retourne par le circuit et cours d’autruy, il est aussi eternel.
Il semble doncques par ce poinct que l’un et l’autre (à sçavoir temps et fermeté) est eternel et infiny.
Car fermeté côme estant fixe, à fin qu’elle peusse soubtenir les choses motibles, obtient à bon droict
à cause de sa stabilité, la principauté et préeminence. Car Dieu et eternité, est le commencement de
toutes choses. Mais le monde, d’autant qu’il est mobile, n’a nulle principaulté, n’y eminence. Car sa
mobilité previent sa fermeté, contre la loy d’eternelle agitation ayant immobile fermeté. Pour autant
doncques que le sens de divinité, est entierement immobile, il se meult soy mesme, en sa propre et
naturelle fermeté. Lequel certes, est sainct, incontaminé, impollus sans
L’intelligence du sens humain.
corruption, et eternel, et tout ce que l’on pourroit plus excellentement dire, ou penser. C’est
pareillement une eternité, consistant en la volonté du hault et souverain Dieu, tres plein, tres parfaict
et accomply en toutes choses sensibles, et de toute discipline, consistant (par maniere de dire) en
Dieu. Quant au sens du monde, il est receptacle de toutes choses sensibles, especes, et disciplines.
Mais l’humain, consiste en la force retentive de la memoire, pour autant que l’homme a
souvenance, de tout ce qu’il a faict. Car celuy de Dieu, s’abessant de sa hautesse et maiesté,
parvient iusques à cest animal seulemêt qui est l’homme, et se mesle avecques luy sur toutes autres
creatures. Car Dieu aussi n’a voulu, que ce souverain sens de divinité fust meslé avecques toutes
choses qu’il a crées, de peur que il ne dedaignast la mixtion avecques tous autres animaulx.
L’intelligence doncques du sens humain, de quelle qualité ou quantité qu’elle soit gist totallement
en la memoire et recordation du passé. De maniere que l’homme au moyen de ceste vertu retentive
de memoire, à esté faict et ordonné gouverneur sur toute la terre. Or quant à l’intelligêce de la
nature, qualité et sens du monde, elle se peult evidemment apercevoir par tout ce qui est sensible en
iceluy. Le sens aussi qui a esté donné à eternité (laquelle est seconde apres Dieu) et sa qualité
mesme, se
L’intelligence de Dieu.
cognoist par le monde sensible. Mais l’intelligence de la qualité, et la qualité mesme du sens du
souverain Dieu de nature, est la seule verité. De laquelle verité, on n’en cognoist rien en ce monde,
ny l’ombre mesme, de la derniere ligne, qu’elle ayt. Car ou l’on en pense bien co-cognoistre
quelque chose, par le compassement des temps, c’est adonc ou gist tout mensonge. Et ou il y a
generation, la voit on tout erreur, tromperie, deception, et forvoyement d’esprit avoir lieu. Voy
doncques Asclepe, de quoy nous nous osons entremettre de traiter. Parquoy, mô souverain Dieu, ie
te rends graces, de ce qu’il t’a pleu m’illuminer de ta clerté et lumiere, à fin de pouvoir voir et
entendre ta divinité, maiesté, et hautesse. Au reste, ie vous supplie affectueusement vous Tatius,
Asclepe, et Ammond de tenir secret et cacher dedans le profond de vostre cueur, ces divins
mysteres, que ie vous declare. Il fault aussi que vous entendiez qu’il y a entre sens et intelligence
telle difference, que nostre intelligence previent l’intention de l’entendement, pour entendre et
cognoistre la qualité du sens du monde. Mais l’intelligence du monde, vient iusques à avoir la
cognoissance d’eternité et des dieux quis son sur luy. Et ainsi advient qu’entre nous hommes voyons
ce qui est au ciel (entant qu’il nous est loysible et permis, par la condition et nature du sens humain)
quasi comme par quelque obscurité et esblouyssement d’yeux. Car ceste nostre estanduë et
intention, est par trop estroite et debile, pour parvenir à la contemplation de tant et si grandz biens.
Au contraire sors large et ample, moyennant qu’elle les contemple par bonne, et entiere conscience.
L’argument du douziesme chapitre.
Le douziesme declare, n’estre rien vuyde en toutes les choses de ce monde. Semblablement que les
diables font demeure icy avecques nous à l’entour de la terre : mais à cause de leur trop grand
subtilité sont à nous imperceptibles. Que les demydieux pàreillement que l’on appelle en langue
Latine Heroes et en la nostre Barons, c’est-à-dire hommes ayans quelque chose de vertu, plus que de
l’hôme, font leur seiour en la pure partie de l’air. Il dit en apres que le seul nom de lieu, sans autre
adionction est une chose vaine et de nulle importance, pour autant, qu’il appartient à quelque chose,
sans l’intelligence de laquelle ne peult on entendre, que se puisse ostre au vray : mais qu’il s’adapte
à tout ce que le monde sensible, avecques tout ce qu’il contient, est recouvert et revestu de
l’intelligible, comme de quelque vestement, pource qu’il est en luy contenu : il met pareillement la
difference qu’il y a entre les formes d’un chacun genre uniforme, c’est-à-dire, de mesme forme et
espece, si comme est le genre des hommes. Mais quant à nous qui sommes chrestiens, entendans la
pure et entiere verité des choses, nous ignorons ce Dieu là, et le delaissons à la golie des Gentilz, si
toutesfois aucuns y en a, qui soient encores detenuz de telles resveries, et radotent en chose si
manifeste. Car (ainsi que tesmoigne saint Paul) il n’est qu’un seul Dieu, pere et createur, dont toutes
choses procedent, et nous en luy: et un seul seigneur Iesus Christ, par lequel ont esté faites toutes
choses et nous par luy. Il met les especes et formes, qu’il appelle Idées (desquelles Platon, et tous
les Platonistes ont tant escrit) comme immuables, et invariables, en ce Dieu qu’il appelle
Pantamorphon, c’est-à-dire, ayant toutes formes et idées. Desquelles à toutes heures et momens, il
forme une chacune chose d’une mesme espece, diversement toutesfois. Quant à toutes autres
choses, il dit qu’elles sont muables, comme le monde, le ciel, et la terre. Au surplus ie laisse à
chaucun à estimer ce que bon luy semblera, du Pantamorphon de Mercure, et de l’idée de Platon, et
les mettre, si bon luy semble, entre choses fabuleuses, sainctes et controuvées à la poste des
hommes.
Chapitre XII
Diversité de tous les corps de ce Monde.
Or touchant ce que l’on dit estre vuyde, ce que aussi trouble maintes personnes, et leur semble estre
quelque grand cas mon advis est tel, ne se pouvoir faire, qu’il y ayt, ou ay testé, ou soit à l’advenir,
chose telle, c’est-à-dire, qui soit vuyde. Et ce à raison qu’il n’y a rien, qui ne soit membre du monde,
tres parfaict et consommé. Car autrement le monde ne seroit parfaict ny accomply en corps,
diversifiez de forme et qualité, comme nous voyons estre vray et un chacun d’eulx avoir son espece
et grandeur. Entre lesquelz l’un est plus grand ou moindre que l’autre, en diversité neantmoins de
vertu, ou bien de foyblesse et tenureté. Dont les pluz fortz et plus grandz, se voyent facilement,
mais ceux qui sont plus minces et deliez, à grand’ dificulté, ou totallement ne les voyt on. Lesquelz
par atouchement tant seulement les cognoistrons estre, et non autrement. Dont advient, que
plusieurs croyêt cela ne pouvoir estre corps ains quelques lieux vagues, ce que neantmoins est
impossible. Car tout ainsi que ce que l’on dit estre vuyde, est hors le monde (si toutesfois cela peut
estre quelque chose, car au regard de moy, ie n’y adiouste aucune foy) aussi pareillement est il dit,
estre remply par le monde des choses intelligibles, c’est-à-dire, des choses
La résidence des diables.
accordantes à sa divinité, ne plus ne moins que celuy monde que nous appellons sensible, lequel est
tes plain de corps et animaulx, sortables à sa nature, et qualité. Desquelz, n’en voyons pas toutes les
formes et figures, ainçois voyôs nous les unes grandes oultre mesure, les autres tres briesves. Ce
que certes se faict, ou pour raison de la longue distance et interposition des lieux ou par ce que nous
avons la veuë esblouye, ou pour leur trop grande petitesse et minceté : tellement que quelques uns
se deffient que cela puisse estre. Ce que i’entends dire des diables, lesquelz il cuyde habiter, et faire
leur demeure ensemble avecques nous. Semblablement des hommes ayâs quelque chose de ertu plus
que de l’homme, lesquelz ie croy pareillement faire residence par-dessus nous entre la tres pure
partie de l’air, et de la terre, ou n’ôt lieu brouée ny brouillard, ny neuës, ny ne si faict commotion
par quelque mouvement de signes. Parquoy o Asclepe, ie te prye ne dire n’y estimer, se pouvoir
faire, que quelque chose puisse estre vuyde, si tu ne veux dire celà l’estre, lequel ne contient rien,
comme nous disons cecy ou celà estre vuyde de feu, d’eau, ou de telles choses semblables. Ce que
s’il advient, sçavoir est, qu’ilsoit vuyde de telles choses, si est ce toutesfois qu’il ne le peult estre
d’air, ou de quelque vertu divine : ou que cela qu’on estime
Le lieu qui ne peut pas être connu.
ainsi estre vuyde, soit petit ou soit grand. Or en peult on autant dire de lieu, lequel nom entre toutes
choses, ne peult estre facilement entendu, ny cogneu : Mais seulement l’entêd on, par celà à quoy
on l’applique, et le fait on convenir. Car le principal nom osté, se couppe pareillement et se mutille
sa signification et importance. D’où vient que communément nous dison le lieu de l’eau, le lieu du
feu, ou de telles choses semblables. Car tout ainsi qu’il est impossible, que quelque chose puisse
estre vuyde : au cas pareil est il impossible de pouvoir entendre et sçvaoir que c’est que lieu seul.
Car si tu metz lieu, sans ce à quoy il appartient, il semblera estre vuyde, que ie ne peux croyre
toutesfois estre et se trouver au monde. Si donc ainsi est qu’il n’y ayt rien qui soit vuyde, aussi
pareillement ne sçavroit on cognoistre que ce peult estre que lieu à part soy, sans l’adionction de
quelque autre chose, ou de longueur, ou de largeur, ou de haulteur, ainsi que quelque signe au corps
des hommes, pour les sçavoir distinguer, et cognoistre les uns des autres. Toutes ces choses
doncques estans telles, o Asclpe, et vous qui estes icy presens, sçachez tous, que le monde
intelligible, et Dieu (lequel seulement se cognoist par le regard de l’entendement) est incorporel, et
que nulle chose corporelle, ne se peult mesler avecques sa nature,
Tout vient et procède de Dieu.
Voire qui se puisse cognoistre, par qualité ou quantité, ou nombre : car en luy tien tel ne côsiste, ny
ne peut eschoir. Ce monde doncques qu’on appelle sensible, est receptacle de toutes especes et
formes sensibles, qualitez et corps. Lesquelles toutes choses ne peuvent avoir force ne vigueur sans
le tres hault et tres puissant Dieu. Au moyen qu’il est tout, et que de luy tout provient, et que par sa
simple volonté tout est et consiste. Ce que certes n’est autre chose, que toute bonté, toute
convenance, toute prudêce, toute chose qui ne reçoit imitatiô : mais laquelle est à luy seul sensible,
et intelligible. Sâs laquelle il n’y eust iamais rien, ny n’est de present, ny ne sera à l’avenir : par ce
que tout vient del uy et consiste en luy, et par luy soyent les qualitez de tant diverses sortes, soyent
les grandes quantitez et magnitudes, lesquelles excedent toute mesure : ensemble les especes
uniformes. Lesquelles toutes choses o Asclepe, si tu entendoys comme il appartient, aussi
pareillement remercyrois-tu leur autheur de toues tes forces et vertuz, et luy rendroys graces de nous
avoir faict participans de tant et si excellens biens. Si tu prenoys bien garde semblablemêt, et
diligemmment consideroys le tout et par tout : tu apprendroys aussi par vive raison, ce monde
sensible avecques tout ce qui est en luy comprins, estre contenu du monde superieur, quasi tous
Que tous les hommes sont dissemblables.
côme d’un vestement. Car tout le genre de tous animaux o Asclepe, de quelque qualité qu’il soit
mortel ou immortel, raisonnable ou irraisonnable, ayant ame ou n’en ayant point, selon qu’un
chacun a son genre, chacun aussi pareillement possede l’image et forme d’iceluy gêre. Et combien
toutesfois qu’un chacun animal obtienne ainsi la vraye et entiere forme de son gêre, si est ce qu’un
chacun à part, est dissêblable en icelle mesme forme.Ainsi que l’on voyt celuy des hômes, lequel
ores qu’il soit d’une mesme forme à fin qu’il puisse estre cogneu par son vouloir et affectiô, si estce
neâtmoins qu’un chacun à part soy, est en une et mesme forme different de l’autre. Car l’espece,
qui est divine, est incorporelle, ensemble tous ce qui se comprend par l’entendement. Veu donc que
ces deux cy, dont la forme et le corps consistent, sont incorporelz, il est impossible qu’une chacune
forme puisse naistre du tout semblable à l’autre, obstant les poinctz, minutes, espaces, articles, et
distances, tant des heures, comme des climatz, païs, et regiôs, ou l’on habite, si differentes, et
loingtaines les unes des autres. D’où vient que lesdictes formes, et conditions de tous animaulx, se
changent autant de foys, et aussi souvent, qu’une heure a de minutes du cercle circôcurrent, auquel
est et preside ce Dieu omniforme duquel avons traité cy dessus. L’espece d’oncq’ est
Que toutes choses sont muables.
permanente sans variation, autât de fois engendrant de soy, si grandes et si diverses images, et
impressions, que le changement et revolution du monde a de momentz. Lequel monde certes
encores qu’il se muë en sa revolution, si est-ce que l’espece, ne se muë, ny ne se change iamais. Par
mesme moyen aussi, les formes d’un chacun genre, sont permanentes, à soy neantmoins en une et
mesme forme et espece dissemblables.
ASCLEPIUS : Le monde doncques à ce point, muë et change son espece, Trismegiste ?
TRISMEGISTE : Ne voys-tu pas Asclepe, par ce que tu inseres, que i’ay autant gaigné à te dire ce
que ie t’ay dit, comme si ie l’eusse recité à un homme endormy ? Qu’estimes-tu que ce soit du
monde ou de quoy il consiste, sinon de toutes choses nées ? Tu veux doncques dire ce que tu dis du
ciel, de la terre, et des autres elemens, comme ie pense. Car de faict toutes ces choses souvent
changent leur espece. Nous voyons par evidente experience, que le ciel est maintenant humide,
maintenant sec, tantost froit, tantost chault, maintenant cler, maintenant trouble en une et mesme
sienne partie. Ce sont ces especes cy Asclepe, qui sont alternatives, estans puis d’une sorte, puis
d’autre. Et qauant à la terre, elle a tousiours plusieurs et diverses mutations de son espece, ou en
produisant les fruictz, ou en les nourrissant : ou quand elles faict variable, et diverses qualitez, et
quantitez, stations et discours en toutes sortes d’arbres, fleurs, odeurs, saveurs et menuz fruictz,
comme lauriers, cormiers, allisiers, et semblables. Le feu pareillement faict plusieurs et divers
changemens. Car les images du Soleil et de la Lune se font en plusieurs sortes et manieres.
Lesquelles aussi sont presque semblables à celles de noz mirouers, rendans telles semblances
d’images, que la lueur du Soleil. Mais il sufist avoir iusques à present traité de telles choses.
L’argument du tresiesme chapitre.
Ce tresiesme est infectionné de pareille souilleure, que le neuviesme, auquel Mercure dit l’homme
estre tres divin, et tres admirable, en ce qu’il a trouvé idolatrie, et inventé la maniere d’invoquer les
diables, et les enfermer es statue et simulachres, et de leur faire sacrifices, et oblations. En quoy
certes au contraire est l’homme meschant, et prophane, pour adorer les creatures. Il mentionne aussi
d’Esculape, du grand Mercure son oncle, D’isis et Osiris, lesquelz des Egyptiens estoient lors
adorez : ensemble des bestes, qu’ilz appeloient divines, aux quelles aussi faisoient divins honneurs
et reverences. Pareillement des herbes, pierres, odeurs,
Le commencement de tout idolâtrie.
Chantz, et accordz, dont ilz souloient capter la faveur des malings espritz, qui estoient dedans ces
idoles, statues, et images, Ce que en encores quelque Phitonistes (o siecle maheureux) ont
accoustumé faire, lesquelz pensent avoir des espritz familiers enclos dedans des anneaux, ou autres
veisseaux. Qui est une maniere de gens, tres impudentz, meschantz, niniques et ennemys de Dieu et
des hommes. Contre lequel malheureux erreur d’infidelité, escrit à bon droict sainct Augustin, en
son livre de la cité de Dieu, et les convaincq’ de droicte verité et comme gens detestables, pleins
d’horreur et abomination, les reiette.
Chapitre XIII.
Retournons encores, à parler de l’homme, et de raison dont il participe, qui est un don divin, au
moyen duquel est apellé sur toutes autres creatures, le raisonnable animal. Or combien que ce que
avons dit de luy au dessus soit admirable, si ne l’est il point tant en cela, que en ce qu’il a trouvé, et
inventé nature divine, et le moyen de la mettre en oeuvre. Car en cela, il surmonte l’admiration, et
merveille, de toutes choses admirables. Attendu doncques que noz ancestres erroient grandement,
en la foy d’un Dieu,
Invocation des diables.
et ne prenoient esgard à l’adoration, honneur, et reverence qui luy est deuë, ilz ont inventé l’art à
faire nouveaux dieux. A’ laquelle invention, ont adiousté force et vertu convenable, de la nature du
monde, et l’ont meslée ensemble avecques la divine. Et à l’ocasion qu’ilz ne leur pouvoiêt faire
ame, ont côtrainct celles des diables, ou des Anges de venir paler à eux et les ont enfermées dedans
les sainctes images et divins mysteres, à celle fin, que par elles seules les idoles peussent avoir force
et vertu de bien ou mal faire. Car ton ayeul , o Asclepe, premier inventeur de medecine, au nom
duquel y a un temple côsacré sur le mon de Lybie, iouxte le rivage du fleuve des Crocodyles, auquel
gist et repose son homme mondain c’est-à-dire son corps (car l’autre ou l’homme entierement, se
c’est mieux iuger, l’homme total consiste au sens de la vie, est retourné au ciel) donne aussi tost
maintenant ayde aux malades par sa divinité, qu’il fouloit adonc qu’il vivoit par l’art de medecine.
Hermes pareillement duquel ie retiens le nom que ie porte, venant de noz predecesseurs, n’est il pas
ainsi qu’à l’invocation de son surnom paternel il ayde, garde, et survient à toutes gens, qui de toutes
parts viennent à luy pour recevoir guerison ? Isis semblablement femme d’Osyris, ignorons nous
quants biens et faveurs, a coustume de donner
Les bêtes que les Égyptiens adoraient.
aux hommes, pourveu qu’elle ne soit irritée ? Au contraire en quantes manieres, leur nuyst et les
endommage, quand elle est despitée ? Car de faict aussi il est aide aux mondains et terrestres dieux
de se courroucer, pour autât qu’ilz sont faictz et composez des hommes, et hors nature. D’où viêt
qu’ilz sont appelez dez Egyptiês, sainctz animaulx, et qu’iceux adorent par toutes leurs citez les
ames, de ceux qui ont esté dediez à ce faire, pendant qu’ilz vivoient. Tellement qu’ilz sont honnorez
et reverez de leurs mesmes loix, et nommez de leurs mesmes noms. Ce qui ne se faict pour autre
raison à Asclepe, sinon que ce qui semble que les uns deussent adorer et reverer, envers les autres se
faict autrement. Qui est la cause que les villes et citez d’Egypte, ont coustume se irriter et provoquer
les unes les atures par mutuelles guerres.
ASCLEPIUS : Et de ces dieux terriens, qu’elle est leur qualité, Trismegiste.
