Le Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste 2
Version de 1577 de Loys lazarel
Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste, de Loys lazarel
La rebellion de l’esprit
célestes, les hiérarchies des anges, & le circuit des astres, pour parvenir à la connaissance d’un seul
Dieu ? Car c’est un bien insupérable, invicible, & infini : n’ayant quant à soi aucun principe, quant
à la connaissance humaine quelque cemmencement. Combien néanmoins que telle connaissance ne
soit son commencement, mais nous montre le commencement de ce, que de lui connaissons.
Parquoi il nous faut apprendre & connaître ce commencement, si nous voulons à autre chose élever
notre esprit. Car lui connu, les pourrons facilement comprendre en notre entendement. Or est-il fort
difficile laisser les choses, lesquelles on est de présent arrêté, & convertit son vouloir à plus hautes
& meilleures que celles desquelles on est déjà acoutumé. Car les choses que nous voyons, nous
délectent si fort, & sommes en elles tant arrêté, qu’à grande difficulté les pouvons nous abandonner.
Et celles qui nous sont cachées, nous engendrent défiance: iaçoit que celles qui se représentent à nos
yeux, soient souventefois mauvaises et pernicieuses, & le souverain bien soit scellé à ceux, qui par
trop grande curiosité s’arrêtent aux patentes. Car ce souverain bien n’a forme ni figure, qui fait qu’il
soit toujours tout un sans aucune difformité, ou variation : ce que au contraire cause tout ce qu’à nos
yeux s’offre, & objecte. Et defait une chose
Le bien et le mal
incorporelle ne se peut apparaître à celle qui est corporelle : tout ainsi qu’il y a différence du
semblable au dissemblable, et une contrariété du dissemblable au semblable. Au surplus il faut
savoir que unité est le commencement, la racine, et origine de toutes choses, et que sans quelque
commencement elles ne peuvent être, ni avoir été. Lequel dépend non d’autrui mais seulement de
soi même. Cette unité donc est le commencement, et contient en soi et engendre tout nombre, de nul
ni comprise, ni engendrée. Car aussi, tout ce qui est engendré ou créé, est imparfait, divisible,
muable, croissant, et décroissant. Mais à ce qui est parfait ne peut rien de tout ceci échoir. Or tout ce
qui prend accroissement, le prend de la puissance et vertu de cette unité : mais au contraire tout ce
qui s’amoindrit, se fait par sa propre imbécillité et imperfection, à savoir lors qu’il ne peut plus
contenir unité. Que toutes ces choses ici donc, mon fils Tatius, soient, tant qu’il te sera possible,
écrites devant tes yeux, ainsi comme quelque image de Dieu. Laquelle si en toi même regardes
diligemment, et la connais de tes yeux intérieurs, crois moi que par son moyen trouveras la droite
voie pour lassus monter au ciel, et qui plus est, elle même t’y conduira. Car l’intendance, et élévation
d’esprit aux choses divines, obtient en soi merveilleuse efficace et vertu. De manière qu’elle donne
grand confort à ceux qui ont affectueux désir à Dieu, et les attire soi ne plus ne moins que fait la
pierre d’aimant le fer.
L’argument du cinquième Dialogue.
Le cinquième nous montre comme Dieu est de nous caché, et inconnu : ensemble comme il reluit et
se manifeste par chacune particule du monde. Pareillement que toutes choses qui s’offrent et se
présentent à nos sens sont ses images : tellement que leur merveilleux et bel ordre le déclare
apertement être celui qui les a ordonnées une chacune en son degré et proportion : et que par
l’ordonnance de leur fins et limites, il est leur seigneur et autheur, auquel le Soleil Roi et Prince des
astres obéit, et lequel il craint, et que la structure universelle du monde reconnaît pour facteur. En
après il donne sa sentence et opinion sur l’intérieure génération de Dieu, disant que sa propre
essence est de concevoir et faire toutes choses : de sorte qu’il est impossible (dit-il) qu’il puisse être,
qu’il ne les face sans cesse. Puis après met fin à son Dialogue en chantant les divines louanges, et
collaudant Dieu le père et créateur de toutes choses.
de Mercure à Tat
De la puissance que Dieu est autant latent, que patent. Mercure à son fils Tatius.