TRISMEGISTE : Elle consiste d’herbes, Asclepe, de pierres, d’odeurs, senteurs, et parfuntz, ayans
en eux vertu naturelle de divinité. Dont vient qu’ilz se delectent de continuelz sacrifices, d’hymnes
pareillement et louanges, avecques doux sons resonans à la façon de l’harmonie celeste. A’ fin que
ce qui est celeste attraictes idoles, par usage et frequentation celeste, peust durer longuement
ioyeux, et endure d’humanité.
Et par ainsi l’homme est inventeur des dieux. N’estimes pas neantmoins o Asclepe, que les effectz
de ces dieux terriens, soient casuelz( ?). Les dieux celestes, font leur seiour lassus es cieux, un
chacun d’eux acomplissant et contregardant tousiours son ordre. Mais ceux cy, qui avecques nous
resident, ont garde chacun à part de quelque chose, en predisant maintenant ce qu’il doit advenir par
sort et devination, tantost en pourvoyant à quelques autres choses, et leur aydant et secourant selon
leur pouvoir : et ainsi par une doulce alliance, et amyable affinité, aydent, entretiennent, et
conservent les choses humaines.
L’argument du quatorziesme chapitre.
En ce chapitre, Mercure traicte des fatalles destinées, lesquelles il appelle Imarmenis, necessité, et
ordre. Les uns leur donnent autres noms, et les momment, Clotho, Lachesis, Atropos. En quoy n’ont
moins resvé les Ethniques, qu’en leurs autres dieux, qu’ilz ont inventéz, les faignant faire ces
grandes merveilles, desquelles sont farciz tous leurs livres. Mercure toutesfois en parle sobrement et
soubz couvertes parolles, et quasi à deuz ententes, comme si ces trois cy estoient la prefinition ou
predestination de l’entendement divin, que necessité des choses fuyt, à fin qu’elles soient :
lesquelles
Fatale destinée.
finablement estans, sont par ordre côtregardez ainsi qu’il est par divine, et eternelle loy de Dieu
ordonné, et arresté. Tellementque par Imarmenis est entendu divine predestination : par necessité, la
suyte et consequence des choses predestinées : et par l’ordre, leur conservation. Ces troys cy
doncques, sont ou la loy divine, ou tout ce qui suyt l’ordre et contexte de ladicte loy, ensemble ce
qui contient la continuationdes causes definies, et conditionnées selon nature. Il dict neantmoins que
fatalle destinée, permet aussi es choses côtingentes quelques causes indifinies, et non determinées
contre nature. Ie laisse toutesfois à l’opinion et fantasie des autres, à en faire iugement.
Chapitre XIIII.
ASCLEPIUS : Si doncques ainsi et (comme tu dis) que les dieux celestes, dominent sur tout
generallement, et que les terrestres ont soing et intendence d’une chacune chose à part, en quelle
partie de raison, aurôt lieu les destinées fatalles ? Ou qu’est-ce que nous apellons fatalité.
TRISMEGISTE : Icelle est la necessité de tout ce qui se faict, à Asclepe, estant tousiours à soy
côioincte par neuz, et lyaisons s’entrelassans, et concatenans ensemble. Ceste cy doncques, est celle
qui faict toutes
Fatale destinée et nécessité.
choses, ou bien le souverain Dieu, ou celuy qui a esté de luy faict second Dieu, c’est-à-dire le
monde, ou certes la prescience de toutes choses tant celestes que terriennes, arrestée et confermée
par les divines loix. Ceste fatelle destinée doncques, est avecques necessité conioincte, d’une
conionction et lyaison inseparable. Dont la premiere à sçavoir destinée fatalle, engendre les
commencemens de toutes choses, lesquelles puis apres necessité contrainct venir à l’effect et yssuë
de ce qui est ordonné par ceste fatallité. Lesquelles deux, ordre ensuyt, c’est-à-dire, le contexte et
prefinition du temps des choses lesquelles se doivent parfaire et accomplyr. Car il n’y a rien sans
composition de quelque ordre : qui faict que le monde soit parfaict et consommé en toutes ces
choses. Au moyen qu’il est porté par ordre, ou qu’il consiste d’ordre en tout et par tout entierement.
Ces troys cy doncques à sçavoir destinée fatalle, necessité, et ordre, sont faictes, et se font
principallement par le vouloir et permission de celuy qui gouverne tout le monde par sa loy et
raison divine. Tout vouloir doncques par ce moyen et repugnâce, est detournée divinement de ces
troys. Car iamais ilz ne s’esmouvent ny d’ire, ny de courroux, ne pareillement sont flechiz à grace
ou à faveur : ains tout leur faict, est d’obeyr à la necessité de la raison eternelle. Laquelle
Ordonnace divine, ou fatalité…
est telle, qu’elle ne se peult eviter, ne destourner : mais est immobile, invariable et indissoluble.
Premierement doncques ordonnance divine : aisni comme une terre ensemencée, reçoit la
propagation de toutes choses lesquelles doibvent advenir. Laquelle necessité ensuyt secondement,
par laquelle sont contrainctes lesdictes choses necessairement, venir à leur effect et execution. Ordre
tient le tiers degré, lequel garde le contexte et titssu, de tout ce que destinée et necessité disposent.
C’est doncques icy eternité, n’ayant fin ne commencement : mais estant fixe par une loy immuable
d’aller et de venir, est maintenüe et contregardée d’un mouvement eternel. Et si d’avantage elle
naist et s’estainct souventesfois par membres alternatifz, de sorte que apres le changement et
mutation de quelques temps (selon qu’ilz sont invariables) elle resourd de rechef, par pareilz et
semblables membres qu’elle estoit estaincte. Car telle est la raison de la rondeur voluble (c’est-àdire
de toute la fabrique de ce môde) que toutes choses sont si fort entremeslées et concatenées
ensemble, qu’on ignore et ne sçayt on que c’est que du commencement de sa volubilité et circuition,
pour autant qu’il semble que toutes choses continuëllement se precedent, et s’entresuyvent. Quant à
cas d’aventure, et sort, ilz sont entremeslez avecques tout
ce qui est en ce monde.
L’argument du quinziesme chapitre.
En ce quinziesme, Mercure fine son dialogue avecques devotes action de graces. Et apres que tous
quatre, à sçavoir Mercure, Asclepe, Ammon, et Tatius (lesquelz estoient en cest conclave ensemble
côvenuz pour entendre le sermon de Mercure) ont adoré et rendu graces à Dieu, s’en vont prendre
leur repas sans aucun appareil de viandes, selon la religieuse forme de faire des Egyptiens. Et ainsi
fine le second livre de Mercure Trismegiste Hermes, de la volonté de Dieu.
Chapitre XV.
Nous avons traicté (mes amys) de toutes choses, tant divines, que naturelles, en tant qu’il nous a
esté loysible par humaine fragilité, et qu’il a pleu à Dieu, et nous a permis faire. Qui faict que de
present, il ne nous reste plus, sinon qu en louant et priant Dieu, nous nous reposions, et
refectionnions. Car au regard de nostre esprit, nous l’avons rassasie, en traictant ainsi amplement
des choses divines, comme de sa propre et peculiere pasture. Or apres qu’ilz sont sortiz
Que Dieu requiert le coeur de celui qui prie.
Du conclave auquel s’estoient assemblez, si tost qu’ilz ont commencé à faire leur prieres à Dieu, ilz
ont tourné leurs faces vers mydi. Car le Soleil tendant au declin, si quelque Egyptien à vouloir de
prier Dieu, il tourne sa face vers occident, comme quand il se lieue vers orient. Ainsi doncqus qu’ilz
faisoient leurs prieres et supplications à Dieu, Asclepius a tout bas adverty Tatius, d’eux deux
reduyre à memoir leur pere, de commander faire à Dieu leurs prieres avecques parfuntz et odeurs.
Ce qu’entr’oyant Trismegiste, leur fist responce, que les souveraines incensions des choses
odoriferantes, desquelles se delectoit Dieu estoient, quand les hommes luy rendoient action de
graces pour tous ses biens. Et pour ceste cause, qu’en le mercyant, le convenoit ainsi adorer.
Action de graces de Mercure.
Nous te rendons graces, o hault, souverain et excellent seigneur Dieu, en ce que par ta singuliere et
specialle grace, avons eu si parfaicte clarté de ta cognoissance, sans l’avoir envers toy desservy. Ton
nom est sainct, honorable, magnifique, et digne de toute loüange, par
lequel toy seul Dieu doibs estre (comme il t’appartient) exalté, et magnifié de reverence, honneur, et
obeïssance paternelle, en ce qu’il te plaist, nous faire tant de grace, de nous instruyre et enseigner, à
t’obeïr, honorer, et aymer, come nostre naturel pere : et à faire toute autre chose (si quelque une y a
plus doulce, et amyable, et de plus grande vertu, que celle là) quand tu nous donnes sens, raison, et
intelligence. Sens, à fin que nous te cognoissions. Raison, à fin que t’encerchions par elevation
d’esprit, et admiration. Intelligence, à fin qu’en nous informant de toy par cognoissance, nous nous
delections en toy. Et entendans que nous sommes sauvez par ta puissance, nous nous esiouyssions
en toy. Et en ce que tu t’es totallement ànous demonstré nous prenions ioye et liesse. Ioinct que
nous as estimez dignes, estâs encores situez en ce corps caduc et mortel, d’estre destinez à eternité.
Car lavraye esiouyssance humaine, n’est autre, que la cognoissance de ta hautesse et maiesté. Nous
t’avons cogneu, et pour ceste cause la parfaite lumiere, par seule intelligence sensible. Nous t’avons
entendu o vraye voye de vie, o fertile generation de toutes choses crées. Nous t’avons cogneu, o tres
plein de conception de toute nature. Nous t’avons cogneu perseverance eternelle. Parquoy en toute
ceste oraison, adorans le bien de ta bôté, te prions seulement, qu’il te plaise nous vouloir sauver et
garder, et donner tousiours perseverance en l’amour deta cognoissance, et que ne soyôs iamais
retirez de ceste forme de vivre. Ce que de tout nostre cueur souhaictans, nous en allons prendre
nostre repas sans aucun appareil de viandes.
Fin des dialogues de Mercure Trismegiste Hermés.
En espoir et silence, force.
Recueil de quelques livres de Mercure.
Qui ne se trouve aux exemplaires Latins, par feu monsieur Strobeus, et depuis mis en langue
Françoise par ledict Gabriel du Preau.
Que cela est seulement vray, quide soymesme est iuste, permanent, immuable, non consistant de la
matiere, ny contenu de corps, sans couleur, sansfigure, et sans alteration, qui est un Dieu seul.
Mercure à son filz Tatius.
Il est impossible, Tatius, que l’homme, qui est un animal imperfect, consistant de membres
imperfectz, et revestu d’un corps constitué de plusieurs et divers corps, puisse asseurément et au
vray parler de la vérité. Toutesfois en tât qu’il m’est possible et licité d’en dire ce que il m’en
semble, i’ose affermer, que la seule verité ne consiste qu’es corps eternelz, et encores en ceux
seulement qui sont vray corps. Comme nous voyons que le feu, n’est autre chose que feu : la terre,
autre chose que terre : et l’aire, autre choses qu’air. Or consistent noz corps de
L’inspiration divine pour appréhender la Vérité.
toutes ces choses icy. Car ilz participent du feu, de la terre, de l’air, et de l’eau. Et si ne sont
toutesfois ny feu, ny terre, ny air, ny eau, ny autre chose qui soit vraye. Parquoy si nostre
constitution des son commencement mesme n’a compris ls verité, comment se pourra il faire, que
nous puissions, ou veoir ou parler au vray de la verité ? Dont fault conclure Tatius, que tout ce qui
est sur terre, n’est point verité, mais sont seulement imitations et approchemês de ce qui est vray : et
ny mesme encore toutes ces choses, dôt nous parlôs, ains seulement quelques unes d’entre elles.
Quant à toutes autres choses mon filz Tatius, elles ne sont que mensonge et erreur, fantasies, et
opinions, non plus ne moins, que quelques simulachres et illusions. Mais quand l’influxion tombe
d’en hault en la fantasie, lors se fait une imitatiô de verité : au contraire sans l’efficace supernelle, il
ne demeure en elle que mensonge. Tout ainsi que nous voyons que une image monstre bien certes le
corps de la peincture, encore que elle ne soit le corps tel que l’imagination de la peincture le
represente. Et bien qu’il semble qu’elle ayt des yeux et des oreilles, si est ce neantmoins qu’elle ne
voir, ny n’oit aucunement. Et ainsi de toutes autres choses representées par la peincture, lesquelles
toutesfois sont toutes faulses, et deçoivent la veuë de ceux qui les
Que vérité n’est choses faites et créés.
regardent, leur semblant qu’elles soient vrayes, ores qu’à la verité elles soient faulses. Ortous ceux
qui ne voyent point le mensonge, voyent la verité. Tellement que si nous pensons, ou voyons une
chascune de ces choses, comme elle est à la verité, nous pensons et voyons choses vrayes : si cela se
fait oultre ce qui est, nous ne penserôs ny ne sçaurôs chose qui soitvraye.
TAT : Et doncques mon pere, la verité ne sera elle pas aussi en terre ?
MERCURE : Tu ne te trompes pas sans occasion, mon filz. Mais Tatius, il te fault entendre, que
verité n’est aucunement en terre, ny ne se peult faire qu’elle y soit. Toutesfois il se peult faire, que
quelques hommes aux quelz Dieu a donné faculté de pouvoir côtempler les choses divines, ayent
apprehension de la verité. Autrement il n’y a rien en terre, qui se puisse offrir vray soit à la pensée,
soit à la raison : mais toutes les choses que la raison ou pensée estiment estre vrayes ne sont
qu’opinions, et imaginations.
TAT : Et penser, ou parler choses veritables, cela ne se doit il pas aussi appeler verité ?
MERCURE : Que s’ensuyt il : Est il possible de pouvoir dire, ou penser les choses qui de soy
mesme sont et consistent ? Or n’y a il rien en terre qui soit tel.
TAT : Est il possible qu’il ny ait aucune cognoissance du vray ?
MERURE : Et comment cela se pourroit il faire en la terre mon filz ? Car de fait verité est une vertu
sur toutes
Ce qui reçoit changement n’est que mensonge.
autes la tres parfaite et accomplie, et le souverain bien mesmement, n’estant ny troublé par la
matiere, ny environné de corps : estant une chose nuë, reluysante, immuable, authentique, sans
alteration te vicissitude, bref le supreme bien. Au contraire les choses qui sont icy mon filz, ce peult
il faire qu’on les voye garnyes d’un si grand bien : attendu qu’elles sont corruptibles, passibles,
dissolubles, et lesquelles s’alterent incessamment, et se convertissent les unes aux autres? Et par
ainsi les choses, qui d’elles mesmes, ne sont vrayes, comment pourroient elles simplement estre
vrayes ? Car tout ce qui reçoit changement et alteration, n’est que mensonge, ne s’arrestant point en
ce dont il resorts : ains nous representant par son chagment et mutation plusieurs fantasies devant
les yeux, les unes d’une sorte, les autres d’autre.
TAT : Comment, mon pere, ny a il rien qui soit vray, ny l’homme mesme ?
MERCURE : En tant qu’il est homme, il n’est pas vray, mon filz. Car il fault que tu entendes, qu’il
ny a que cela vry qui de soy seul, et par soy seul a, et demeure en sa qualité. Mais l’homme,
consiste de plusieurs choses, et ne demeure pas par soy mesme, ains se change d’un aage en autre,
d’une forme en autre, et ce encore residant en ce corps. De là vient que plusieurs n’ont cogneu
quelque peu de têps apres, leurs propres enfans, ny
Ce qui est permanent est vrai.
les enfans leurs parents. Cela donc qui se change en telle sorte, qu’il ne se cognoist plus, peut il
estre vray Tatius ? Et au contraire ne doibt il pas plustost estre appellé mensonge, veu qu’il verse et
gist en diverses fantasies de châgemens ? Parquoy estimes cela seul estre vray, qui à tousioursmais
est permanent, et iuste. Ce que l’hôme n’est tousiours, dont viêt qu’il n’est pas vray : ains plustost
est quelque imagination, estant par ce point le souverain mensonge.
TATIUS : Voudriez vous doncques colclure par cela, mon pere, que les corps eternelz ne fussent
vrays, à l’occasion qu’ilz sont muables ?
MERCURE Certainement toutes chose engendrée et muable, n’est pas la vraye : et combien que les
corps eternelz faitz et crées par le premier pere detoutes choses, puissent bien avoir receu de luy une
vraye matiere, si est ce qu’ilz contiennent en eux mesmes quelque chose de mensonge, à cause de
leur mutation. Car en toutes choses qui puissent estre, il ny a rien vra, si en soymesme n’est
permanent.
TAT : Si tout ce que vous dites est vray, mon pere, aussi ne sera ce pas mal dit, si le Soleil, qui sur
toutes choses du monde ne se change, ains demeure en luy mesme, est appellé verité.
MERCURE : Ce n’est que bien dit Tatius, d’autant que l’operation de tout ce qui est au monde, luy
a esté de Dieu commise commandant à toutes choses, et les faisant toutes lequel
Ce qu’est la première vérité.
aussiie honore, et en adore la verité, et recognois seul maistre et operateur de tout ce qui se fait au
monde, apres le seul premier, qui est Dieu.
Ce qu’est la première vérité.
aussi ie honore, et en adore la verité, et recognois seul maistre et operateur de tout ce qui se fait au
monde, apres le seul premier, qui est Dieu.
TAT : Qu’appellez vous doncq’ mon pere, la premiere verité ?
MERCURE : Celuy là de la matiere, ny n’est compris de corps sains est sans couleur, sans figure,
non subiect à mutation ou alteration quelconque, de soy permanent. Tu dois sçavoir mon filz, que
mensonge perit, et desiste d’estre à quelque fois. Car la providence du vray a occupé par corruption
toutes choses terriennes, et les enveloppe, et enveloppera. Car de fait generation ne peult estre sans
corruption. Et si corruption ensuyt toute generation, à fin qu’elle soit derechef engendrée, ayent leur
production des corrompües, et que les engendrées soiêt fauses et abusives, d’autant qu’à
quelquefois les unes se font, les autres par autres intervalles. Car elles ne se peuvent faire toutes
ensemblement. Ce que doncques n’est ny un, ny semblable, comment pourroit il estre vray ?
Parquoy mon filz, il fault toutes ces choses appeler
Savoir ce qu’est Dieu.
Imaginations, si nous les voulons droictement nommer: à sçavoir, l’homme, la fantasie de l’essence
humaine, l’enfant de l’enfant, le iouvencel du iouvencel, le viril du viril, l’ancien imagination et
fantasie de l’ancien. Car au vray dire l’homme n’est pas homme, ny l’enfant enfant, ny le iouvencel
iouvencel, ny le viril viril, ny l’ancien ancien : mais le changement et mutation des choses nous
deçoit, comme celles qui estoient au paravant, et celles qui sont de present. Or pour toute resolution,
mon filz toutes ces choses doibvent estre ainsi entenduës, de sorte que tut te recordes, que ces faux
effectz dependent d’ent hault de la supreme verité ce que estant ainsi, l’ose dire que mêsonge est
oeuvre de verité.
Le mesme à son mesme filz.
Qu’il est difficile de sçavoir que c’est que Dieu.
C’est chose fort difficile, mô filz de sçavoir et entendre que c’est que Dieu, et impossible de le
povoir declarer par langue humaine. Car une chose incorporelle, ne peult estre signifiée et declarée
par la corporelle : et ce qui est perfect
Qu’est-ce que la mort.
Estre compris de l’imperfect : et ce qui est eternel, mal aysément se conioinct avecques le temporel.
Car cestuy passe à quelquefois, et l’autre est tousiours en soy et de soy permanent. Aussi que le
temporel est adumbré de l’imagination, et l’eternele est et consiste à la verité. Or y a il autant de
difference de l’imbecille au fort, et de l’inférieur au superieur, qu’il y a d’une chose mortelle à la
divine. De sorte que l’intervalle qui est entre ces choses cy obscure, et esblouist la vision de la
beauté. Et par ainsi les choses corporelles peuvent estre apprehendées des yeux, et les visibles estre
prononcées de langue humaine : mais ce qui est incorporel, invisible, et sans aucune figure, et qui
ne consiste de la matiere, ne peult estre cogneu ny apperceu par noz sens. Parquoy, mon filz Tatius,
i’entends, ientends dy-ie, Dieu estre une chose, qui ne se peult dire, ne declarer.
LE MESME.
Que c’est que Mort.
Or fault il maintenât dire quelque chose de la mort. Car d’elle, comme de quelque grand mal, sont
plusieurs troublez, au moyen qu’ilz ignorêt que cest. La mort doncques n’est autre chose,
Hermès et Esclapius au Roy Ammon.
que la desliaison du corps amorty et defaillant, à sçavoir quand le nombre des ioinctures du corps
est accomply. Car le nombre de icelles est mis en la congruë et decente constitution d’iceluy corps.
Lequel meurt lors qu’il ne peut plus porter l’homme. Voylà doncques que c’est que la mort à sçavoir
la desliaison du corps, et abolition des sens corporelz.
ESCULAPIUS AU ROY AMMON
Des difinitions,
De Dieu,
De la matiere,
De fatalité,
Du soleil,
De l’essence intellectuelle,
De l’essence divine,
De l’homme,
De la providence et perfection des estoilles,
De l’homme faict à l’image de Dieu.
Ie t’ay bien voulu envoyer, ô Roy, ce grand et excellent propos icy, comme le recueil et sommaire
de tous ceuxqu’anôs autrefois tenuz ensemble, non certes composé de l’opinion du vulgaire
Hermès et jugement et approbation de Mercure.
Ains contenant raisons toutes diverses et opposites à celles de plusieurs. Et qui est tel, qu’il te
semblera, à mon advis, ne s’acorder à quelques autres de mes disputes. Et aussi Mercure mon
maistre conferant souventesfois avecques moy tant en privé, qu’en la presence de son filz Tatius,
disoit qu’il adviendroit que ceux qui liroient mes livres, en iugeoiêt la structure et style de parler
fort simple, aperte, et aysée à entendre: mais qu’à l’occasion de la dispute des choses contraires,
l’estimeroient obscure, et avoir en soy un sens fort hault, et caché souz le contenu des parolles. Et
principallemêt lors que les Grecz entrependroient traduyre nostre langue en la leur : chose qui
apporteroit une merveilleuse ruine, destruction et obscurité à noz escritz. Car en nostre oraison
expliquée par nostre langue, lè sens est fort apert, et facile à entendre, pource que la forme et
maniere de la voix et la vertu des motz Egyptiens, obtient en soy l’efficacité et importance des
choses qui se disent. En tant dôcques qu’il t’est possible, ô Roy (or ne t’est il rien impossible) ie te
prie de te donner garde, qu nul n’interprete ce present traicté, que ie t’envoye, de crainte que ces
secrets, ne viênent à la cognoissance des Grecz, et que par l’arrogante, dissolue, et comme fardée
maniere de parler d’iceux, la gravité, force, et efficace des parolles contenuës
Hermès et l’invocation de Dieu en commencement de toutes choses.
en ce propos, s’aneantisse. Car les Grecz, ô Roy, quant à leur langue ne se plaisent qu’à nouvelleté,
et ne gist qu’en ostentation : de sorte qeu toute leur Philosophie n’est seulemêt qu’un son de
parolles. Mais au regard de nous, nous ne nous soucionspas des motz : ains seulement de la haulte
energie des voix, laquelle côprenne grandes choses.Ie commenceray donc icy mon propos en
invocant Dieu, le seigneur facteur et pere de toutes choses, contenant tout et qui estant toutes
choses. D’autant que le côble et perfection de toutes choses, n’est qu’un et ne consiste qu’an un :
non certes qu’il faille dire qu’il y ayt un autre secôdun :mais que l’un et l’autre n’est qu’un. Et par
ainsi il te plaira, Sire, de retenir de moy ceste sentence et opinion, partout le traicté de ce propos.
Car si aucun pensast n’estre autre chose de dire toutes choses, et un, et se voulsist parforcer de
diviser en multiplicité d’un toutes choses, et ne les raporter au comble et perfection d’iceluy pensant
devoir estre ainsi appellées (chose qui ne se peut faire) en les tollissant l’universel deviendroit à
neant. Car il fault qu’un soit toutes choses, d’autant qu’elles sont en luy. Or sont elles : et les choses
qui sont, ne desisteront iamais d’estre un, à fin que les comble soit delivre. Côsidere en la terre
plusieurs sources d’eaux et de feu,
Hermès et l’essence du Soleil.
toutes yssantes des parties interieures et occultes d’icelle, et en ce mesme troys diverses nature, du
feu, de l’eau, et de la terre, qui toutes dependent d’une mesme racine : d’où aussi a on creu, que là
estoit la retraicte et receptacle de toute la matiere : d’autant que de là en sourd l’affluence, et que
puis apres en reçoit d’ailleurs plus loing la perpetuité. En ceste sorte aussi l’ouvrier, et facteur de
toutes choses apres Die(I’entends dire le Soleil) tousiours avallant son essence du ciel, en terre, et
par elle eslevant la matiere, et attir’ant entour soy, et à soy toutes choses, et les distribuant puis
apres de soy toutes à toues, donne par ce moyen et espand abondamment sa lumiere à une chacune
d’elles. Car aussi est il celuy, duquel toutes bonnes actions parviennent non seulemet du ciel en l’air
mais en la terre pareillement, voire iusques au plus bas, et grande profondité d’icelle. De façon que
si en luy est aucune essence intelligible, la masse d’icelle est telle, que la lumiere est sa retraite.
Mais de sçavoir dont elle est faite, ou la part qu’elle influe, celuy seul en a la cognoissance, qui pour
sa vivinité tant de lieu, que de nature, ne s’apperçoit point de nous, ains est entendu seulement par
coniectures contraintes Combiê que telle apercevance et regard, ne procede pas du coniecturant :
ains de celuy seul qui de toutes pars tres clerement regardant,
Hermès et aux immortelles un repos éternel.
environne tout le monde superieur. Car aussi ce Soleil est colloqué au mitan, portant le monde
comme une couronne, et comme un bon chartier asseurant le cours d’iceluy, et le liant à soy, de peur
qu’il ne desarroye ou forvoye de son cours. Ses brides sont la vie, l’ame, l’esprit, immortalité,
production, et naissance. Il fait donc qu’il soit porté non loing de soy, ains avecques soy, pour dire à
la verité ce qui en est. Et en ceste maniere nous le disons fabricateur de toutes donnant aux
immortelles un repos eternel. Espândant à largesse autât de sa lumiere à la côversion superieure,
que de l’autre part il regarde le ciel, et nourrist les immortelles parties du môde : et autant qu’estant
d’autre part occupére luisant toutesfoys de toutes pars, il rend vitalle en ses gêres et changemens, et
meut cest universelle estenduë et capacité d’eau, de terre, et d’air. Et, à la façon du lierre qui ne
porte aucun fruict, nômé vulgairement Helix, changeant et transformant en diverses especes de
genres et de formes les animaulx qui sont en toutes les parties du monde, diversifiant le changement
d’une chacune d’elles, ne plus ne moins que faict es grands corps le supreme facteur et ouvrier de
toutes choses. Et aussi le repos d’un chacun corps, n’est que changement, indissoluble certes quant
à la chose immortelle, mais dissoluble quant à la mortelle. Et en celà consiste la difference
Hermès et l’office des démons.
Qu’il y a de l’immortel au mortel, et aû contraire, du mortel à l’immortel. Et tout ainsi que la
lumiere d’iceluy est frequente, aussi est frequente l’infusion de sa vie, et non cessante soit en lieu,
ou en abondance. Et avecques ce à la semblance d’une grosse armée, il est environné d’une infinité
de Demons, qui sont demeurans avecques luy et l’acompaignent, ne differans pas beaucoup des
immortelz, mais estans en ce lieu colloquez pour administrer les choses humaines, et executer les
commandemens de Dieu par tourbillons de vents et tempestes, fouldres, tonnairres, esclers, et
tremblemens de terre : et finablement pour faire la vengeance de m’impieté des hommes par guerre,
et famine. Ce qui est le plus grand vice qui puisse estre es hommes envers Dieu. Car l’office de
Dieu, est de bien faire : celuy des hommes, est de sainctement et devotement le reverer et honnorer :
celuy des Demons, de executer sa vengeance. Car tous delictz humains proviennent ou d’erreur, ou
d’audace, ou de necessité, dicte autrement fatalité, ou d’ignorance. Lesquelles toutes choses ne
tombent point en reprehension envers Dieu : la seule impieté est subiecte à supplice. D’avantage le
Soleil : est le conservateur et nourrissier de tout genre et tout ainsi que le monde intelligible,
embrassant le monde sensible, le remplit de diverses formes,
Hermès et l’assemblée des démons.
et de choses omniformes : aussi le Soleil embrassant toutes choses qui sont au monde, leur engendre
la masse, et infuse la force et vigueur d’engendrer toutes choses, et à celles qui sont lasses et qui
defaillent, li leur preste son ayde. Soubz luy est constituée l’assemblée, ou pour mieux dire, les
assemblée des Demons. Car ilz sont en grand et divers nombre colloquez d’ordre au dessoubz des
estoilles, en pateille quantité qu’elles. Qui faict qu’estans en ceste ordonnance composez, obeissent
à une chacune estoille, garnys de bonnes et mauvaises natures, c’est-à-dire, actions. Car l’essence du
Demon, n’est qu’action. Mais fault entendre, qu’entr’eux y en a aucuns têperez de bien et de mal.
Ceux-cy ont la puissance des choses terriennes, et de tous troubles qui s’esmouvent en terre, et
excitent diverses perturbations es Citez et nations, et en particulier les uns contre les autres. Car ilz
contrefont et attirent à eux noz meurs et volontez, iusques à resider mesme en noz nerfz, moëlles,
venes, arteres, cerveau : et mesme venans iusques aux intestins. Car des l’instant de nostre
naissance, et que l’ame est infuse au corps, les Demons prennent la charge d’un chascun de nous,
ayans cest honneur d’avoir l’administration de nostre origine et nativité, et mesme ceux qui ont esté
deputez à une chacune estoille. Car iceux sont
Hermès et la raison en l’homme.
Changez en un moment, et ne demeürent pas tousiours en leur estre, ains sont agitez par une
conversion. Ceux cy doncques entrans par le corps es deux parties de l’ame, un chascun la pousse et
induit à sa propre action. Toutesfois la partie de l’ame, qui participe de raison, n’est point subiecte
au commandement et domination de ces Demons, ains seulement est y doine à recevoir Dieu. Qui
faict que celle partie de l’ame, qui participe de raison, est illustrée et illuminée du rayon de Dieu par
le Soleil. Mais entre tous il y en a peu qui ne soient subiectz aux Demons. Nul desquelz ny des
dieux mesme n’a puissance à l’encontre de l’unique rayon de Dieu. Quant à tous autres, ilz sont
menez et transportez par les Demons, se delectans que leurs corps et ames soient agitez par leur
impulsion et par charité embrassans leurs actions. En quoy leur raison, et non pas leur cupidité est
deceuë, et deçoit. Et ainsi ces Demons gouvernent toute ceste administration terrienne, et ce par noz
corps, comme par quelques instrumens et organes. C’est ce que Mercure appelle fatalité, à sçavoir
l’administration de ces Demons. Par ainsi il fault conclure que le monde intelligible despend de
Dieu, et le sensible de l’intelligible. Par lesquelz deux môdes intelligible, et sensible. Le Soleil
espêd l’influence de bien, c’est-à-dire, de procreation,
Hermès et les huit cercles autour du Soleil.
Laquelle il reçoit de Dieu. Il fault sçavoir en apres, que huict cercles entournoient le Soleil, tous
tenâs et depêdâs de luy : l’un desquelz n’est au nombre des errans, les autres six en sont, et le
huictiesme envirône la terre. De ces cercles dependent les demons, des demons les hommes : qui
fait à dire que toutes choses et tous dependent de Dieu, et que Dieu est le pere de tous, le Soleil le
facteur, le monde l’instrument de naissance et production. Le ciel pareillemêt est gouverné par
l’essence intelligible : le ciel gouverne les dieux : et les demons subiectz aux dieux, gouvernêt les
hommes. Voylà l’exercite des dieux et des demons. Dieu par l’operation de ces deux se procrée
toutes choses : et par ce point toutes choses sont quelques particules de dieu. Que si elles sont toutes
particules de dieu il convient conclure que Dieu est toutes choses. Et par ainsi procreant toutes
choses, il se procrée aussi luy mesme, ny ne cessera iamais, atendu que luy mesme ne peult oncques
cesser. Et tout ainsi que Dieu n’a point de fin, aussi n’a sa production fin ne commencement. Chose
que si tu entends, Sire, tu entendras aussi pareillement toutes choses incorporelles apartenir aux
corporelles. Qui sont elles? dira le Roy. Les corps qui apparoissent es miroirs, ne te semblêt ilz pas
estre choses incorporelles ? La chose est telle Tatius. Tu entends cela divinement, dit le Roy.
De la Volonté.
Roy, D’avantage, il y a encores autres choses qui sont incorporelles, comme ce qu’on nomme idée,
c’est-à-dire, espèces. Ne sembles-t-elles pas incorporelles, quand elles apparoissent au corps, non
seulement des choses animées, mais de celles aussi qui sont sans ames?
C’est bien parlé. Tatius elles sont telles es corps des choses incorporelles, comme de celuy des
incorporelles en celuy des corporelles, c’est-à-dire, une répercution du monde sensible en celuy qui
est intelligible, & de l’intelligible en celuy du sensible.
Parquoy, ô Roy, adore les signes, d’autant qu’ils contiennent les formes provenantes du monde
sensible.
Et ainsi le Roy se levant, dit: O divin prophete, j’ay maintenant quelque affaire, demain nous
traiterons du parsus.
Fin
Le Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste
Version de 1577 de Loys lazarel, dialogue
Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste, de Loys lazarel
DIALOGUE DE LOYS
Lazarel, poète chrétien, à Ferdinand Roi, intitulé le bassin d’Hermès : lequel traite la manière de
connaître Dieu et soi-même.
Traduit du vieux François par Lug le gardien du Temple d’Hermès Trismégiste
Après avoir été si longtemps en doute, entre diverses et différentes opinions de plusieurs anciens et
modernes, quelle voie nous fallait tenir pour la meilleure et la plus sure pour nous conduire à la vie
perdurable et par quel moyen cette tant douteuse et trébuchante foi, pouvait s’affermir en ce mortel
manoir, afin de quelque fois acquérir l’éternel repos et perpétuelle félicité : alors qu’en chagrin je
faisait à Dieu prières avec pleures et gémissements, l’aide finalement et le réconfort du ciel ne m’a
point fait défaut, de la part de celui, qui en un tel désarroi prêta sa main auxiliaire à Saint Pierre. De
celui, dis-je, lequel avant tous siècles fit et créa le monde, et qui après avoir été corrompu par toute
lubricité, l’a restauré par l’oblation et sacrifice de son propre corps. et qui étant le grand
ambassadeur du haut et investigable conseil divin, éclaircit les entendements de sa Sainte lumière.
Et étant finalement le prince de toute paix, la moyennée entre Dieu et l’homme, auparavant
discordants. Lequel de bouche et de coeur confessons, être vrai Dieu et vrai homme, et le père du
siècle futur, que nous attendons juge des morts. Lui donc qui était Pimander en l’entendement
d’Hermès, a voulu faire en moi son séjour et qui est l’éternel consolateur de tous esprits troublés, a
éclairci le mien entendement de la lumière de vérité, dont j’ai été grandement consolé.
Qui fait que j’estime raisonnable, ô illustre et magnanime Roy, de te faire participer à ma félicité. Et
ce, à l’occasion principalement, qu’en cette tienne vieillesse, t’étant déchargé de la pénible
administration de ton royaume, et l’ayant transmise à ton fils aîné, et par ce fait étant à présent en
repos de corps et d’esprit, tu puisses t’employer de tout coeur à la contemplation, et maintes autres
bonnes choses et louables affaires.
Par quoi, te voyant être de loisir maintenant, et à ton aise sans crainte de soucis, et par ce moyen
idoine prêt à recevoir quelques consolations spirituelles, j’ai bien voulu passer quelques heures avec
toi, et te communiquer mon avis sur le propos prétendu, c’est-à-dire, de la manière que nous devons
garder, pour parvenir une fois à cette heureuse et perdurable vie. Ou certes il ne faut estimer, qu’en
ce faisant j’étudie à l’élégance des vocables, ainsi que les Grecs, mais surtout à leur effet, comme
les sages d’Égypte. Car nous éplucherons la vertu seulement par l’importance du mot et non sa
propriété ; moyen par lequel nous pourrons acquérir ce souverain bien, que devons sur toutes choses
désirer.
Le Roy : Or sus donc, dit nous ce qu’il nous faut faire pour obtenir cette félicité.
Lazarel : Premièrement, tu n’ignores point (comme je l’estime) avoir été rédigé par écrit des
anciens, comme une fois entre autre quelqu’un consultant l’oracle d’Apollon, touchant ce que nous
traitons (c’est-à-dire touchant la félicité et la béatitude) qu’il lui fut fait telle réponse : Si tu te
connais. Ensemble qu’il est scellé, et gravé dans la pierre :
Connais-toi toi même.
Le Roy : Tu veux donc par cela inférer qu’il faut ajouter foi à l’Apollon de Delphes?
Lazarel : Non pas toujours Sire, mais seulement quand il dit chose en accord avec la vérité. Car de
fait il dit maintes choses véritables en ses oracles. De manière que si nous voulons feuilleter
Porphyre en sa philosophie des Oracles, nous trouverons pour le certain, la chose être telle, comme
je le dis. Mais en délaissant le surplus, mettons en évidence ce que l’oracle a exprimé, touchant
icelle béatitude. Il dit donc ainsi :
Il n’y eut chemin oncques tant difficile
A cheminer, que celuy de vertu,
Tant qu’a nully reciter n’est facile,
Comment en luy on est souvent perdu.
Égyptiens l’ont premier entendu :
Les Pheniçoys, Assiriens aussi
L’ont puis cogneu : mais sans erreur ne fi
Le peuple Hebreu, de l’esprit incité,
L’a tout esleu, et comme vray choysi.
Dont à bon droict, il doit estre imité.
Y a-t-il chose plus accordante en vérité, que cet oracle?
La Roy : Il me semble ainsi. Mais dis-moi, je te prie, si les Égyptiens ont goûté quelque chose de
vérité.
Lazarel : Non seulement ils en ont goûté, ô Sire, mais ils s’en sont presque exclusivement remplis.
Mais en laissant les autres que dirons nous d’Hermès? lequel après avoir cherché le droit sentier de
la vraie sapience, a laissé à ses successeurs amples enseignements et livres, qu’il a écrit, sinon de
haut style, de sentences toutefois notables et authentiques. D’où (ainsi ce que d’aucuns
conjecturent) sapience a été aux Hébreux transportée. Car ils pensent d’autant que Moïse était
Hébreu, et né en Égypte, aussi qu’il l’ait transportée d’Égypte, aux Hébreux, par le Pentateuque. Et
de fait nous lisons aux actes Apostoliques, qu’il était très expert en toutes les disciplines des
Égyptiens.
Le Roy : Tu sembles, ô Lazarel, être tout Hermétiste, tant tu le couvres de louanges : comme si nul
jamais aurait été plus sage que lui.
Lazarel : Je suis chrétien, Sire, et je n’ai honte de me dire Hermétiste. Car si diligemment tu
considères ses préceptes et enseignements, tu le constateras toi-même que cela n’est pas très éloigné
de la doctrine Chrétienne. C’est celui, ô magnanime Roy, que les anciens poètes, ont dit avoir été
engendré de Maïa, et qu’ils ont appelé truchement et ambassadeur des dieux : le Dieu d’éloquence,
inventeur de l harpe, parfait finalement et accompli en maintes prérogatives. C’est celui, duquel
toute l’ancienne Théologie, a tiré son origine et commencement. car quand nous nous tairons de
plusieurs livres, par lui fait et composés, lesquels se sont perdus par l’injure des temps, y a-t-il
chose plus divine, que ceux que nous avons en mains. Es quels certes il a si parfaitement et au vif
écrit de la Sainte Trinité, qu’il n’y a nul, qui (à la condition qu’il le comprenne) ne s’éblouissent en
le lisant d’avoir trouvé l’entière et pure vérité d’icelle. Ce qui est cause, que j’ai voulu que ce
présent traité, fut appelé le Bassin d’Hermès. Au moyen que ce que avons délibéré traité en celui-ci,
par diligente inquisition, touchant la vraie félicité, le puiseront tant de la doctrine évangélique, que
des préceptes et enseignements d’Hermès.