Dialogue V
Outre ce que je t’ai déclaré par ci-devant mon fils Tatius, je veux encore derechef, en passant le
temps avec toi, te communiquer quelque mot de la pleine et entière notice de Dieu, à fin que tu
n’ignores son principal nom, et ce qui est à plusieurs caché, lesquels toutefois le pense bien
entendre. Car si ce que nous savons, n’est fait notoire à ceux qui l’ignorent, il n’est non plus que
rien. Or en premier lieu, mon fils, il te faut savoir et entendre que tout ce qui s’offre à notre aspect
est engendré, et à quelque commencement : au contraire ce qui lui est caché, est perpétuel, et infini.
Car aussi n’est il de besoin qu’il apparaîsse, au moyen qu’il ne cesse jamais d’être. Mais trop bien
nous met devant les yeux toutes autres choses, en se maintenant toujours en secret, d’autant qu’il
jouit de vie éternelle. Quant il met toutes choses en évidence, il ne laisse pas d’être caché en ses
investigables secrets, en les déclarant et exprimant par une chacune à par soi à notre fantaisie.
Dieu se donne à nous
Laquelle aussi ne gît seulement qu’en ce qui est engendré, à cause qu’il ne gît en elle que génération.
Tellement que ce qui est sans génération et sans commencement, est à elle incompréhensible. Mais
attendu que toutes choses cachées sont par lui éclaircies et mises en évidence, et qu’il est en tout et
partout reluisant, aussi s’apparaît il principalement et se manifeste à ceux, auxquels il a voulu
donner sa connaissance. Toi donc mon fils Tatius, avant toutes choses invoque par dévotes et saintes
prières le seigneur Dieu, le seul et unique père de toutes choses, duquel procède un seul fils, à fin
qu’il te face digne de sa grâce. Car il suffirait pour avoir pleine et entière connaissance de lui, qu’il
est un seul Dieu, si seulement par sa bénignité et clémence épandait l’un de ses rayons sur ton
intelligence: car la seule intelligence latente, est celle aussi qui voit et contemple les choses latentes.
Si donc mon fils Tatius, tu le regardes et contemples de tes yeux intérieurs, crois moi qu’il
s’apparaîtra à toi. Car lui véritablement reculé de toute ennuis, épand sa lueur en tous lieux par une
chacune particule du monde et se donne en telle façon à connaître que non seulement il nous est
facile de l’entendre : mais aussi (par manière de dire) le manier. Car de toutes parts son image se
représente et s’offre, devant nos yeux. Mais si ainsi que est que tu ne connaisse
La vraie connaissance d’un Dieu par les choses visibles
pas cette lumière qui est au dedans de toi, comment pourras-tu connaître toi même ou bien lui?
Parquoi quand tu voudras aisément voir que c’est que Dieu, élève ta vue en mont et contemple le
Soleil, vois le cours de la Lune, regarde finalement l’ordre de tous les astres. Or ça mon fils, je te
voudrais demander, qui peut être celui, qui ainsi contregarde et maintient toujours leur ordre en leur
état. Car en premier item, tout ordre se termine par fins et limites de nombres et de lieu. Et veu que
le Soleil soit le plus excellent Dieu des dieux célestes (c’est à dire de planètes) tellement que les
autres lui obéissent comme à leur Prince et Roi, ce néantmoins cette tant excellente lumière, qui est
plus ample que toute la terre et la mer, souffre un nombre d’étoiles innumérable, beaucoup plus
moindre que lui, tournoyer par dessus lui. Qui est celle toutefois qu’il craint, ou lui puisse faire
vergogne? Tu sais aussi mon fils, qu’il y a des astres divers mouvements. Qui est celui qui assigne à
chacun d’eux la proportion et quantité d’icelui?