Le Roy : Poursuis donc. Car j’ai affectueux vouloir d’entendre, ce que tu as promis de déclarer. Et
encore que je soi Chrétien, j’ai néanmoins espoir, ensemble avec toi, d’être fait Hermétiste.
Demande ce que tu as désir d’entendre.
-Lazarel : Demande donc, Sire, seulement ce que tu auras désir d’entendre et je te satisferai en tout
et par tout mon possible.
Le Roy : Toute superfluité de paroles rejetée, il faut venir au point, ou nous prétendons. Dis-moi
donc, le moyen, de me pouvoir connaître.
Lazarel : Premièrement Hermès une fois interrogeant sur cela Pimander, lui fut faite telle réponse.
Aime moi de tout ton coeur et entendement, et te rendrai savant et expert, en ce que tu as vouloir de
savoir et apprendre.
Et même la vérité dit : vous ne pouvez rien sans moi. Il est pareillement dit par le Prophète : En ta
lumière, nous verrons la lumière. Laquelle afin que ses rayons nous illumine, nous invoquerons par
dévote prière, celui qui en est le propriétaire et distributeur. Car si ainsi est qu’il ait été des anciens
commandé, de commencer avec divine invocation, tout ce qu’on entreprend et qu’on délibère faire,
à plus forte raison, ce qui concerne Théologie et Saints propos de Dieu. Ce que pareillement
commande de faire Saint Denys l’Aéropagiste au livre qu’il a écrit des noms de Dieu. Attendu donc
qu’il convient en ce présent lieu disputer des secrets de Théologie, nous réclamons la divine
présence, à ce qui lui plaise avant toutes choses, nous donner aide de en ce que nous avons délibéré
de poursuivre. Sois donc, ô Sire, à moi attentif, et me donne silence, pendant qu’ainsi j’invoquerai
Dieu.
Dieu tout puissant, qui te sieds et résides.
Lassus au ciel, sur ton trône divin,
Ou pour juger et discerner présides
Les faites, les dires, et vouloir humains.
D’un coeur contrict, et d’humble affection,
Ton suppliant te présente, et adresse
Son oeil, son coeur, et supplication,
À celle fin, qu’à bon port tu l’adresses.
Tu es le Dieu et guide des armées,
Le créateur, tant des dieux, que des hommes :
Fais donc qu’en toi soient toutes menées
Conduites, afin que paix soit ou nous sommes.
Fais par ton nom, qu’en ces ordres ténèbres,
De tes rayons soyons illuminés :
Viens tôt, descend en ces lieux de ténèbres
Nous vivifier, que nous ne soyons minés.
Réforme en moi ta divine semblance.
Laquelle est tant dehors vices souillée.
La conservant en ta grâce et défense,
Et que ne soit plus en péché brouillée.
Attire moi par ton ardente flamme,
Ainsi que fait le Soleil la vapeur,
Et l’aimant l’acier, lors qu’il l’enflamme :
Par cas pareil embrase en toi mon coeur.
Lors je luirai par ta bonté profonde,
En recevant de toi lueur et lustre,
Comme au Soleil fait la Lune et le monde,
Quand par ses raies clairement les illustres,
Tollys de moi le bois de bien et mal,
Mes pieds errans fais les droit cheminer,
Et m’assouvis en ce mortel deval,
Du bois vital, pour mes jours bien finir.
Je suis, mon Dieu, ta pauvre créature,
Toi le haut bien, pur, non contaminé :
Ote de moi de péché et l’ordure,
Pour obtenir ton bien, non terminé.
Fais moi à cet heur, que ta sainte lumière
Je puisse voir, et mes sens s’éclaicissent,
Afin d’oter cette racine fière.
D’infect péché, en toi je m’estouvisse.
J’aurais grand peur, n’estait ta grande clémence,
Qui m’assure, en telle voix s’écrie :
Or sus mon Fils, aie sur moi ta fiance,
Ton seul appuis, c’est moi qui justifie.
C’est moi qui seul ai le fardeau porté
Du tien péché, énorme et vicieux :
C’est moi qui seul a le diable avorté,
Faisant sur lui butin victorieux.
Ne crois donc plus, mon Fils, tous ses alarrmes,
Fie toi en moi, et appuie-toi sur mon bras :
Reconnais moi, qui a brisé les armes
D’horrible mort, et ses forts et remparts.
C’est donc ici, mon Dieu, la vraie liesse
De l’homme humain, quand il reconnaît tes faits,
Quand il connaît que par ta grande humilité,
A pris la mort, pour ses vices, et méfaits.
Tu es celui, dont la voix fut entendue
Du très puissant, au fleuve Jourdain :
Voici mon Fils, ainsi l’atteste,
Qui est caché sous ce voile humain.
C’est celui là, auquel je me suis complu.
Les ordonnée, créer, faire à sa guise.
Former les cieux, l’eau, l’air, la terre, et la mer,
Leurs fondements, sustentacles, et appuis :
Parquoi qu’aucuns n’aient le coeur si amer,
Que sous sa main ne soient rangés et dûs.
Ô toi Sion, reconnaît le pour Maître,
Comme seigneur invoque et réclame le.
Sina, Thabor, par qui avez votre être,
Connaissez le, tout ce qui nourrit âme.
C’est le très preux et vaillant capitaine,
Qui tout conduit, régir et contregarde,
Que j’ai voulu prendre nature humaine,
Pour l’affranchir, et que d’elle il fut gardé.
Garde nous donc, ô Seigneur des batailles,
De l’ennemi en ce combat mondain,
Qui nuit et jour tant d’estoc que de taille,
Nous livre assault cruel, et inhumain.
Ce que le Roi veut entendre.
C’est assez d’avoir jusqu’ici invoqué Dieu pour le présent. par quoi, Sire, il fera en toi maintenant
de réciter ce que tu désires t’être par moi exprimé selon le propos prétendu.
Le Roy : Pour autant que celui que tu viens de tenir, est de tant sacrées sentences rempli, il a si fort
retiré mon vouloir du premier, qu’il m’est survenu un grand désir d’entendre (premier que de venir
au principal) beaucoup de choses que tu as en icelui récitées.
Lazarel : Quand nous serons parvenus à la fin de celui que nous avons commencé à traiter, Sire,
lors tu entendras apertement, ce que tu souhaites entendre, et maintes autres choses, lesquelles te
seront par moi déclarées. Mais à présent diligentons-nous de poursuivre, ce que nous avons
entrepris de déduire. Ce que certes je répéterai, ainsi que me réduiras en mémoire, et remettras sus,
ce qu’aura été touché auparavant, Or à fin qu’il ne semble que j’ai pris mon commencement de
l’oracle d’Apollon, mais de la doctrine d’Hermès, entend ce que je veux dire conséquemment.
Toutes choses donc dès le commencement, étant faits et créées, Hermès acertaine Dieu avoir ainsi à
haute voix crié. Pullulez, gestez surgeons, croissez, multipliez, et dilatez vous toutes mes semences,
et toutes mes oeuvres. Vous pareillement auxquels est prêté quelque portion d’entendement,
reconnaissez votre genre, et considérez que votre nature est immortelle. sachez, l’amour désordonné
de ce corps, être la cause de la mort. Ce que certes s’accorde à Moïse au livre de la Genèse (2.3)
:Car ces paroles d’Hermès est contenu dans le bois de vie, par lequel nous vivons : et celui de
science du bien et du mal, par lequel nous mourons. Par laquelle chose nous est commandé (comme
on peut aisément l’apercevoir) de nous connaître nous-mêmes.
Le Roy : Je suis révoqué de ma première demande, et ai vouloir d’être appris de toi, quel bois c’est
que l’on appelle le bois de vie et le bois de science du bien et du mal. Car quant à ceci à grand peine
en trouve-t-on aucune déclaration entre les Saints docteurs, ou pour le moins (s’il s’en trouve) qui
ne soit bien enveloppée. De manière que je ne me puis assez émerveiller comme se fait que ce, dont
dépend l’entière ruine du genre humain, et sur quoi est fondée tout le sujet des saintes lettres, soit
demeuré totalement inconnu et indéfini. d’avantage comme précepte en Adam (duquel nous
dépendons par origine) a été tellement en nous planté et enraciné (qui sommes sa lignée par
dérivation) qu’avons encouru tel péril comme lui par sa désobéissance : au moyen de quoi nous
sommes continuellement en pareil danger de perdition, comme il a été. ce que s’apperçoit en cela
principalement, qu’il nous est impossible d’éviter, ce qui nous est inconnu. or, lisons nous en ces
saintes lettres, ce bois (duquel est notre propos) avoir été, non moins corporel que les autres arbres :
mais de quel arbre ait été ce bois, il ne s’en trouve rien : ni mêmement lisons nous ce précepte avoir
été révoqué de Dieu, après la transgression d’Adam.
Lazarel : J’ai autrefois lu, ô Sire, une sentence de Philo Alexandrin, au second livre qu’il a écrit de
l’agriculture, diverse à celle que j’ai un peu au dessus mentionnée, laquelle est telle. Le labourage
(dit-il) des plantes du Paradis terrestre, est conséquemment accordant aux choses, que nous avons
dit ci-dessus. car l’on dit que Dieu avait planté un lieu de volupté en Eden vers l’Orient, ou il avait
mis l’homme : qu’il avait fait auparavant du limon de terre. D’estimer, donc qu’il y eut en ce lieu
vignes, arbres, comme Oliviers, Pommiers de grenades, et autres semblables, c’est une grande folie.
or est-il que ce Philo fut jadis Hébreu, homme fort estimé en sagesse et prudence (et comme récite
saint Jérôme en son livre des illustres personnes) contemporaine des Apôtres, ayant grande
familiarité à Saint Pierre, le prince des dits Apôtres, et à Saint Marc l’évangéliste. Par lesquelles
choses on peut cuidemment connaître que le commencement de la primitive philosophie, et de tout
ce que l’on a, puis après par diligente inquisition controuvé, a son fondement sur les oracles des
saintes lettres. Pour autant donc, ô Roy, que tu me contrains à soigneusement éplucher la vraie et
saine intelligence, de ce qui a été sans aucune parfaite décision délaissé de ceux, qui ont divinement
parlé (car de fait aussi au regard des choses divines, l’humaine considération, est coutumièrement
déçue) je veux que ceci , et ce qui s’ensuivra puis après, ne soit de nous autrement acertené, qu’il
est de notre mère Sainte Église et assemblée des fidèles, approuvé, et maintenu pour vérité. car si
ainsi est que Platon en ses lois prohibe de rien innover ou ajouter à ce qu’on a reçu de l’oracle de
Delphes, ou de Dodon, ou de Ammon, ni même scinder aucune chose en quelques vieilles oraisons
qu’on dit avoir été révélées, par inspirations des Dieux, à moindre raison ne doit-on rien innover de
ce qui nous a été donné par les Saints Prophètes et élus du Dieu vivant, et même par Jésus Christ
notre sauveur, vrai Dieu et vrai homme. Et d’avantage, si ainsi est (comme le dit Platon en son
Thimeus récit) qu’il faille de nécessité ajouter foi à ceux qu’il appelle fils des dieux, encore que leur
dire ne soit confirmé et corroboré de vraisemblable opinion, à plus forte raison convient-il avoir foi
indubitable aux oracles et enseignements du vrai Dieu Jésus Christ, et aux commandements de ses
Prophètes et élus.
Le Roy : Ajoute d’abondant (s’il te plaît) qu’attendu que nous ayons reçu maintes grâces et
prérogatives de notre Dieu par le ministère de sa sainte Église, et de ses ministres, qu’il est
pareillement juste et raisonnable de lui soumettre tant nos faits, que nos dires. Mais Lazarel,
acquitte toi maintenant du parsus et poursuis ce que tu as intention de dire.
Lazarel : Il n’est pas, ô Roy, que tu naies entendu et lu souventefois (comme je le crois) es divins
oracles, Dieu avait pour l’amour de l’homme fait et créé toutes choses et l’homme pour l’amour de
Lui.
Le Roy : Il est vrai, nous l’avons entendu et lu maintes fois.
Lazarel : Après donc qu’il eut ainsi créé l’homme pour l’amour de lui, afin qu’il le reconnue en
tant que Seigneur et Créateur, et qu’il obéit à sa divine volonté, il lui donna pareillement une portion
de sa divine intelligence. Et ce à celle fin, que par le discours d’icelle il puisse s’élever en divine
contemplation, et en contemplant Dieu, il attirait à soi les substantiels rayons de la splendeur et
clarté, et par ce moyen acquit et obtint sapience, et finalement la vie éternelle. Ce qui a été signifié
par la parabole de ceux, qui sont ravis en la contemplation de leur âme, et de ce que Moïse appelle
bois de vie.
Le Roy : Tu veux donc conclure par cela, ô Lazarel, que le bois de vie, dénote l’élévation d’esprit
en choses divines.
Le bois de vie et l’élévation de l’âme.
Lazarel : Je le pense ainsi, Sire, et (pour mieux dire) je n’en doute pas.
Le Roy : Quel profit et émolument revenait-il à l’homme de telle contemplation, sinon la
tranquillité et l’heureux repos de son esprit.
Lazarel : Cela n’est pas de peu de conséquence, ô Roy. car outre l’heur et tranquillité de l’esprit,
laquelle procède de là, pour acquérir sapience, il se préparait davantage à être le digne temple ou
l’esprit de Dieu fit son séjour. Et avait par ce moyen les anges de Dieu toujours en sa compagnie,
pour guides et protecteurs. Au moyen de quoi devait à perpétuité (Dieu aidant) éviter la mort, qu’il
avait encouru par nature et avec ceci obtenir incontinent, tout ce qui lui serait gré.
Le Roy : C’était choses de grande efficacité, Lazarel, et dignes d’être de tous désirées, et appetées.
Mais vu que par le goût du bois de science du bien et du mal, nous les ayons perdues (comme par
toutes les lettres saintes il est mentionné) j’ai maintenant vouloir d’entendre, qui est ce bois dont est
suivit la destruction, et la ruine du genre humain.
Lazarel : Puisqu’il en est ainsi, que tu souhaites entendre ce que signifie le bois de vie, tu peux
aussi par moi entendre facilement de toi même, que peut être le bois de science du bien et du mal.
Car par la déclaration d’un contraire, l’autre est déclaré.
Le Roy : Je le comprends par quelque conjecture, mais j’attends l’entendre de toi plus
précisément.
Lazarel : Entends donc. Tu dois en premier lieu savoir, que tout ainsi que l’amour, contemplation,
et science des choses divines, est signifiée par le bois de vie, aussi consé-quemment que l’affection
des choses caduques et matérielles, se peut appeler le bois de science du bien et du mal.
Le Roy : Cela ne me satisfait pas encore assez : et si je ne le peux comprendre ni imprimer en mon
esprit. Car il m’est fort difficile de croire que Dieu ait prohibé de considérer ce qu’il a fait, au
moyen qu’il n’est aucun ouvrier, qui empêche de voir, et affecter son ouvrage. Et il m’est encore
plus difficile de croire, que par telle considération, l’homme ait encouru la mort.
Lazarel : L’excellent et parfait ouvrier Dieu, ô Roy, n’a pas défendu la contemplation de ses
oeuvres : mais trop bien a défendu, de trop s’y arrêter, et comme le haut et suprême bien les affecte,
ainsi que quelques anciens ont fait. Lesquels recevant le loyer, qu’ils méritaient de leur iniquité,
sont tombés en tel malheur et fourvoiement d’esprit, qu’ils ont appelé et pris pour dieux le Ciel, le
Soleil, la Lune, les Étoiles, et les quatre Éléments, et en abondance quelques bêtes brutes. Mais
l’éternel et tout puissant Dieu, veut et commande toutes telles choses, êtres comme par quelque
discours, vues et considérées, tellement que quasi par quelques degrés, notre entendement se repli
en lui, et que l’humain esprit se repose toujours sur la considération de sa divinité.
Car les choses invisibles de Dieu (ainsi que le dit l’Apôtre) à savoir sa puissance éternelle, et sa
divinité, apparaissent par la création du monde, en les considérant par les oeuvres de celui-ci. Et
Hermès : quand tu voudras voir (dit-il) et connaître Dieu, élève ta vue contre mont, et regarde le
Soleil, le cours de la Lune, finalement l’ordre de tous les astres. Saint Denys, au livre qu’il a écrit
des noms de Dieu, s’accorde à ceci, quand il dit. Nous diront cela, et peut être, à la vérité, à savoir
que ne connaissons point Dieu, quant à sa nature et substance, car au regard de cette nature, il nous
est inconnu, pour la raison qu’il surpasse toute humaine appréhension : mais le connaissons-nous,
par la bien et ordonnée disposition de toutes ses créatures, qu’il a tirées hors de ses investiguables
secrets, et mis en lumière de connaissance humaine, démontrant en cela et représentant devant nos
yeux, quelques images et semblances de ses divins exemplaires. De manière que par ce moyen,
nous montons (en tant qu’il nous loisible) jusqu’à celui qui excelle et surpasse toutes choses. En
cette manière donc, le souverain ouvrier, veut que ce qu’il a fait soit de nous considéré. par quoi
nous devons, par toutes ces choses garder, et maintenir un tel ordre, pour contempler ce que j’ai dit.
Car (ainsi que je l’ai mentionné au commencement de notre propos) le tout puissant et souverain
Dieu, a fait toutes choses, pour l’amour de l’homme, et l’homme pour l’amour de Lui.
Le Roy : J’entends maintenant et consent à ton dire. Mais je voudrais en outre que tu
m’apportasses quelques certains témoignages des sages (si tu en as en main) lesquels s’accordent en
cela, à cette fin, que ce que tu as dit, fut en mon esprit plus ferment empreint.
Lazarel : Nous en avons plusieurs, Sire, mais sous paraboles enveloppés, lesquels, à cause de leur
prolixité, te pourraient ennuyer, si je m’arrêtais beaucoup à te les réciter, ni le jour même suffirait à
te les raconter par le menu. Aussi ai-je toutefois délibéré d’outrepasser, sans en référer quelques
uns.
Le Roy : Il faut donc que cela se fasse, ainsi que le temps, le lieu, les grands et urgentes affaires
qui journellement surviennent, le requièrent. Car il nous convient, ainsi que le pasteur sur son
troupeau, d’avoir les yeux attentifs, afin qu’ils soient selon raison et équité gouvernés, si nous
voulons nous acquitter de notre devoir, envers celui qui nous en a commis la charge et intendance,
et qui est Dieu. Si est-ce nonobstant, que je ne veux, que pour cela, tu rescindes quelque chose, de
ce que tu sais être nécessaire, à la connaissance de la vraie félicité. Car nous posteposerions plutôt
tous autres affaires, que de laisser l’intendance de celle-ci, et qu’à notre possible, ni que nous en
fussions attentifs.
Lazarel : Salomon en ses Proverbes traitant de la sapience divine, dit en cette façon. C’est le
bois de vie, à ceux qui l’appréhenderont. Et derechef, en la nommant la femme de notre
adolescence. fais (dit-il) que ta veine soit bénite, et que tu t’assouvisses avec la femme de
ton adolescence. car dès le commencement, tout ainsi que l’homme connaît avec sa femme,
se soulage et prenait du plaisir avec elle : au cas pareil l’homme conjoint avec la divine
sapience, après avoir trouvé qu’en elle consistait le moyen de parvenir à la vie éternelle, se
délectait en elle. Et à ce propos, dit encore Salomon. Mon fils, dit à Sapience : Tu es ma
soeur, et appelle prudence ton amie, afin qu’elle te sauve et garde de la femme étrangère, et
de celle qui appartient à autrui, laquelle fardes ses paroles. Et d’ailleurs. Mets peine de te
délivrer de la femme, qui est à autrui, et de l’étrangère, laquelle adoucit ses paroles, et
délaisse le guide de sa jeunesse, et met en oubli l’alliance de son Dieu. Car sa maison tend à
la mort, et ses sentes es enfers. Et en même livre lit-on, que Sapience a édifié une maison, a
entaillé sept colonnes, a immolé des bêtes, a sacrifié pour la victoire, a brassé le vin, a dressé
la table et apprêté le festin, et finalement, qu’elle a dit en cette façon. Venez, mangez mon
pain et buvez le vin que je vous ai brassé. Délaissez votre enfance, et vivez. Et un peu plus
bas. La femme folle, et criarde, et pleine d’attraits voluptueux, et ne sachant rien, s’assied à
l’huis de sa maison sur une chaise, en un haut lieu, pour appeler ceux qui passent par la voie
et qui vont leur chemin. Quiconque est petit (dit-elle) vienne à moi. Et a parlé ainsi à
l’insensé. Les eaux furtives, sont plus douces que les autres, et le pain dérobé, est plus doux,
que n’est l’autre. Et n’a pas connu le pauvre malheureux qu’il y a Jeans des Géants, et ceux
qui à ce festin sont invités, habitent au profond de l’enfer. Celui qui se joindra à elle,
descendra aussi aux enfers : au contraire celui qui l’évitera, sera sauvé.