TATIUS : Je crois que soit le cercle Arctique, qui sans cesse vironne alentour du Pôle, tirant à soi
toute la machine du monde.
TRISMEGISTE : Oui, mais qui est celui qui a assigné à la mer ses bornes et limites, et lui
commande de ne passer outre?
La connaissance de Dieu par les parties du corps
Qui est celui qui a donné à la terre son poix, et le fait contenir au milieu des cieux ? Certes, mon fils
Tatius, si faut il qu’il y ait quelque autheur, commencement, et seigneur de toutes choses ci. Car il
est impossible, qu’elles se puissent maintenir en leur lieu, nombre, et mesure, sans la vertu et
puissance de quelque autheur. Et est certain, qu’il n’y peut avoir ordre, où il y a difformité a affaire
de quelque modérateur, pour la mettre en son parfait ordre et proportion. Ô plut à Dieu, mon fils
qu’il te fût permis avec l’aide de quelques aelles de voler en la haute région de l’air, et qu’étant situé
entre le milieu du ciel et de la terre, tu puisses voir à ton plaisir la fermeté de la terre, l’étendue de la
mer, le cours des fleuves, l’amplitude de l’air, et la violence du feu. Ô heureux spectacle ! Ô
délectable vision ! Car d’un seul trait d’oeil tu comprendrais facilement tout l’ordre et disposition de
tout le monde, et connaîtrais que leur immobile et immuable autheur, est autant latent que patent,
autant caché que connu. Mais si davantage par les choses fragiles et caduques, ou qui sont portées
sur la terre, ou qui sont musses (?) les abîmes et profondités des eaux, as vouloir d’en chercher
l’ouvrier de toutes choses, qui est Dieu : or sus mon fils, regarde entièrement le corps humain par le
regard et contemplation
Hermès et la démonstration de l’oeuvre divine.
Duquel pourras apprendre aisément et connaître, qui peut être l’ouvrier tant bien entendant son
métier, qui a pu faire cette tant excellent et tant parfaite image : ou le peintre tant bien distribuant
ses couleurs, qui ait su peindre tant bien distribuant ses couleurs, qui ait su peindre ces beaux yeux.
Qui est celui qui ait étendu ses lèvres de la bouche, étendu et lié ensemble les nerfs, arrousé les
veines, assemblé les os, et fait si solides et massifs. Qui ait couvert la chair d’une peau si ténue,
séparé les dois (doigts) et leurs jointures les unes des autres : qui ait étendu cette largeur de pieds
pour être comme le fondement de tout le corps, troué les ports et ouvert les conduits : qui ait ainsi
pressé la ratte (rate), et imprimé au coeur cette figure pyramydale (pyramidale) : qui ai tissu les filets
et racines du foyer engravé les tuyaux des poulmons (poumons) : qui ait donné au ventre si grande
étendue et si ample capacité : qui ait fait que les membres honorables fussent mis en évidence, et les
sales cachés, et mis hors du regard de ceux à qui les a voulu tenir secrets. Vois quantes
ooeuvresdivines sont démontrées en une seule matière, et quelle beauté a une chacune d’icelles : et
comme elles sont bien et égallement (également) compassées, et différentes les unes des autres en
leur offices et actions. Qui penses tu donc être celui, qui une chacune d’elles a ainsi fait et formé ?
Qui est le père ? Quelle est la mère ? Est-ce pas un seul
L’essence de Dieu
Dieu invisible, et de nous caché, qui de sa propre volôté (volonté) a fait et fabriqué toutes ces
choses ici ? Et veut que nul osât dire ou affirmer qu’il se peut faire aucune statue et image sans
l’industrie de l’imagier, ou de la main du peintre : estimerons nous qu’un si grand et merveilleux
bastiment (bâtiment) comme est le monde, peut avoir été fait sans ouvrier ! Ô l’homme trop aveuglé
! Ô l’homme trop malheureux ! Ô l’homme enseveli et abysmé (abîmé) es profondes ténèbres
d’ignorance, qui le contraire penserait. Garde toi donc mon fils Tatius, garde toi bien de frustrer
l’oeuvre de son ouvrier. Mais au contraire invoque incessament Dieu, et le loue d’une singularité, et
d’un nom qui ne se peut à autre attribuer, qu’à lui seul, en toujours l’estimant être le propre et naturel
père de toutes choses, soient visibles ou invisibles. Or s’il advient que tu me contraignes dire chose
un peu plus hardiment que de coutume, je dirais que son essence est proprement de créer et faire
toutes choses, et les ordonner une chacune en son ordre et degré. Car tout ainsi que rien ne peut être
fait sans quelque ouvrier, aussi est il impossible, que Dieu peut toujours être, qu’il ne fit
incessamment touts choses tant au ciel qu’en l’air, en la terre, en la mer en tout le monde finalement,
et en une chacune particule de lui, tant en ce qui n’est point, que en ce qui
Le Père unique de tous
Est. Car il n’y a rien en toute nature, qu’il ne soit, et est aussi tôt ce qui est, que ce qui n’est point.
Mais les choses qui sont, il les a produites en lumière, et celles qui ne sont point, les a muslées
(muselées) en soi. C’est celui donc qui est le seul Dieu éternel, plus excellent incomparablement et
meilleur que tout nom, qu’on lui pourrait donner. Lequel est de nous caché maintenant, tantôt très
manifeste et patent, maintenant cler (clair) et évident à notre entendement, maintenant présent
devant nos yeux, tantôt corporel, tantôt (par manière de dire) ayant plusieurs corps. Car il n’y a rien
es corps qu’il ne soit, à raison qu’il est lui seul tout Il nous contient aussi tous en soi, d’autant qu’il
est le Père unique de tous. Et si n’a aucun nom, à l’occasion qu’il est de toutes choses Père : mais a le
nom d’une chacune d’elles. Puis donc que ces choses sont telles, qui fera ce, qui te pourra louer, ô
souverain Dieu, ou ce qui est au dessus de toi, ou au dessous ? Vers quelle part tournerais-je mes
yeux pour te collauder, ou vers ce qui est au dessus de toi, ou au dessous, ou au dedans, ou au
dehors ? Y a-t-il aucun moyen ou aucun lieu, ou telle autre chose à l’entour de toi, pour ce faire ?
Non. Car en toi seul toutes choses consistent, tout procède de toi, tu donnes tout et ne reçois rien, et
si as tout : tellement que ce que tu n’as, n’est rien. Mais comment
comprendre le temps et l’espace de Dieu
ou par quel moyen sera ce, que je te pourrais louer, mon Dieu, mon Père ? Nous ne pouvons de
toute notre puissance, comprendre ton temps, ni tes moments, espaces ou articles. En quoi donc
principallement, mon Dieu, chanterais-je tes louanges ? Sera-ce en ce que tu as crée, ou plus tôt en
ce que tu n’as pas créé ? Sera-ce en ce que tu as tiré hors des ténèbres, et produit en évidence : ou
bien en ce qui est encores latent et mussé (?) en tes investigables secrets ? Davantage, mon Dieu,
par quel organe et instrument Musical pourrais-je chanter hymnes, et canticques (cantiques) de toi ?
Pourrais-je être maître de moi même en telle louange, ou plus tôt être fait autre que je ne suis, et
changer ma nature ? Tu es certes tout entièrement ce que je suis. Tu es ce que je fais. Tu es
finalement tout ce que je dis, et que je pense. Car tu es celui qui est tout, et si n’y a rien qui ne
vienne de toi. Car qui a il (qu’y-a-t-il) que tu ne sois ? Il n’y a rien crée que tu ne sois : ni incrée que
tu ne sois ? Tu es l’entendement, entendant toutes choses. Tu es le Père éternel, fabricant toutes
choses. Tu es le Dieu faisant toutes choses. Le souverain bien, créant tous biens. Le tres pur et entier
de la matière, l’air de l’air, l’âme de l’âme, la pensée de la pensée, finalement Dieu.