La signification des eaux furtives.
Tout ainsi donc que Salomon par tout ceci appelle le bois de vie, et la femme de notre adolescence,
Sapience divine : aussi au contraire appelle-t-il prudence de la chair, et application de l’esprit aux
choses terriennes, la folle femme criarde, pleine d’attraits voluptueux, ne sachant rien du tout, la
paillarde étrangère, et adultère. Dont vient, que Saint Paul nous admoneste en cette manière. Si vous
vivez selon la concupiscence de la chair, vous mourrez : si par l’esprit vous mortifiez ses faits, vous
vivrez.
Hermès pareillement assure l’amour du corps, être la cause de la mort. Car celui (dit-il) qui d’un
amour illicite, et désordonné, aime son corps, il erre dans les ténèbres, en lui-même apercevant
assez, les misères de la mort. Par quoi il faut savoir et entendre que Sapience en ce qu’induit
Salomon, avait édifié une maison, et l’avait appuyé de colonnes, n’est autre chose, que l’amour et
élévation d’esprit dans les choses divines. Ce qu’il appelle autre part la Femme de notre
adolescence, et Moïse le bois de vie. Pour cette cause, et elle dit avoir à haute voix crié : Délaissez
votre enfance, et vivez. Mais la folle femme et criarde, laquelle est alléguée en la parabole de
Salomon crier à haute voix devant tous, en un haut lieu de la ville, signifie l’application d’esprit aux
choses caduques et transitoires. Et par la paillarde, adultère et étrangère, est dénotée la prudence de
la chair (dit-il) est envers Dieu réputée pour folie. Ce que certes, est ce que Moïse veut signifier par
le bois de science du bien et du mal. Dont-il fut dit à Adam. En quelque jour que tu en mangeras, tu
mourras de mort. Et Salomon. Qui d’elle se ralliera, il trébuchera en enfers. Et David en ses
psaumes. Tous ceux qui de toi s’éloignent, ô Seigneur, périront. Tu as perdu tous ceux, qui suivirent
autre que toi.
Le Roy : Tu sais assez commodément revenir le sens des écritures au propos, que tu as entamé audessus,
d’où vient que je sois déjà en iceluy assuré et confirmé, sans y faire doute. Mais je
souhaiterai t’entendre me dire (s’il t’est loisible) que veulent signifier les eaux furtives, dont tu as
touché un peu au-dessus, et le pain dérobé, et pourquoi la folle femme est dite crier à haute voix
devant tous, à l’huis de sa maison.
Lazarel : Je le ferais très volontiers, Sire, selon ma petite capacité, si ce n’était que nous nous
éloignerions par trop de notre intention.
Le Roy : Non point trop, donne dedans tant plus hardiment, que nous sommes oisifs, sans te
troubler pour la survenance des attendants. Car ils auront demain expédition de leurs requêtes. Et
bien que nous soyons un peu tombés du premier propos, nous retournerons tantôt à notre dessein.
Réponds donc à la demande, que je t’ai faite.
Lazarel : Premièrement, Sire, Salomon en ses Proverbes, nous admoneste de persister en la divine
Sapience, par ces paroles. Bois l’eau de ta citerne, et les ruisseaux de ta fontaine. Car attendu que la
science des choses divines, est notre femme, et notre citerne, s’il advient que nous allions à quelque
autre étrangère, elle nous fournira, sans en avoir appercevance, d’eaux dérobées, et pain emblé. Car
tous adultères, sont communément appelés larcins, choses fausses, et contrefaites, et bâtardes. L’eau
donc de notre citerne, signifie l’intelligence de Sapience divine : comme au contraire les eaux
furtives, l’intelligence de charnelle prudence. Lesquelles deux significations, sont ailleurs figurées
par le vin. Le vin de divine Sapience, est celui, duquel le Messie nous fournit, ainsi que Zacharie dit
en sa prophétie. Qu’est-ce que le bien de Dieu ? Qu’est-ce que la beauté, sinon le ferment de ses
élus, et le vin engendrant les vierges ? Car après que par lui nous aurons été faits vierges, sans
aucune souillure et corruption féminine, lors suivrons-nous l’agneau par tout ou il ira, et pourrons
seuls chanter l’hymne et cantique des vierges, comme le dit Saint Jean, dans ses mystères de sa
révélation. Au regard de celui qui dénote la prudence charnelle, l’Apôtre le défend en cette sorte.
Donnez vous garde de vous enivrer de vin, ou git la luxure. Car tout ainsi que nous sommes faits
vierges, sans corruption, par le vin de sapience (car la chaste génération est celle, de ceux qui
cherchent Dieu) aussi sommes nous faits adultères et fornicateurs, par celui de l’étrangère. Laquelle
est à cette cause dite crier à haute voix à l’huis de sa maison, d’autant que la prudence charnelle, est
toujours ambitieuse d’honneur. Et encore qu’elle ne sache rien du tout, si est-ce néanmoins qu’elle
appète être toujours vue, et réputée docte, et expérimentée en tout savoir. Elle crie donc à haute voix
devant tous, et dispute par les rues, étant garnie d’obscurités de paroles, propos ambigu, et sottes
subtilités, et conclusions sophistiques. Mais celui qui parle par cavilatoire argument (dit le Sage) est
coutumièrement haï, et ennuyeux aux autres : et si sera en toutes choses défraudé, au moyen qu’il
ne lui est donné aucune grâce du Seigneur. Qui fait qu’il soit de toute sagesse d’entré. Mais je te
supplie, Sire, que ne sortions plus si loin hors de notre propos et première intention, mais retournons
à notre entreprise. Car j’ai bon vouloir de te révéler à la fin de ce propos, quelque grand secret,
touchant le dernier fruit du bois de vie. Voire qui est en toute vertu tant parfait et accompli, que
celui qui en aura une fois goûté, ne pourra jamais aimer autre chose en cette vie mortelle.
Le Roy : Cela sera bon, et crois bien qu’il n’est pas de petite estime, puisque tu le dis, dont j’ai
vouloir de l’entendre. Mais afin que nous ne laissions manque et imparfait ce peu reste en cette
notre dispuste, expliquons le, premier qu’entamer autre chose : à savoir qui sont les Géants
(desquels parle Salomon) qui fréquentent cette paillarde : conséquemment, qui sont les femmes
avec lesquelles ne se souillent pas ceux qui sont vierges.
Lazarel : Premièrement, Sire, ceux qui fuient divine Sapience, sont communément dits Pigmeans,
c’est-à-dire Nains, selon l’interprétation de saint Jérôme. Pigmeans, dit-il, valent autant à dire,
comme connu du Seigneur, ou connaissants le Seigneur. Desquels parle le Sauveur. Laissez venir à
moi les petits : car c’est à eux, à qui appartient le Royaume des cieux. Et à ce propos, est écrit dans
les Psaumes de david. La déclaration des paroles, Seigneur, donne clarté et entendement, aux petits.
Mais au rebours, ceux qui s’appliquent aux choses fragiles et mondaines, sont les Géants. Et pour
ceux-ci est-il dit dans les Proverbes de Salomon. L’homme qui se fourvoiera en la voie de la
doctrine, demeurera en la compagnie des Géants. Ce sont ceux, qui ont édifié, et puis muni de
hautes tours la ville de Babylone. Ce sont ceux, qui amoncelant montagnes sur montagnes, sont dits
par le poètes avoir affecté une fois le Royaume céleste. Lesquels finalement, ont été accablés sous
les montagnes, et du tout éteints. Desquels est écrit en l’Ecclésiaste. Les anciens Géants, n’ont point
prié pour leurs offenses, par quoi ils ont été détruits, d’autant qu’ils se confiaient en leur force et
vertu. Et Isaï : Notre Seigneur (dit-il) autres seigneurs nous ont possédés que toi, fais seulement que
par toi ayons souvenance de ton nom. Fais que ceux qui meurent ne vivent jamais, et que les Géants
ne ressuscitent plus. Par quoi tu les as visités et détruits et réduit toute leur mémoire à néant. Qui est
la cause pour laquelle les Feinct on avoir les pieds comme des serpents, à l’occasion que employant
tout leur sens et astuce aux choses sensibles et matérielles, ne se traînent seulement que par choses
viles et abjectes de ce monde, sans jamais s »élever dans les divines, ne croyants point plus la vérité
des choses qu’autant qu’elles s’éprouvent par les persuasions des sens.
Le Roy : Certes je m’y accorde maintenant. Non seulement j’entends au vrai ce que c’est que les
Géants et pourquoi sont appelés pieds de serpents, mais d’avantage m’est faite ouverture par ce
moyen, à entendre la fiction du poète Hésiode et la femme Pandora. La-quelle il décrit avoir fort
inconsidérément ouvert la boîte, que Jupiter lui avait envoyé pour singulier présent. Qui fut cause
que tous les biens et vertus s’envolèrent au ciel fors espé-rance seule, laquelle demeura au bord du
vaisseau. Car que dénote autre chose Pendora, qui vaut autant dire, comme le don de toutes choses,
sinon la science de toutes choses matérielles et sensibles ? Laquelle ouvrant le vaisseau de notre
entendement, et faisant en celui-ci sa demeure, fait que tous les biens le délaissent et qu’ils se
départent de lui, et s’envolent autre part fors espérance seulement. Car continuellement nous
espérons que tous bien nous adviennent, jamais toutefois nous ne voyons, que par ce moyen ce que
nous espérons pouvoir obtenir, s’enfuira au moyen de cette même espérance nous laissant plus
reculés du bois de vie.
Lazarel : C’est très bien interprété à toi, ô Sire, encore qu’il me semble avoir autrefois chanté le
contraire au livre de mes fastes, en cette sorte :
Bien qu’il soit dit par fabuleux mensonges
Qu’epunethée fut cause de la mort:
Si toutesfois apert il que sont songes :
Car Eve fut, qui nous causa ce tord.
Or ce que j’ai dit en ce lieu de mes fastes touchant ce passage, n’a pas été pour la déclaration
d’icelui : mais j’ai voulu seulement faire quelque allusion par manière de passe temps, à la fiction
du poète Hésiode.
Fiction poétique et vérité théologique.
Le Roy : Certes je ne peux qu’assez m’émerveiller, comme se fait que les fictions poètiques,
s’accordent à la vérité Théologique.
Lazarel : Tu n’as cause de t’en émerveiller, ô Sire, pourvu que tu entendes ce qu’ont laissé par
écrit les anciens Théologiens. Et principalement Hermès, lequel étant prince de l’ancienne
Théologie, n’a pas trouvé étrange d’envelopper et cacher la vérité Théologique, sous telles fictions.
Mais maintenant de notre temps, toutes fables sont presque de tous sans nul égard et révérence de
vérité acertenées apertement, et maintenues pour véritables. Ce que prévoyant Hermès devait une
fois advenir, en devinant, ainsi se plaignait. O Égypte, Égypte, les seules fables de tout l’honneur et
révérence que tu as faite aux dieux, demeureront autant incrédibles à tes successeurs, que de bon
coeur les as faites, ni ne demeurera autre chose que les seules paroles gravées dans les pierres,
récitant les tiens beaux et pitoyables faits. Semblablement les saints Théologiens de la religion
chrétienne, que l’on appelle Prophètes, ont usé pareillement de telles fictions poétiques. Ce que tu
trouveras être tel, si tu veux feuilleter leurs divins oracles. Desquels Saint Denys, au
commencement de la hiérarchie céleste, parle en cette manière. Donnons nous garde d’être séduit
par l’erreur du commun vulgaire, estimant vulgairement les célestes esprits, qui n’ont autre espèce
que divine, et n’avoir divers pieds, et divers faces. Et que ne les imaginions si sottement que nous
les estimions au ciel avoir leurs formes et figures, ou selon la pesanteur et solidité des boeufs, ou
selon l’arrogance et fierté des Lions, ou selon l’effigie des Aigles avec leurs becs courbes, ou selon
l’étendue et diversité de plumes des oiseaux : ou être en cet endroit quelques roues enflammées de
feu, et siège matériels, nécessaires à la gésine de la souveraine divinité : ou quelques chevaux de
diverses couleurs et gardes armés, Ducs, Barons, Roys, et Empereurs, et telles choses semblables,
lesquelles nous sont par écrit rédigées fort divinement par évidente et expresse diversité de signes.
Car Théologie use à force de fictions poétiques, pour donner a entendre aux hommes, et décrire les
divins esprits, n’ignorant point ( comme nous l’avons précédemment dit) l’imbécillité de
l’entendement humain, et lui montrant de loin par une incrédible bénignité la propre et naturelle
(bien que toutefois incongrue) voie, par laquelle se doit élever haut : Et autant qu’il lui est possible,
lui dressant dans les Saintes lettres les sentiers de telle élévation. Jusqu’ici Saint Denis, Rabi Moïse
Égyptien, pareillement au livre qu’il a écrit et nommé Malachin, semble avoir voulu signifier le
semblable, quant il dit : il faut entendre que la Sainte écriture appelle de divers noms, le haut et
sublime loyer, et le non pareil bien, de tous les prophètes de Dieu, le Tabernacle de Dieu, le Temple
de Dieu, la maison finalement, et porte de Dieu. Les docteurs mêmes le nommant un banquet, ou
festin, et siècle futur. Jouxte ceci semblablement Pithagoras, Empedocles, Parmenides, avec
Héraclius, ont faits des fables des dieux. Mais attendu que notre âme (comme le dit le même Saint
Denys) se meut par ses actions spirituelles, et s’étend aux choses intelligibles, déjà les sens sont
superflus, et autres semblables choses. Tu as lu aussi autrefois, comme je le pense, dont ils disent
que poésie a eu son commencement. À savoir, que tout ainsi que les anciens sages ont voulu que les
temples aux dieux consacrés, fussent plus magnifiquement édifiés, que les humaines habitations,
aussi ont-ils été d’avis, que la voix par laquelle leurs hymnes, et louanges se chantent, fut proférée
plus haut, que le coutumier parler. En telle sorte aussi, disent-ils, que la poésie avait été inventée,
sous laquelle est cachée vérité, soit elle ores couvertes de fabuleuses couleurs.
Le Roy : Nous avons très souvent entendu et lu cela, dans les livres des anciens. Assurément, afin
que je te dise la vérité Lazarel, ce propos que nous traitons m’est si plaisant, qu’encore que le Soleil
soit de nous fort approché, et tempérant le dernier quartier du printemps, soit fort acru : si me
semble-t-il néanmoins être plus court que de coutume. Or avant donc maintenant puisque tu as
interprété, qui sont les Géants, déclare nous conséquemment comment doivent s’entendre les
femmes, desquelles nous avons parlé ci-dessus.
Lazarel : Les femmes avec lesquels se souillent ceux qui ne suivent pas l’agneau, sont
douces dé-ceptions, caressantes persuasions, et toutes autres affections sensuelles.
Lesquelles Moïse au livre de la génération, appelle les filles des hommes, avec lesquelles les
enfants de Dieu ont habité. Lesquelles filles humaines, se séparant de son unité en
innumérables parts divisée (ainsi que le dit Philo) enfantent avec extrême douleur. Au
moyen qu’elles enfantent milles fausses figures, fausses couleurs, et fausse concupiscence et
convoitises par les yeux, belles paroles de voix, doux langage et gracieux et caressantes
mignotises. Étant donc l’âme ainsi d’une multitude de filles environnée, et incontinent
forcée, et lors les enfants de Dieu entrent en elle. Car pendant que les purs rayons de la
Sapience reluisent en notre âme, par lesquels nous contemplons Dieu et ses vertus, nulles
menteuses, deceptives, et fausses nouvelles entrent dans les pensées : mais courant ça et là
extérieurement, s’en vont toutes dans les lieux purgatifs. Mais quand la division de cette
unité, la lumière de l’entendement est hébétée, est rendue plus imbécile que de coutume,
alors s’approchent les ténèbres, avec l’assemblée et amas de leurs efféminées et dissolues
perturbations (lesquelles appelle Moïse, les filles des hommes) donnent un assaut au dit
entendement, lequel finalement elles s’emparent et occupent. Ce sont ici les femmes, qui
conçoivent et portent lignée pour soi-même, et non pour Dieu. Or il est commandé à notre
âme de produire lignée à l’honneur de Dieu, et non au sien. Ainsi comme Abraham engendra
son fils Isaac à Dieu, et non à soi-même, étant prêt à lui offrir et sacrifier. Mais Adam
délaissant le bois de vie, c’est à savoir la contemplation de l’unité, et descendant au bois de
science du bien et du mal, c’est-à-dire, à la suite et application des choses sensibles, a
engendré plusieurs filles : et étant par ce moyen tombé de sa justice et dignité primitive a
encouru la mort. Par quoi décrit Moïse, que Dieu dit ainsi de lui. Voici Adam fait quasi l’un
de nous : sachant bien et mal. Et dans ses psaumes et écrit : L’homme étant en honneur, c’est
tellement méconnu, qu’il a été accompagné aux bêtes irraisonnables, et sans entendement, et
à elles fait semblable. Et Hermès en son Pimander : Mais après que l’homme eut considéré
en Dieu son père, la création de toutes choses, lui-même aussi à l’imitation de Dieu, a voulu
édifier et bâtir. Dont il est tombé de la contemplation de son père, en la sphère de génération.
Et un peu après. L’homme a été supérieure harmonie, mais lui est tombé en celle de ce
monde, et a été fait serf.
Le retour à la première félicité.
Le Roy : Cette tienne interprétation, m’est merveilleusement plaisante Lazarel. Car encore que
l’on donne de ce plusieurs et diverses, non moins toutefois pitoyables, bonnes, et saines
interprétations, si est-ce que celle-ci (comme il me semble) est l’âme des écritures. Qui fait qu’ores
qu’il me soit survenu vouloir de te questionner de plusieurs choses, si aurai-je néanmoins patience
jusqu’à un autre et plus opportun temps, craignant de trop loin nous détourner de notre propos.
Lazarel : Il vaut mieux s’en abstenir, Sire, pour le présent, si nous voulons venir à chef de notre intention.
Car à la façon de l’hydre que tua Hercule au palais de l’Erne, si tôt qu’une tête de notre
présent propos est coupée, ils s’en élèvent et sourdent plusieurs autres. Car de fait aussi le lieu
s’adonnerait à éplucher que signifie le serpent, que signifie Adam, que signifie Eve, et plusieurs
autres choses semblables, mais je suis d’avis (s’il te plaît) de les laisser, et retourner d’ou nous
sommes partis.
Le Roy : Ainsi l’entendais-je être fait, pourvu qu’en priorité tu me récites comment il se fait que
pour avoir goûté du bois de la science du bien et du mal, l’homme ait encouru la mort.
Lazarel : Entends-le, ô Sire, selon que je le pourrai interpréter, et te le donner à entendre. Lorsque
l’homme était le clair et luisant temple de Dieu, ou son esprit habitait, par la présence duquel il était
immortel ( par grâce toutefois et don de justice originelle et non par nature : car de fait il était
composé des contraires) la divine splendeur, laquelle en lui habitait, mettait paix aux désaccords et
contrariétés des éléments. Mais après la transgression faite, que la lumière dédaignant, et ayant en
horreur le péché, c’est de lui départie, toutes ténèbres ont occupé son lieu. Et ainsi le temple des
claires et luisantes vertus, a été fait l’habitation et manoir des obscures ténèbres. D’où non
seulement la bride a été lachée à toute méchanceté au moyen de quoi l’homme a été délaissé de
toutes bonnes et louables vertus. Dès lors toutes maladies et infirmités se sont élevées, et vieillesse
est allé toujours en croissant. Dont écrit Moïse, les hommes n’avaient pas longuement vécus après
la transgression faite. Mais quelque temps après, que transgression se sont amassées sur
transgressions, péchés sur péchés, iniquités sur iniquités, malheurs sur malheurs, et que les hommes
y ont été attirés par les ténèbres et erreurs qui les possédaient, la vie de l’homme c’est fort
amoindrie. Par quoi Moïse assure Dieu avoir ainsi dit. Mon esprit ne demeurera pas avec l’homme à
perpétuité, à cause qu’il est charnel, mais seront ses jours pour plus de six fois vingt ans. Mais à
présent, Sire (ô nous misérables) la vie de l’homme est tant raccourcie et abrégée, qu’à grande
difficulté on atteint le centième an. Et qui pis est (ô misérables que nous sommes) les compagnons
des ténèbres habitent en nous tout le long de notre misérable vie. De manière que la circoncision n’a
pu nous en délivrer, ny y remédier. Le Baptême pareillement, encore que le ministre commandant à
l’immonde esprit de sortit hors de l’homme, et donner lieu à celui de Dieu, nous délivre des
immondes et infectes ordures du péché originel : si est-ce néanmoins qu’elles y entrent derechef
violemment, et ravissent à toutes manières d’iniquités. Ce que prévoyant Hermès il s’exclame en
cette façon. Il se fera (dit-il) une division douloureuse, et ennuyeuse des Anges d’avec les hommes.
Les seuls malins esprits demeureront sur la terre, lesquels mêlés avec l’humanité, inciteront les
misérables mortels (en donnant même confort et aide de bras) à tous les malheurs, guerres, rapines
et toutes telles choses contraires à la nature des âmes.
Le Roy : Il est à savoir si l’homme retournera à quelquefois, et pourra recouvrer sa première
félicité.
Lazarel : Comme une fois, Sire, la vérité Jésus Christ parlait de la vie éternelle, et plusieurs juifs,
qui se trouvaient là, en dussent scandalisés, et tournassent dos arrière, il dit. Cela vous scandalise
par aventure, que j’ai dit que le fils de l’homme devait retourner ou il était premièrement. De même
Rabi Joseph, en son Sépher Zohar, c’est-à-dire, au livre de la splendeur dit en cette façon. La mort
fut été de nous totalement détournée, si Adam n’eut point offensé. Mais pour autant qu’il a prêté
l’oreille au serpent, il s’est acquis tant à lui, qu’à ses enfants, et neveux, et en général à tous ses
successeurs la mort de l’une et l’autre nature. Au moyen de laquelle offense, la génération est
demeurée en manque et imparfaite, n’ayant ni fin ni accomplissement, jusqu’à ce que le grand Roy
Messiach soit venu : et lors la macule de si grande désobéissance, sera amortie et annulée, et
retournerons les hommes encore derechef à leur première nature, à laquelle les avait disposés la
divine providence. Je conclus donc par ce point qu’encore une fois retournera l’homme à ses biens,
possessions et héritages. Si est-ce néanmoins que cependant, nous malheureux et infortunés
soutenons le méfait du premier homme, ensemble les fardeaux de nos crimes. Lesquels sont si
pesants que si se n’était la grâce divine, laquelle journellement nous protège, nous succomberions
sous le poids.
Le Roy : À bon droit donc doit être pleurée la misère et calamité humaine. En ce que
principalement, que ce qui avait été fait en nous originellement par le fait d’Adam, comme en la
chose enflammée et nourrissante, a été fait actuel par nos propres oeuvres et démérites, d’autant que
nous sommes journellement alimentés du bois défendu. Et toutefois nous voyons (chose plus
lamentable) que nul n’y a égard, nul est qui cherche Dieu, nul est (selon la voix du Prophète)
jusqu’à un seul.
Lazarel : Certes, Sire, comme tu dis, la vie humaine est merveilleusement à déplorer, digne de
vraies et non faintes lamentations, digne finalement de triste et dolente querimonie. Par quoi je te
prie, que pendant que j’en ferai complainte, tu sois à moi attentif.
Complainte sur la misère du genre humain.
Ô combien sont abusés les humains,
Délaissant Dieu, pour souffrir tant d’oppressions :
Tant de tourment, angoisse, et travaux vains :
C’est bien Sathan, qui tant les grève et presse.
C’est bien Sathan, qui leur met en la tête
D’oublier Dieu, l’honneur, et bienséance
Qui leur est du, le haut loyer, et fête
Du grand Seigneur, dont avaient récréance.
Ils en étaient en vraie possession,
Ne fut Sathan, l’infect et vicieux,
Qui les attrait à toute infection,
Suivre ses faits, en postposant les cieux.
Ils aiment mieux, suivre l’ombre ombrageuse,
L’oblique voie, que l’adresse et sentier.
Ils aiment mieux ténèbres périlleuses,
Le faux chemin, que le droit et entier.
Jusqu’à un seul, tu n’en verras pas un
Ne dresse aux siens quelques embûches, ou menées,
Tout est tout plein d’abus et fiction,
De faux semblant, de dols, et de fallaces :
Il n’ont ni coeur, ni bulle affection
Envers parents, mais tout gît en menaces.
Qui fait cela, sinon outrecuidance?
Et délaissant la cité Sainte et monde,
De Babylone font leur fort, et défense,
ou tout orgueil, et toute ordure abonde?
D’où vient cela (dit de Sion la Vierge)
Mes chers enfants, qu’attraits de la paillarde,
M’abandonnez s’est ce que je suis la verge
Du droit divin, que je veux que l’on garde?
Est-ce d’autant que de mort vous retire?
Hélas voyez, je vous prie, le blafard,
Le doux venin, par lequel vous attire :
Voyez de près, et lors verrez son fard.
Tout l’effort gît de cette abandonnée,
Vous attire en ses embûches et lacs,
Les yeux bandés, voilà sa vraie pensée :
Gardez-vous en, que ne défiez hélas.
Ses alliés, sont les cruels Géants,
Qui contre Dieu font effort, et la guerre,
Lesquels après ont mal finis leurs ans,
Car sont tombés dans les enfers, à grand erre.
Vois donc la fin, et le commencement :
Car d’autant qu’un en ce mortel manoir,
Élève en soi l’humain entendement :
D’autant croit-on, de maux après avoir.
Viens donc à moi, mon fils, je suis ta mère,
Qui t’engendra et te nourrit de son lait :
Bois de mon vin, qui n’a douleur amère,
Mais qui du tout, rend l’homme très parfait,
C’est le vrai vin, qui fait les Saints ministres,
Chastes, dévots, du haut Dieu éternel,
Pour le servir, sans nuls défauts sinistres,
Lassus au ciel, à jamais immortel,
Evitez donc (pour la conclusion)
Les faux semblants du déloyal trompeur,
Et fuyez, sans point de fiction,
Celui qui peut, lui seul donner bonheur,
Mais combien soit, que la vierge s’efforce
À remontrer aux aveugles humains,
Si toutefois pour tout cela non force.
L’on prêche prou, ils n’en font jamais rien moins,
Et aiment mieux se vautrer en l’ordure,
Comme pourceaux, qu’avoir recours à l’onde
Du vrai ruisseau, qui toujours court et dure
C’est Jésus Christ, qui tout nettoie le monde.
Or sommes nous ores venus, la grâce à Dieu à chef de notre complainte, Sire. Par quoi il te plaira
d’évoquer maintenant ce dont tu m’avais questionné au commencement de notre propos, s’il t’en
souvient.
La connaissance de soi et l’ouverture sur la félicité.
Le Roy : J’en ai bonne souvenance, Lazarel, et plus enracinée en ma mémoire, que tu ne le crois.
Or il a été dit, que la connaissance de soi-même était celle, laquelle faisait ouverture et chemin à la
vraie félicité. Qui fait que j’aie vouloir d’entendre le moyen, comme nous pouvons nous mêmes
connaître.
Lazarel : Entends le donc, Sire. Premièrement il faut savoir, que tout ainsi que nous pouvons
connaître la figure et image d’autrui dans un miroir, ou en quelque pièce de monnaie, si nous ne
connaissons premièrement d’où elle ressort, et celui qu’elle représente : au cas pareil, si nous ne
connaissons Dieu, nous ne pouvons nullement nous connaître nous mêmes. Car ces choses ci sont
réellement connexes et liées ensemble, que si l’un est ignoré, on ignorera l’autre pareillement. Car
de fait, (ainsi qu’il est dans les Saintes lettres contenu) nous sommes l’image de Dieu. Et encore
qu’il y en ait qui débattent y avoir différence entre être à l’image de Dieu, et être l’image de Dieu, si
toutefois me semble-t-il, que l’un vaut l’autre, et qu’ils ont même importance et signification.
Le Roy : Apporte-moi quelque témoignage (si tu en as en main) en face de ceci.
Lazarel : Tu me contraints de m’éloigner trop loin de notre entreprise, Sire, Incontinent que
sommes retournes à notre chemin, tu nous commandes derechef d’en sortir hors. Ce néanmoins si te
faut-il consentir et accorder à mes paroles, ores qu’elles soient toutes nues, si tu veux entendre le
secret que j’ai vouloir de mettre en évidence. Le quel long temps a, que j’ai compilé en moi-même,
et puis ordonné, finalement mis en garde, et enfermé au très for de mon entendement. Il faut
(comme il se se dit vulgairement) que celui qui d’un autre apprend, s’accorde facilement à son dire.
Le Roy : Sans y faire doute. Mais en tant que j’aperçois et considère tes paroles s’affermir par
témoignages des anciens, d’autant abondamment se fait mon esprit. Par quoi assures-toi, que si tôt
qu’auras ceci fini, nous retournerons tout soudain à notre premier chemin.
Lazarel : Philo au second livre de l’agriculture, récitant un passage de moïse, auquel est écrit
en cette forme : Faisons l’homme à notre image et semblance, dit ainsi. Ce haut et excellent
personnage Moïse, a dit que l’espèce de nature humaine, a été faite semblable à celle de
celui qui ne fut jamais engendré. Ou il faut noter, qu’il a entendu dire de la même image de
l’éternel et invisible Dieu. Saint Paul pareillement écrivant aux Corinthiens : l’homme (ditil)
ne doit cacher son chef, pour autant qu’il est l’image de Dieu. Vu donc et attendu que
Moïse et Saint Paul aient parlé par l’impulsion et instinct du saint esprit (lequel ne peut à soi
aucunement discorder) et que Moïse ait dit, l’homme avoir été fait à l’image de Dieu, et que
Saint Paul semblablement assure être l’image de Dieu , l’on connaît aisément par cela, eux
avaient voulu une et même chose signifier. Il faut aussi alléguer ce que dit Hermès en son
Pimander. Le père (dit-il) étant l’intelligence, vie, et lumière de toutes choses, a créé
l’homme à son image et semblance, et s’est en lui enfoui et complu, comme à son fils même.
Et ailleurs parlant de Dieu. Son nom (dit-il) est celui duquel procède tout autre nom, l’image
duquel, est toute nature. Si donc ainsi est que toute nature soit l’image de Dieu, à plus forte
raison, l’est l’homme, pour l’amour duquel ont été toutes choses faites et créées.
Comment il faut connaître Dieu.
Le Roy : Ce que tu dis, est tant clair et manifeste, que j’estime falloir nécessairement outre passer,
et plus ne nous y arrêter, mais plutôt retourner à ce, dont a pris fondement notre question. Or me
semble-t-il être fort difficile, et pardessus les forces et vertus de l’entendement humain, de pouvoir
connaître Dieu, présupposé ce que dit la vérité. Nul connaît le fils, fors que le père, ni le père, sinon
le fils, et celui auquel plaira au fils le révéler.
Lazarel : Ton objection, Sire, n’est autre chose qu’un incident et réponse à ce qu’a été dit cidessus,
à savoir, que nous ne pouvons avoir la connaissance de nous mêmes, si pre-mièrement nous
ne connaissons Dieu. Mais toi au contraire appuyé sur la sacrée autorité évangélique, dis que Dieu
ne se peut connaître. Or pour faire réponse à cela, je ne vaux pas que l’on pense de moi, qu’à la
façon d’un poète, je me veuille asseoir sur le trépied de quelque Muse, afin qu’à la façon d’un
étourdi et dépourvu de sens dégorger licencieusement, sans crainte de ma réputation, tout ce qu’elle
me pourrait réduire en mémoire : mais selon la bien séance chrétienne journellement me promenant
par les bois de plaisance, et ombres du mont de Sion, et par les délicieux lieux de Tempé, à la
manière que j’ai été institué dans les divins commandements de Dieu. Desquels certes je proteste
devant tous ceux qui me voudront entendre, avoir recueillir principalement tout ce que je dois
réciter : secondement l’avoir connu tant par raison naturelle, que par manifeste expérience. Or ne
suis-je si ignorant que je ne sache bien, ne se pouvoir chose aucune absolument et précisément
affilier à Dieu, en tout ce que nous apercevons par nos sens. Car il faut nécessairement confesser,
tout ce de quoi l’humaine intelligence donne définition être au-dessous de Dieu, qui est une
puissance non limitée. Qui fait que je ne veux dire à présent et confesser, qu’il nous faille ainsi
connaître Dieu, de manière que nous le connaissions quel qu’il soit en la séparation de soi-même
d’avec toutes autres choses, quel qu’il soit en la totale substance de soi-même, quel qu’il soit en la
solitaire rétirance de sa divinité, et que c’est finalement que sa substance. Car cela est par trop
difficile, mais plutôt impossible de connaître, pour autant que l’humaine nature intelligence ne peut
si haut atteindre et pénétrer. À quoi s’efforçant à quelque fois Platon outre toutes les forces et vertus
d’entendement humain, à la fin après avoir contemplé l’excellence et hautesse inénarrable de Dieu,
tomba en un pernicieux, et damnable erreur, assurant que Dieu ne se mêlait, ni ne se communiquait
aux hommes aucunement. Ce que si ainsi était la pauvre nature humaine, délaissée en la puissance
de toutes ténèbres, deviendrait en chartre, et assècherait totalement par défaut d’humeur divin. Mais
notre profession chrétienne, est en cela entièrement contraire. Car nous croyons de coeur, et
confessons de bouche sans doute aucun, que Dieu a été incarné au ventre virginal, et qu’il s’est à
nous communiqué. Par quoi il nous convient ainsi connaître Dieu , comme Saint Denys au livre des
noms divins, nous commande de faire. C’est à savoir que toutes choses divines, et celles mêmes
lesquelles nous avons connues par déclaration, ne se connaissent que par participation seulement. Et
si d’avantage, il faut que nous retenions, qu’il n’y a sens qui puisse atteindre, jusqu’à connaître et
savoir comme elles sont en leur commencement, et siège. Ou que nous appelions donc cette chose
occulte, qui est par-dessus toute essence, Dieu, ou vie, ou substance, ou lumière, ou verbe, si est-ce
néanmoins, que par cela nous n’entendons autre cas que telles participations et vertus sortantes
d’elle, au moyen des quelles nous nous élevons en Dieu, et nous soit donnée substance ou vie, ou
Sapience. Car il y a maintes choses entre les divines (comme le même dit l’Ecclésiaste hiérarchie)
lesquelles sont aux hommes inconnues, et ont de fort dignes causes, lesquelles sont seulement après
Dieu notoires aux excellents ordres angéliques. Combien qu’il y en ait maintes autres à ces
souveraines substances cachées, qui font un seul Dieu manifeste. Au moyen que Dieu a constitué
certains degrés, à l’humaine condition, lesquels n’est loisible excéder, ni de surpasser.
Le Roy : Tu me dis chose qui ne soit véritable : mais je voulais en outre être de toi enseigné de la
manière comment il nous faut connaître Dieu.
Lazarel : Vu donc que Dieu est sur toute intelligence incompréhensible (comme le témoigne le
même Denys en sa Théologie mystique) et sur tout ce qu’on pourrait dire, ajouter, ou diminuer,
affirmer, ou nier, inénarrable, il nous faut croire fermement, et confesser simplement, être un Dieu
en trinité, et trois en unité, le père, le fils, et le saint esprit. En quoi s’accordent les docteurs
Hébraïques avec nous, comme on lit au livre de Bresist Rabba, qu’a écrit Rabbi Moïse Adera. Dieu
(dit-il) lequel est commencement de toutes choses, lumière, éternité, et le Saint, s »appelle Ab,
c’est-à-dire père. Un Dieu, profondité, Sapience, Fontaine dont toutes choses ont leur source et
origine, qui est engendré, ou qui procède du père, et est le premier commencement, s’appelle Ben,
qui vaut autant à dire, comme le fils. La racine de son coeur, est la perfection et comble de sa
volonté, ou celle même des deux, s’appelle l’union de la vision divine. Et sont néanmoins tous trois
de même substance et perfection, et si ne sont qu’un, sans différence aucune de l’un à l’autre.
Considère, je te prie, Sire, comme apertement par ces paroles, est déclarée et décrite la divine
Trinité. Encore toutefois qu’aucuns d’entre les Hébreux, ou d’ignorance circonvenus, ou incités par
certaines malice, nient de grande obstination, qu’il ait en Dieu trinité. Mais quant à nous, nous le
devons tenir et croire très constamment, si nous voulons suivre la vérité, et acquérir immortalité. Et
s’il faut de nécessité, que fermement nous croyons tout ce qu’a été institué et défini, touchant la
divinité, par les Saints pères dans les Canons, par eux faits et accordés. Lesquels si nous les
voulions à présent réciter, ferait par trop prolonger notre propos, et intention. Mais que sera ce qui
nous rendra aptes et idoines, et suffisamment disposera, pour entendre le mystère, que je contiens en
mon esprit, et travaille à mettre hors ? Il n’y aura certes autre chose, qui nous puisse mieux à cela
préparer, que de méditer Dieu être la cause de toutes choses, et leur créateur, et qu’il les a créés pour
l’amour de cet excellent et divin animal, qui est l’homme. Car (comme le dit Hermès) après que
Dieu eut fait et formé l’homme à son image et semblance, fut si fort délecté de sa propre forme,
laquelle voyait reluire en lui, qu’il lui soumit toutes ses oeuvres pour son usage, à lui seul entre
toutes autres créatures de ce monde se manifestant et déclarant. Qui est la cause pour laquelle
s’émerveillant le prophète royal, s’exclame en telle manière. Qu’est-ce, ô Seigneur Dieu, que de
l’homme, que tu t’es à lui ainsi manifesté ? Ou du fils de l’homme, que tant tu le réputes, et
estimes ? Dieu (pour bien dire) a tant prisé cette créature, que de son éternité est dévalée et
descendue au temps et prenant le vêtement de la chair, il s’est fait homme. Il a donc par ce moyen
fort exalté, et magnifié l’homme, l’oeuvre de ses mains. Et de fait aussi est-il digne d’être
grandement exalté, pour autant qu’un tant excellent ouvrier, n’ignore point combien doit être estimé
son ouvrage. Car tout ainsi que le ciel fait par son image et lumière, ce que la force est vertu du feu
ne fait par sa qualité naturelle, au cas pareil fait Dieu par son image, qui est l’homme, ce que ne
peut faire le monde par sa propre et naturelle puissance. En cette forte Moïse, Jésus, Hélie et tous
les autres prophètes et élus de Dieu, ont été excellents à faire de merveilleux miracles.
Le Roy : Tu dis fort bien et choses que j’entends volontiers. Lazarel : mais en outre je te prie de
me déclarer, ce que c’est que l’âme humaine.
Lazarel : Je le veux Sire, et si ne te ferai pas maintenant réponse selon l’opinion d’Aristote, qui dit
que notre âme est la forme d’un corps organisé : ni selon les diverses sentences des philosophes,
que ce soit une essence, ou nombre soi mouvant, ou quelque harmonie, ou idée, ou l’alliance et
l’union et concorde des cinq sens, ou un esprit délié épars par tout le corps, ou une exhalaison et
vapeur, ou une étincelle de l’essence des étoiles, ou un esprit conglutiné avec le corps, ou un esprit
entremêlé avec les atomes, ou feu, ou air, ou eau, ou sang : ou qu’elle consiste de quelque essence
quelle qu’elle soit, ou terre et d’eau, ou d’air et de feu. Il se peut faire nonobstant que toutes ces
choses soient vraies, selon diverses manières de proportions en accommodant bien et dûment la
translation figurative. Or quant à moi je te répondrai, ô noble et illustre Roy, selon l’opinion de
Philo, au livre de l’agriculture, disant que l’âme humaine a été faite à l’image du verbe, cause des
causes, et le premier exemplaire : et que c’est une substance de Dieu empreinte et cachée de son
sceau, la marque et caractère duquel est le Verbe éternel. Ou autrement (si tu aimes mieux) je te
répondrai par expresses paroles, ce qu’a répondu Pimander à Hermès. Ce qui en toi voit et entend
(dit-il) est le Verbe de Dieu, et ta pensée, est Dieu le père. Car ils ne sont point l’un de l’autre
séparés, l’union et concorde desquels est la vie. Voilà la définition de l’âme qu’en ont donné les
anciens.