Argument du sixième dialogue
Le sixième montre que bien, ou la nature d’icelui, c’est à dire, bonté, ensemble celle de beauté, de
puissance et sagesse, ne se peut trouver qu’en un seul Dieu, et que au monde il n’y a que le nom et
titre de bien seulement. Et par ce moyen il reprend l’erreur des aveugles humains, et les admoneste
fuir les vices, et les avoir en horreur : en montrant la voie, laquelle nous conduit à icelles beauté et
bonté, savoir est pitié conjointe à connaissance, à laquelle les ignorants mortels, devoyez de la trace
de pitié, ne peuvent parvenir, ni atteindre.
QUE BIEN NE PEUT ETRE q’en un seul Dieu, Mercure a Esculapius.
Dialogue VI
Esculapius mon ami, il te faut entendre que bien ne peut être qu’en un seul Dieu : et d’avantage que
lui même est toujours icelui bien. Au moyen de quoi il est de nécessité qu’il soit l’essence de toute
motion, et de toute connaissance. De laquelle essence, il n’y a rien qui en soit
Toutes choses se meuvent en Dieu
privé. C’est celle qui obtient un acte stable autour de soi, de nulle chose souffreteur ou indigent,
mais étant infini, super abondamment donnant, et distribuant toutes choses. Elle est le
commencement de l’univers, épandant par tous lieux sa bonté. Or entends que quand je nomme ce
terme ici bien, j’entends ce qui est et d’où dépendent tous biens, que l’on pourrais dire ou souhaiter :
desquels Dieu est le collateur et propriétaire. Car en premier lieu, il n’a aucune indigence : en
manière qu’en appetant il peut être fait mauvais, et se dévier de sa souveraine bonté. Et si ne tombe
en lui aucun détriment, au moyen duquel il se peut contrister. Car il surmonte toute manière de mal.
Davantage il n’y a rien plus fort ni plus puissant que lui, dont peut être forcé et vaincu. Finalement il
ne peut en lui échoir aucune injure, au moyen de laquelle peut être irrité, et s’enflammer de
courroux. Car il n’y a rien qui refuse son joug et obéissance par le contemnement et mépris, de
laquelle peut être indigné. Il n’y a chose pareillement plus sage et prudent que lui, qui lui peut
causer ennui. Veu donc et considéré que toutes telles choses ne lui peuvent échoir, il n’y a rien aussi
qui reste en sa nature, fors seulement ce suprême bien. Mais tout ainsi qu’il n’y a nulle chose des
susdites en cette divine essence, aussi
le Bien ne peut être dans ce qui est créé
aussi en nulle autre n’est trouvé ce bien, fors qu’en elle. Car en toute autre chose, ou soit petite, ou
soit grande, gît une chacune des susdites : et mêmement en celles, qui sont selon et en celui, qui est
le plus grand et le plus puissant de tous autres animaux : c’est à dire, le monde attendu qu’il remplit
tout ce qu’il engendre de passions et angoisses. Car aussi génération, est quelque passion. Or ou il y
a passion, bien ne peut aucunement consister, et ou il consiste il n’y a nulle passion : ainsi comme
nous voyons que ou il y a jour, il n’y a point de nuit, et là ou il a nuit, il n’y peut avoir jour. Qui fait
qu’il nous faille conclure, que bien ne peut être en ce qui a génération, mais seulement en ce qui
n’est point engendré. Mais tout ainsi que toutes choses participent de la matière, aussi pareillement
est le monde bon par participation de bien. Je dis bon, en tant que toutes choses procèdent de lui,
duquel côté il est estimé bon, et non en toutes autres choses. Car en premier lieu, il est paisible, et
mobile, et par ce moyen cause de toute passion. L’homme aussi à la comparaison de mal, participe
de quelque bien : au moyen que nous appelons le bien qui est es hommes, ce qui n’est pas trop mal,
ou ce qui est moins mal. Qui fait que notre bien ne soit autre chose, que la minime part et portion de
mal. Et pour autant s’ensuit que ce bien ne peut
Hermès et la raison pour laquelle l’homme n’obtient que le nom de bien pas sa nature.