Le Roy : Assurément sont choses admirables.
Lazarel : Pour le moins si elles sont vraies : lesquelles trouveront être telles, si tôt que tu auras
parfaitement entendu, ce que je veux dire.
Le Roy : Certainement ainsi l’espérai-je, et désire affectueusement : mais ne laisse pas d’outre
passer, et poursuivre ta promesse.
Lazarel : Je le veux, Sire,. Pense donc en toi-même par cela que nous avons au-dessus, comme ces
choses sont ensemble liées et conjointes : à savoir que le moyen de se connaître soi-même, provient
de la haute et excellente connaissance divine. Car quand tu sauras l’excellence de ta substance, tu ne
tiendras pas peu conte de toi, ni ne te vautreras en la fange : mais sortiras hors de ton corps, hors de
toi-même, hors de toutes sensualités, et franchement, parfaitement et purement passant outre
t’envoleras jusqu’à la supersubstancielle clarté, ou Dieu fait sa demeure, en te rangeant par ce
moyen au rang et nombres des divines puissances : et étant entre elles reçu, aura de Dieu pleine et
entière fructification. Et après multiplieras la divine lignée, et la peupleras non à ton honneur et
service, mais à celui de Dieu. Car il faut de nécessité que toujours le semblable, soit de son
semblable procréé.
Le Roy : Ainsi certes, sès à présent m’y efforcerai-je
Lazarel, et y tacherai plus à plein désormais.
La persévérance dans la sainte et sacrée oeuvre.
Lazarel : Quant à mon endroit, ô bon Roy, ne cesserai jamais de tout mon possible de t’exhorter à
fermement continuer et persévérer en cette tant Sainte et Sacré oeuvre ici. Quoi faisant je te prie de
n’estimer, que je te veuille attraire à consentir à moi, ainsi que les ministres de notre mère l’Eglise,
lesquels (selon son ancienne et louable coutume) en mettant de la cendre sur la tête du peuple
l’admonestent en cette manière. Homme (disent-ils) souvient toi que tu n’es que cendre, et qu’en
icelle te convient de retourner. Car ceux ci admonestent l’homme extérieur et mondain, et le
contraignent par crainte servile, à faire bonnes oeuvres. Mais au regard de moi, je t’attirerai à
consentir à mon dire, comme l’homme intérieur et substantiel, et comme l’enfant de Dieu par un
affectueux et cordial amour, par ces paroles d’Hermès. Souvient-toi homme (dit-il) souvient-toi que
Dieu notre père, est la vie et la lumière, duquel à l’homme à sa naissance, si donc tu te considère
toi-même, et entends que tu es vie et lumière composé tu monteras encore derechef à la dite vie et
lumière, dont tu es issu.
Le Roy : Je suis tout changé ce jourd’hui par tes paroles, Lazarel, je suis du tout hors de moimême,
je me sens du tout renouvelé : mais si comme quelques fois, lorsque j’était jeune et avait
coutume d’entendre entre les fables, la métamorphose et transmutation de Glaucus. Lequel pour
avoir goûté de quelque herbe de fort grande vertu, que l’on nomme vulgairement de la seignée, ou
dentchien se sentit incontinent convertir en nature de puissance divine, à cause de quoi leur ombre
sont entre les dieux de la mer.
Lazarel : Cette notre mutation est très bonne, Sire, lors qu’étant régénéré de lumière divine, nous
nous changeons peu à peu en vrais hommes. Or dit Hermès, que le vrai et parfait homme, est plus
excellent que ne sont les Anges, ou pour le moins qu’il obtient pareille condition qu’eux.
Le Roy : Qui est celui, qui peut droitement être appelé vrai homme, Lazarel ?
Lazarel : Celui qui ne confond point l’ordre divin, et suit la fin pour laquelle il a été créé de Dieu,
comme fut Abraham, duquel est parlé au livre des Hébreux est appelé Abu dazara, ou il est récité
que le cinquante deuxième an de son age, en la ville Darana, ainsi qu’un vrai homme et vrai
observantin de la règle de Dieu, commença à enseigner à ceux du pays la manière d’adorer Dieu, le
servir et lui faire honneur et révérence, ce qu’il fit huit ans consécutifs. De même Saint Denys
écrivant à Caius le vénérable, dit ainsi de notre Seigneur Jésus Christ. Nous ne faisons point de
différence de Jésus-Christ d’avec un autre homme par humaine raison, au moyen qu’il n’est pas
homme seulement (car de fait aussi ne pourrait-il être supersubtanciel, s’il était simplement homme)
mais il est vrai et parfait homme. Or nous faut-il Sire, suivre cette vérité si nous voulons être et
réputés tels. Ce qui se fait par fréquentes et assidues admirations, prières, supplications, louanges
divines et élévations d’esprit en Dieu et finalement en traitant souvent et par longues années les
choses divines. Ce n’est qu’à cette fin que les hommes puissent obtenir plus aisément, Hermès dit,
les Muses ont été envoyées aux hommes par Dieu. Convertis donc ici, Sire, toutes les forces et
vertus de tes Muses, que tu as appris et entendu de Pontanus, ou de quelque autre poète, et appliquetoi
de tout ton esprit, prie, loue, admire,contemple la divinité. Car par ce moyen, dûment tu te
disposeras à ce haut mystère que j’ai délibéré (Dieu aidant) mettre en lumière. Car aussi de telles
choses le ciel même (ainsi que dit Hermès) s’en délecte avec tous ceux qui habitent en celui-ci.
Le Roy : Je suis bien de même opinion que nous fassions comme tu le conseilles ; afin que le
rayon de l’éternel et tout puissant Dieu, fasse son influence en nous, et le prier que nous soyons
trouvés à cela purement et saintement disposés.
– Lazarel : Sois donc à moi attentif, Sire, de tout ton coeur pendant que je chanterai le cantique
de divine contemplation. Écoute-moi donc soigneusement et retiens d’une attentive
élévation d’esprit, tant les mots que les sens.
Dialogue avec l’âme.
Le Roy : Mets ce que tu dis en effet, nous sommes attentifs.
Lazarel : Or sus mon âme éveille-toi maintenant et pense aux grands et merveilleux faits de ton
Dieu. Dis-moi qui est celui qui de rien a ainsi fait et ordonné toutes choses ?
L’âme : Cela a été le seul Verbe de Dieu notre père.
Lazarel : Sois donc loué le Verbe du père. Que toutes choses donnent louanges au Verbe divin. Qui
est celui qui a dessus mis et colloqué ces resplendissants flambeaux, pour avec mutations et
changements éternels varier les vicissitudes et alternations de toutes choses ?
L’âme : Cela a été la seule pensée divine issue de Dieu.
Lazarel : Sois donc loué et magnifié Pimander l’image de la divine pensée. Qui est celui qui a fait
ce beau et lumineux Soleil comme l’image et exemplaire de la Sainte lumière, lui assignat ses
degrés pour toute chose illustrer et diligemment tous lieux en chercher.
L’âme Cela a été la splendeur du père.
Lazarel ; Sois donc louée la très Sainte et claire lumière. Que celle laquelle est en moi comble sa
mère. Qui est celui qui a fait et ordonné que la Lune et toutes les étoiles du ciel prisent du Soleil
leur clarté ?
L’âme : Cela a été Dieu notre père et créateur, celui qui à toutes choses donne vie et lumière pour
leur conduite et gouvernement.
Lazarel : Sois donc louée la source de la sainte lumière. Que tous les astres lui chantent hymnes et
louanges. Qui est celui qui a commandé aux globes célestes de tourner de di-verse et contraire
rondeur, et à la fin se rendre ensemble ?
L’âme : Cela a été Dieu le seul facteur du monde.
Lazarel : Que toutes choses célestes donc lui rendent louanges. Qui est celui qui a donné vie à
toutes choses tant corporelles comme incorporelles ?
L’âme : Cela a été Dieu qui est la seule vie de toutes choses.
Lazarel : Sois donc louée la vie du souverain père. Que toutes choses vivantes lui chantent
louanges. Qui est celui qui a préposé l’homme à tous les animaux, et lui a commandé d’élever les
yeux au ciel ?
L’âme ; C’est Dieu notre père qui nous a tous engendré.
Lazarel : Sois donc loué celui qui nous a fait et créé. Que tous animaux lui chantent hymnes et
cantiques. Qui est celui qui à toutes créatures a seulement donné voix, et à l’homme seul sur toutes
à donné entendement et parole, afin par ce moyen de représenter la vraie image et figure de son père
?
L’âme ; Cela a été la pensée et le Verbe divin, qui a fait et créé le monde.
Lazarel : Qui est celui qui toutes choses emplit et élève l’homme seulement en haut et l’attire à soi
et convertit en Dieu ?
L’âme : C’est celui qui en soi contient tout esprit.
Lazarel : Sois donc loué saint esprit. Que toutes choses disent louanges à celui qui remplit et
contient le monde. Qui est celui qui prenant l’humaine espèce, nous a nettoyé de la maladie
spirituelle ?
L’âme : Cela a été Dieu, qui en son sein habite.
Lazarel : Sois donc loué celui duquel nous sommes le temple. L’assemblée et congrégation des
saints, lui chantent louanges avec actions de grâces. Qui est celui qui voyant le premier homme
s’être fourvoyé de la voie de justice originelle, l’a réduit en la droite ?
L’âme : C’est celui qui est né de la Vierge.
Lazarel : Sois donc loué fils de la Vierge. Que l’homme lui chante louanges et nouveaux
cantiques. Qui est celui qui après que les hommes ont encore derechef souillé la sainte image de
Dieu, laquelle luit en eux, leur offre sa main salvatrice, afin de les rendre en leur primitive et
naturelle beauté ?
L’âme : C’est le saint et juste d’Israël.
Lazarel : Sois donc loué le rédempteur, qui par sa digne mort, a payé notre transgression et
forfaiture. Qui est celui qui toutes choses renouvelle et purifie après qu’elles sont infectées
d’ordures ?
L’âme : C’est la seule pensée de l’éternel et tout puissant Dieu.
Lazarel : Sois donc loué la pensée du père. Que tous siècles lui disent doux et mélodieux chants.
Qui est celui finalement qui encore que nous soyons tombés de notre première dignité, ne trouve
étrange de nous restituer au noble trône de sa royale majesté.
L’âme C’est le conseil du souverain père.
Lazarel : Or sus mon âme puisque ces choses sont et que je les connais telles, rejette de toi les
liens de la chair et élève toi totalement en Dieu. Mon âme que donneras-tu à ton père légitime, pour
tout ce qu’il te donne. Quel présent feras-tu à son fils Jésus-Christ ? que donneras-tu au saint Esprit
pour récompense de ses biens ?
L’âme : Le doux et harmonieux chants de louange.
Lazarel Sois donc loué et magnifié celui qui tout meut et gouverne. Celui qui est lui seul tout, un
seul Dieu en essence, et triple en personne. Nous avons contemplé jusqu’ici, très magnanime et
vertueux Roy. Or poursuivons maintenant ce qui est de reste.
Le Roy : Je te promets que j’ai esprit d’un grand et affectueux amour de Dieu, par cet hymne que
tu viens de chanter, en ce principalement qu’il à l’homme telles prérogatives. Et non seulement ait
été d’amour divin embrasé, mais aussi presque ravi et transporté hors de moi-même, comme il
advient à ceux qui d’aventure rencontre une Torpille. Car ton hymne et cantique, m’a semblé non
pas comme celui qui procède de l’inspiration des Muses, mais comme provenant de la puissance et
majesté du Verbe de Dieu. Ce n’est point donc de merveille, s’il enflamme si fort et attire à soi le
mien entendement et le transporte hors de son manoir.
Lazarel : Il faut donc dorénavant être en peine de mettre que tel amour divin persévère en nous et
accroisse de jour en jour. Et qu’il devienne si fort qu’il convertisse les choses infé-rieures en
supérieures, et les conjoint et unit ensemble. Premièrement contemplation excite amour, lequel
excité puis après convertit à Dieu l’humain entendement. Lequel ainsi converti, est en Dieu
derechef de telle sorte formé, que reprenant sa naïve vertu et vigueur, qu’il avait perdu par des
affections désordonnées aux choses matérielles, fait qu’après il puisse par sa parfaite vertu être une
chose plus admirable et de plus grande importance que n’en fait la nature même du ciel.
Le Roy : Il convient donc (comme je puis connaître par la tienne exhortation) s’employer de tous
ses sens à aimer Dieu. Mais je te prie de me dire d’abondant que doit faire l’humain esprit après
qu’il est été ainsi formé.
Lazarel : c’est prudemment interrogé à toi, Sire, à l’occasion que jamais nul ne s’acquittera
dûment de ce qu’il ignore, sois donc à moi attentif de ton pouvoir, afin que tout ainsi que tu as été
par la grâce de Dieu ordonné et établi Roy en ce corps mortel, au pareil cas quand pas la dissolution
du corps et de l’âme, tu t’envoleras au dessus du ciel, tu persévères à jamais Roy avec Dieu, en
seigneurie et empire perpétuel, étant de lumière spirituelle couronné. Or sommes nous venus
maintenant jusqu’à l’entrée de la clarté ou habite Dieu. Par quoi entends, à cette fin que tu y puisses
plus aisément entrer.
Le Roy : Me voilà attentif, n’affectant autre chose, sinon que d’y être par tout introduit.
Lazarel : Il nous faut entendre, Sire, outre tout ce qui a été dit, que Dieu est fécond, d’autant qu’il
est l’auteur et créateur de toutes choses. Qu’il est la cause pourquoi Hermès l’appelle très plein de
fertilité de l’un et l’autre sexe : Et que Ophée le dit être mâle et femelle. Ce qu’à cette fin que tu
crois plus fermement être ainsi entend lui même le confirmer par la bouche du Prophète Isaïe. À
savoir mon (dit-il- moi qui fait les autres enfanter, se n’enfanterai-je point ? Et qui donne lignée aux
autres, si fertile je serai a dit ton seigneur Dieu ? Saint Denys pareillement au livre des noms divins
dit, qu’attendu qu’il ne fut jamais qu’il n’y eut un parfait amour au souverain bien, aussi ne lui a-t-il
permis aucunement être en lui sans faire quelque fruit, de sorte qu’il a ému à oeuvrer par la
générative excellence de toutes choses.
Le Roy : Je ne voudrais faire doute que tout ce que tu récites ne fut vrai. Mais Lazarel, dis-moi, je
te prie, quel profit rapportons à la fin, de la notice de cette divine fertilité.
Lazarel : Je te le donnerai présentement à entendre, Sire. Puisque donc tu as entendu cette divine
fertilité, il te faut conséquemment entendre, que tout ainsi que l’homme est la gloire et image de
Dieu, qu’il a pareillement remparé et muni (comme le dit Hermès) ainsi que lui, de fécondité des
deux sexes.
Le Roy : Un chacun entend prou cela, et le sait par manifeste expérience. De manière que non
seulement nous voyons nous l’homme être fécond , mais aussi pareillement les autres animaux. Ce
que s’il était autrement, leurs genres n’eussent persévéré par si longs espaces de temps.
L’entendement des uns et l’entendement des autres.
Lazarel : Il n’y a celui (comme tu dis) qui ne l’entende, mais ils n’entendent pas tous ce que
j’entends poursuivre et déclarer maintenant.
Le Roy : Qu’est-ce ? Or sus exprimé le soudainement. Car je suis à présent grandement
affectionné de l’entendre : et puis (comme tu le sais) l’humain esprit souffre impatiemment le long
retard.
Lazarel : Mon intention n’est pas de traiter de la fertilité de ce corps matériel, Sire, mais de celle
de l’âme, laquelle aussi redonde par ce corps.
Le Roy : Qu’est-ce que la fertilité de l’âme.
Lazarel : Applique toi maintenant de toute ton intelligence à ce que je veux dire, doutant qu’il ne
s’écoule comme l’eau et devienne à néant.
Le Roy : Je te promets de m’y employer de tout mon possible. Poursuis donc ton intention.
Lazarel : Attendu que l’humain entendement est l’image de celui de Dieu, aussi lui a-t-il donné
non seulement générative fécondité, mais aussi immortalité. Lesquels deux excellents et dons
spéciaux, il communique et octroie sur toutes autres créatures de ce monde à son image, avec le
moyen de parler. Ce qui est la cause pour laquelle dit Hermès, l’entendement et la parole qu’a
l’homme est de même prix et excellence que l’immortalité. Tellement qu’il dit, celui qui use de ce
qui est convenable, ne diffère en rien des immortels. Mais d’avantage que tels gens seront à la fin
conduits par ce moyen, en la compagnie des bienheureux. Car lorsque ces deux ci, à savoir, parole
et entendement, sont ensemble conjoints, ils produisent une lignée divine.
Le Roy : Je ne douterais aucunement que ceci soit vrai, ô Lazarel, pourvu que ce que tu dis
signifie que telle lignée de l’esprit fussent les bonnes sciences et arts libéraux, lesquels conçus
premièrement du dit esprit, et par la parole conduits aux sens intérieurs comme à quelque
enfantement, sont réservés aux successeurs par livres et écrits.
Lazarel : Je ne veux pas nier, que les sciences ne soient la lignée de l’entendement, produites
néanmoins de race aucunement diverse à celle que j’entends en ce lieu dénoter. Car je traite à
présent de la génération spirituelle univoque et, (par manière de dire) de même conjonction et
nature, tant que ce qui est engendré, soit une même chose avec son géniteur. Car la semblable
s’engendre toujours de son semblable, par un enfantement et production univoque, ou (si tu aimes
mieux) de même et semblable nature.
Le Roy : Dis-moi, je te prie, que peut être cela, ne délaye plus ta narration.
Lazarel : Considères donc maintenant, Sire, ce que je dirai. S’il est ainsi que le corps pareil à
lui : que sera ce qui empêchera que l’âme semblablement n’engendre une autre âme,
beaucoup plus excellente et de trop plus grande efficace et vertueuse que n’est le corps.
Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste, dialogue entre le Roy et Loys lazarel.
Les mystères d’Éleusis.
Le Roy : Veux-tu dire par cela, Lazarel, que l’âme de celui qui est engendrée provient de celle du
géniteur.
Lazarel : Non, Sire, notre présent propos ne tend point à cela, mais à la génération de l’âme. Ce
qui si tôt que Hermès l’eut révélé à Esclapius, il tomba en pamoison et s’écria à haute voix, disant
qu’il était entièrement perdu et troublé de son entendement, par l’incroyable majesté et hautesse de
la chose et que l’homme était fort heureux, lequel aurait obtenu un tel don de Dieu.
Le Roy : Il ne faut point ô Lazarel me retenir par si long circuit de paroles suspend et en doute.
Car à la façon d’un vaisseau à vin n’ayant spiracle par lequel peut avoir air, je pâti de travail, à
soudainement digéré tout ce que me dresses.
Lazarel : Il est juste et raisonnable de t’obéir, ô bon Roy, non comme esprit du diable So-cratique,
mais de l’esprit de Jésus-Christ, faisant sa demeure en ceux qui lui portent honneur et révérence, et
l’adorent sincèrement. Voilà, nous sommes appelés à la souveraine et suprême félicité de l’âme.
Voilà, les délices et voluptés de Paradis nous sont ouvertes maintenant la cité céleste se révèle,
l’accès et l’ouverture est patente à la montagne, au tabernacle, à la Royal maison de notre Dieu.
Voilà, le Royaume d’Israël que les poètes appellent l’âge d’or, pour lequel Jésus-Christ a montré à
ses disciples deptier, nous est proposé devant les yeux. Les fix jours de labeur sont passés, le repos
du Sabbat est apparu, et vérité accompagnée de Sapience s’avance de venir au devant de nous pour
nous conduire au-dessus. Du conclave, et lieu secret de la Sapience, nous est fourni le trésor
d’immortalité. Voilà, la boisson des dieux, voilà leur viande, voilà la manne, voilà le sacrifice, voilà
la cène de l’agneau à laquelle les oiseaux du ciel accourent de tous côtés, et ou nous, qui en sommes
convives et hôtes, seront repus. Le bois de vie nous sera désormais en odeur de souef onguent :
Notre esprit ne travaillera plus d’ici en avant, ni ne se lassera. Par quoi, pendant que je chanterai
l’hymne de la divine génération, sois à moi attentif de toutes tes forces et vertus. Car par tel moyen
tu comprendras facilement cet ineffable mystère que je veux décrire.
Le Roy : Voilà, je suis prêt et appareillé de tout mon pouvoir tant d’esprit que d’oreille, à te bien
écouter et entendre.
Lazarel : En quel lieu me transportes-tu mon Dieu mon père ? Est-ce ici le lieu d’ou le bon
vieillard d’Hénoch, celui qui t’a tant plu, en suivant tes sentiers, a été au ciel ravi et transporté ? Estce
ici le mont d’Oreb, ou ton bon Prophète Hélie de Thèbes se mussa lors qu’il fuyait la félonie de
la cruelle Hyesabel ? Ou bien celui de Synaï, ou Moïse semblant être cornu, donna tes saintes lois
au peuple Judaique ? est-ce ici le saint fleuve de Jourdain, ou ton fils le Verbe divin, fut de saint
Jean baptisé, pour accomplir toute justice ? N’est-ce pas ici plutôt le sacré mont Thabor, auquel,
étant fait homme, sa face a si fort resplendi, qu’elle a surmonté la clarté du Soleil, et ses vêtements
ont été faits plus blancs que n’est la neige ? Dont ta voix a entonnée : voici mon fils que j’ai
engendré avant tout âge et qu’il m’a plu au temps par moi décrété cacher d’un domicile corporel,
pour délivrer l’humain lignage de la servitude et puissance de Sathan ? Voilà grand cas que l’amour,
ou plutôt fureur spirituelle, que j’ai conçu de toi en mon entendement, par les tiens rayons que tu as
en moi épandu, m’a causé matière d’entendement beaucoup de tes secrets, lesquels étaient
auparavant de moi inconnus. D’ou vient, que je ne veux à présent commencer ne dire chose qui
sente sa vilité, légèreté, ou mortalité, mais qui ne soit haute, magnifique, excellence et sentant sa
divine majesté et precellence, et ne soit bien d’autre harpé et chanté, que de la mienne. Par quoi,
mon Dieu, je te rends grâces de me faire tant de bien, que de me permettre maintenant de dire par
vers nus (pour l’instruction et doctrine des tiens) ce que jadis fut défendu et prohibé de dire par
paraboles. Mais cela ne c’est fait sans évidente cause et raison. Car dans les divins oracles il est
chanté qu’en ces derniers temps, toi Dieu notre père devais être de tous connu, et tes élus de toi
appris et enseignés en ton saint nom. Voilà, je commence. Que tous entendent d’oreilles entendues
mes doux et harmonieux chants, pleins de divine parole. Voici je commence à sonner de ma harpe.
Entre toutes choses nouvelles et dignes d’admiration, celle-ci est la plus nouvelle et émerveillable,
que l’homme a inventé nature divine, et mis en oeuvre. Car tout ainsi que le seigneur Dieu créateur
de toutes choses, a fait et formé les célestes esprits chefs et patrons de toutes choses, au cas pareil
celui qui est vrai et parfait homme, fait et fabrique les saintes âmes, les appelant les dieux de la terre
et enfants d’Atlas, se contentant de l’alliance et affinité humaine, sont ceux qui envoient songes
dénotant les choses de l’avenir, qui donnent aide et confort aux gens de bien, en leurs angoisses et
tribulations. Au contraire travaux et calamités aux méchants, récompensant les bons et punissant les
mauvais . Et en ce faisant, accomplissant le vouloir et commandement de Dieu leur père. Sont les
disciples et serviteurs de Dieu, que le facteur du monde a établi et ordonné ses ambassades et
Apôtres, et dieux en terre, en les exaltant et leur envoyant du ciel sens et intelligence afin de
comprendre les saintes écritures. Sont ceux qui répriment et tollissent du monde tous dangers de
mort et chassent au loin toutes pernicieuses espèces d’infirmités et maladies : par lesquels sont
toutes prophéties accomplies et le commandement de Dieu mis à exécution et effet. Il faut donc
(pour toute résolution) savoir que Dieu notre père a donné à l’homme entendement conforme au
sien avec parole, afin qu’il engendra des dieux semblables à lui, et les divins commandements
accomplit. Bienheureux donc est celui qui les grâces de sa nature reconnaît et les met en oeuvre
libéralement et sans contrainte. Car un tel homme mérite être mis au rang des dieux, ni même être à
eux inférieur. Tu as entendu (comme je le pense) Sire, ce que nous avons connu par divine
inspiration. Ce que certes, ainsi comme nous lisons dans les saintes lettres le sabbat des sabbats, les
saints des saints, les cantiques des cantiques, se peut aussi pareillement appeler, le secret des
secrets. Laquelle chose m’est non seulement persuadée par l’autorité et raisons des sages, mais aussi
parfaitement connu par expérience. Ce que tu connaîtras apertement pourvu que ne t’en désiste.
Mais je te supplie que ce pendant tu tiennes clos au secret lieu de ton entendement, ce que tu as de
moi entendu, ou plutôt ce qui est découlé en nous de la pure fontaine de vérité, par divine
suspiration, de peur que quelque infidèle, et sans savoir le voit et l’entende.
Le Roy : Il nous faut faire du tout, comme tu admonestes, Lazarel. Car si ainsi est (comme l’on
dit- que les déesses Éleusines ont été irritées contre Eumenius le Philosophe, pour sa trop grande
curiosité de vouloir savoir les choses occultes et pour avoir révélé et décelé au commun vulgaire,
les cérémonies que l’on avait coutume de faire, quand on sacrifiant à la déesse Éleusis à plus forte
raison est-il digne de croire que le souverain ouvrier de toutes choses se courrousse, s’il advient que
quelque gens soient si téméraires et outrecuidants de divulguer parmi le peuple les mystères qu’il
veut être tenu secrets. Ainsi mêmemement il a prohibé et défendu que l’on répande les marguerites
devant les porcs. Mais que dirai-je maintenant Lazarel ? Crois que je suis si fort épris d’amour et
transporté d’admiration et de joie, qu’à peine sais-je ce que je fais, ou là ou je suis.
Lazarel : Nons sans merveille, ô très heureux Roy. Car si chaque nouvelle, tant soit elle de petite
importance, effraye les sens, à plus forte raison celle-ci. Laquelle non seulement pour sa non
pareille sublimité et hautesse étonne les sens, mais aussi le regard de l’entendement.
Le Roy : je voudrais que tu me déclarasses maintenant, Lazarel, qui ont été les sages, soient
anciens, ou modernes (si aucun en as promptement) qui ont trait de ceci.
Lazarel : Tout ainsi que des adonc le commencement du monde, bien peu ont été qui aient eu ce
tant excellent et parfait don : au cas pareil bien peu ont été, qui en aient traité. Car nul pour son
honneur s’entremet de donner enseignements de ce qu’il ignore.
Le Roy : Mais ceux que tu dis avoir été en si petit nombre, qui sont-ils ?
Lazarel : Je te réciterai succinctement ceux auxquels je pense. En premier lieu Hermès par tous ses
dialogues que l’on trouve pour le présent, encore que ceci en donne instruction, si n’en trouvai-je ou
il en ait plus apertement traité, qu’en celui qu’il a dédié à Asclepius, lequel est intitulé de la volonté
de Dieu. Autant en disent les docteurs Hébraïques, en assurant mêmement, que Hénoch en a fait
mention en quelque livre qu’il a écrit du Roy supérieur et inférieur, disant que qui les unirait
ensemble, il aurait continuellement une merveilleuse joie et consolation de lassus. Ce que, selon
mon avis, ne dénote autre chose, que le mystère secret. Abraham pareillement au livre qu’il a
nommé Zepherizira, c’est-à-dire, le livre de la formation, montre la manière de former les hommes
nouveaux, en cette forte. Savoir est, qu’il faut (comme il dit) celui qui en veut user, se transporter en
quelque montagne déserte ou les bêtes ne paissent et illec tirer du milieu de ce mont de l’argile, ou
terre vierge de laquelle il faut après en former l’homme et partout se membres bien et dûment
disposer les éléments des lettres. Laquelle chose, comme je le pense, se doit ainsi entendre . Les
montagne désertes sont les sages devins, lesquels pour ce que coutumièrement sont du commun
décriés, jouxte ce qui est écrit au livre de Sapience de telles gens. Entre nous insensés (disent les
méchants étant en enfers) estimions leur vie, n’être qu’une droite folie et enragerie. Et Hermès, ceux
qui a telle sagesse se dédient , jamais le commun ne leur plait, ni non plus ne plaisent au commun.
Ils sont finalement estimés insensés et rapportent souventefois au lieu de l’honneur qui leur est dû,
risée et moquerie. Parfois haïs et atrocement injuriés, et à la fin meurtris. Nous avons Platon
semblablement qui dit une pareille sentence en son Phèdre. Celui (dit-il) qui se retire de la manière
de faire du commun et s’applique dans les choses divines, est souvent repris et moqué de la
multitude impérite, et le disent être hors de son bon sens. Auxquels certes est caché qu’un tel
personnage est plein de divinité. Quant aux bêtes, sont, selon l’interprétation de Philo, les sens
corporels qu’il dit être au nombre des sept. Ces bêtes ci ne paissent ni ne mangent dans les
montagnes, au moyen que les sages ne sont jamais attirés par sensuelles persuasions. Mais Adama
dit terre rouge et vierge, n’est autre chose que l’entendement des sages. Après donc que l’homme
est nouvellement formé de cette terre, il est vivifié par tous ses membres par mystique ou figurative
disposition de lettres. Car la génération divine se fait et s’accomplit divinement par mystique
prolation de paroles, lesquelles se composent des éléments de lettres. Par quoi, il nous faut aller vers
ces montagnes, si nous voulons obtenir cette prérogative de divine formation : au moyen qu’il n’y a
pas seulement que les entendements des sages qui l’obtiennent. En cette façon donc (à mon
jugement) Abraham a délaissé à ses successeurs ce haut mystère sous obscure et couverte sentence.
Mais trop plus encore que tous autres, notre sauveur Jésus-Christ, le vrai Messie l’a de bouche
commandé et parfait oeuvre, selon le contenu de la prophétie d’Asaph, lequel jadis ainsi de lui
prophétisa. L’ouvrirai ma bouche en paraboles et mettrai en train thèmes et propositions de ce qui a
été fait dès le commencement. Un jour pareillement entre autre (ainsi qu’il est écrit au livre de
Brésith Raba, qu’a fait Rabi Moïse Adersan) après quelque dispute faite des choses divines entre
quelques Talmudistes et illec Rabi Amiona eut récité ce secret qu’il avait recueilli de l’autorité
d’Hénoch, l’on dit qu’alors il pleura et rit conséquemment Rabi Siméon et à la fin dit. C’est la
divine volonté, laquelle ne veut être à génération aucune révélée, premier que le Messie soit venu,
qui donnera puissance et liberté, de ces choses révélées. Surtout donc (comme nous avons dit)
Jésus-Christ l’affranchisseur de notre liberté, a révélé ce secret. Mais l’heure s’approche de bref que
quelque plénitude de temps accomplie, le manifeste plus à plein, afin que ce qu’il y a de sacrée
bouche prononcée, soit accompli: j’ai autres brebis, lesquelles ne sont de cette bergerie, qu’il me
faut avec moi amener. Dès lors il n’y aura qu’une bergerie et qu’un berger. Or est-il à savoir que
l’on peut recueillir quelque chose faisant à celle-ci, par tous les livres tant du vieux que du nouveau
Testament. Ce que néanmoins ne se fait qu’avec très grande et contrainte difficulté. De manière que
je n’ai souvenance avoir lu autres, fors ceux que j’ai remémoré, qui aient récité ceci apertement, ou
occultement.
Le Roy : S’il est ainsi qu’il n’y ait rien qui puisse contrarier et répugner au vouloir divin, je
voudrais bien que tu m’eusses déclaré, par quel ordre et moyen, un si grand oeuvre se consomme et
s’accomplit.
Lazarel : J’ai désir aussi (Dieu aidant) le parfaire, afin qu’on ait accomplissement de tout
l’oeuvre divin. Car ceci est une chose divine, sainte,a magnifique et royale, et telle qu’il
appartient à un héroïque, vertueux, magnanime et dévot Roy, comme tu es. Car si le temps
passé, les Roys de Perse (comme Platon le mentionne) apprenaient à Zoroastre la manière de
faire honneur, et porter révérence aux dieux, et les adorer, ce qui n’était autre chose que l’art
de la magie : combien à plus forte et évidente raison, les Roys Chrétiens doivent être
enseignés en la pure et vraie et qui nous éloigne de toutes fausses et adultérines
superstitions, façon de porter honneur à notre Dieu, qui est le Dieu des dieux et seigneur des
seigneurs ? Mais tu vois, ô Roy que le Soleil s’abaisse et vient au déclin, et qu’il faut
regarder de bien près à plusieurs conditions, en cela que tu requiers. Lesquelles si je me
mettais à déduire, notre propos accroîtrait plus amplement de beaucoup, que celui que nous
avons achevé, et si la nuit nous surprenait. Joint que notre esprit étant lassé de la trop grande
longueur de ce présent propos, ensemble de sa grandeur et difficulté, vacille et chancelle,
tant qu’il n’affecte autre chose que de se reposer. Par quoi je te voulusse bien prier que nous
différassions ceci à un autre et plus opportun temps et lieu plus retiré du commun et plus
solitaire, imitant en cela les sages Hébreux. Car au livre de la Genèse sur ce passage ou il est
dit, qu’Abraham par son testament donna tout ce qu’il possédait à son fils légitime Isaac, et
à ceux de ses concubines des dons, les Cabalistes récitent ainsi. Ce qu’il donna aux enfants
de ses concubines que fut Scemoth Steltoma, c’est-à-dire, les noms d’immondicité, savoir
est l’art de la Magie. Mais ce qui fut donné à Isaac, furent quelques secrets divins, lesquels à
cause qu’ils lui furent révélés bouche à bouche, ils les appellent Cabalan. Lequel nom de
notre temps à commencé d’être connu à quelques uns.Son opérations néanmoins est envers
tous (un seul excepté) entièrement cachée et inconnue. Quant au reste, ô bienheureux Roy, il
sera en toit de retenir fidèlement ce que nous avons dit, et à la fin de ce présent traité rendre
grâces à Dieu, de ce qu’il nous a fait tant de bien, de nous faire bénéficiaire de ce don, tant
excellent et de si grand prix.
L’action de grâces.
Le Roy : C’est à toi cela faire, ô Lazarel qui excelle en grâce et éloquence.
Lazarel : Puisse donc que tu me le commandes, ô Roy, je le ferai très volontiers, en toujours
protestant qu’en cette présente action de grâce, j’userai non pas de mes paroles, mais de celles de
Jésus-Christ à celle fin que par ce moyen notre oraison soit plus acceptable à Dieu et plus dévote.
Le Roy : Fais ainsi que bon te semble, et pour le plus expédient.
Lazarel : Je te rends grâces, mon seigneur Jésus-Christ, en ce qu tu as caché ceci aux prudents et
sages, et que tu l’as révélé aux petits. Mais il me semble être juste et conve-nable, ô Roy, qu’ainsi
que nous avons presque entièrement parachevé notre entreprise, par ce propos qu’avons
ensemblement traité ce jourd’hui, ainsi d’y mettre fin (en ceci prin-cipalement) par quelque hymne
d’action de grâces. Car nul ne peut jamais assez louer et exalter notre Dieu. Par quoi je louerai
Jésus-Christ, sous le nom de Pimander, lequel est Hermès interprété pensée divine, ou le verbe de la
haute et divine majesté, je te prie donc, ô Roy, de mettre favorable en cela, en adorant ensemble
avec moi humblement à genoux, ce Verbe auteur de toutes choses.
Le Roy : Nous attendons ores les genoux fléchis en terre et les mains jointes et tendues en l’air,
que tu commences à parler.
Lazarel : Ô Pimander verbe et lumière provenant du père de toute bonté et consolation, illuminant
tout homme venant en ce monde, ô divine pensée éternellement engendrée, origine et
commencement de toutes choses, à toi soit louange, vertu, honneur et triomphe, gloire, empire,
beauté et puissance. Tu es celle qui en façon d’’un serpent, soi tournant d’un côté et autre par un
oblique pli, tiens en subjection et délie quand bon te semble les hideux et horribles ténèbres, par
une bruyante rumeur. Par quoi à toi soit louange, vertu, honneur, et triomphe, gloire, empire, beauté
et puissance. Tu es celle, qui à la lumière de l’oiseau couvent ses oeufs, par la chaleur du verbe,
nature humide, dont prennent leur source les quatre éléments. Par quoi à toi soit louange, vertu,
honneur, et triomphe, gloire, empire, beauté et puissance.
Tu es celle qui fait et fabrique toutes choses en engendre du feu, de l’air, de la terre, et de l’eau tout
ce qui a fructification de vie. Par quoi à toi soit louange, vertu, honneur, et triomphe, gloire, empire,
beauté et puissance.
Tu es celle, qui commande le genre humain ensemble se joindre, en le lient avec toi d’un lien
indissoluble par ta lueur divine, et qui fait luire les jours et délivre des ténèbres. Par quoi à toi soit
louange, vertu, honneur, et triomphe, gloire, empire, beauté et puissance.
Tu es celle, qui après que l’homme a eu perdu ses forces et vertus, l’as révoqué au ciel par le fils de
la vierge fait homme. Par quoi à toi soit louange, vertu, honneur, et triomphe, gloire, empire, beauté
et puissance.
Tu es celle, qu’après qu’il est derechef tombé dans les ténèbres de péché, ému de pitié et
miséricorde, ne le chasses de toi : mais à lui encore déclare et aparait, ainsi que par leurs
vaticinations l’ont prédit les Prophètes. Par quoi à toi soit louange, vertu, honneur, et triomphe,
gloire, empire, beauté et puissance.
Tu es celle, qui fais par ta divine inspiration, tu es que (ainsi qu’on le lit dans les divins oracles) le
petit et le grand ensembles entendement et connaissance Dieu le père, sans être enseigné. Par quoi à
toi soit louange, vertu, honneur, et triomphe, gloire, empire, beauté et puissance.
Or les jours se retirent, et donnent lieu aux gens de labeur, le repos du septième jour est sur terre
entré et la pensée divine liée avec l’homme. Et par ainsi louange, vertu, honneur, et triomphe,
gloire, empire, beauté et puissance.
Un chacun parlera divinement, le monde retentira : et à haute voix chantera les louanges célestes,
les dieux ensembles fréquenterons la terre. Par quoi louange soit à Dieu vertu, honneur, et
triomphe, gloire, empire, beauté et puissance.
Toutes choses ressusciterons en leur premier état, voici le royaume de Dieu (pour lequel il nous
commande en son oraiso de prier) s’approche. Par quoi louange soit à Dieu, vertu, honneur, et
triomphe, gloire, empire, beauté et puissance.
Alors il n’y aura qu’un seul pasteur qui gouvernera et conduira le seul troupeau (qui jadis était en
deux parts divisé) aux salubres lieux des délicieux champs. Par quoi à lui soit louange, vertu,
honneur, et triomphe, gloire, empire, beauté et puissance.
Alors ils boirons tous les eaux vives, sans que le Loup ou le Lion ravissant, leur fasse nuisance ou
espine d’espèce leur blanche toison. Par quoi à Dieu soit louange, vertu, honneur, et triomphe,
gloire, empire, beauté et puissance.
Cette action de grâce parachevée, le Roy de ce fait s’étant rendu plus allègre, gai et délibéré de son
esprit, que de coutume, s’est retiré au-delà de sa royale maison, priant Dieu que le Soleil par sa
naissance matinale lui apporte une autre journée pareille à celle-là.
Lazarel semblablement, après avoir salué le Roy avec toute révérence, ainsi qu’il appartenait de le
faire, lui promettant de lui dédier son labeur du jour suivant, c’est sur la minuit qu’il le quitta.
Fin du dialogue de Loys Lazarel poète Chrétien, intitulé le bassin d’Hermès.
Imprimé par Estienne Groulleau, Libraire demeurant à la rue Neuve notre Dame à l’enseigne Saint
Jean-Baptiste. 1557.