aucunement être séparé de mal. Lequel bien certes n’est souillé seulement que par la mixtion et
mêlée de mal : en manière qu’étant ainsi infecté, ne demeure plus en l’intégrité de bien. Et perdant
sa nature et propriété, il se réduit en son contraire, qui est mal, et perd ainsi son nom. Pour toute
conclusion donc, ô Esculape, il faut dire qu’en Dieu seul est permanent et gît ce bien, et qu’il est
lui-même ce souverain bien. Et quant aux hommes, qu’ils n’obtiennent que le nom seul et titre
d’iceluy, et non la nature. Car de fait ce corps matériel de toutes pars confit en toute méchanceté, et
opprimé de tant de labeurs, douleurs, cupidités, courroux, déceptions, folles opinions, et milles
autres choses frivoles, ne peut en soi comprendre et concevoir ce tant excellent bien. Et toutefois,
Esculape, entre telles méchancetés, et infirmités d’esprit, j’estime être la plus méchante et
pernicieuse, qu’une chacune d’elles est des hommes estimée le souverain et suprême bien. Mais
quant à moi, je contredis fort bien à leurs fausses et dépravées opinions tant qu’à moi est possible, et
admoneste sur toutes choses un chacun de fuir et éviter tout mal, et singulièrement les immodérées
concupiscences et superfluités du ventre ensemble tout autre excès et dissolution qui sont les
nourritures de tous maux, déceptions, et erreurs quelconques, finablement
La vanité des sens
privation de tout bien. Certes de mon côté, je rends grâces à mon Dieu, lequel en méditant et
pensant en moi-même qu’elle était la nature de bien m’a infus cette vraie et certaine opinion,
d’estimer qu’en tout ce monde ne peut être n’y avoir aucun bien. Car aussi le monde n’est qu’un
amas de tout mal. Mais Dieu est le comble et perfection de tout bien : ou bien est l’abondante
plénitude de Dieu. Car à l’entour de son essence il y a une super-éminence de tous biens, plus pure,
et plus luisante, que l’on ne saurait dire et exprimer. Et de fait je dirais, qu’il n’y aurait par aventure
autre essence en Dieu. Et oserais dire d’abondant et affermer que son essence (si aucune autre en a)
n’est que une suprême bonté. Mais quant au monde, je crois fermement n’être en lui, ni en aucune
de ses parties, bonté, ni beauté. Car tout ce qui aux sens se présente, et se qu’ils agitent, n’est
qu’une vaine semblance et représentation feinte, ou faut cuyder de quelque choses. Au contraire tout
ce qui ne se fait, et est reculé des organes des sens, est choses appartenante tant à beauté, comme à
bonté. Et tout ainsi que la perspicacité des yeux corporels, ne peut voir Dieu, aussi ne connaît elle
beauté ni bonté. Car ce sont les parties de Dieu très parfaites et les cousines inséparables, et très
aimées : lesquelles tout ainsi qu’il les aime, aussi est il d’elles
Si tu cherches Dieu, tu cherches la Beauté absolue
aimé. Si donc tu peux comprendre que c’est que Dieu, tu pourras pareillement entendre que beauté
et bonté sont choses en Dieu, sur toutes autres luysantes (luisantes), et par luy illustrées. Car de fait
il est une beauté sans comparaison, et un bien sans imitation. Car aussi ne reçoit-il comparaison, ne
imitation. Tout ainsi donc que nous connaissons beauté et bonté à Dieu seul appartenir, aussi ne
nous les faut il communiquer ni conférere avecques toutes choses vivantes, d’autant qu’elles ne se
peuvent de luy séparer. Si tu cherches Dieu, tu chercheras pareillement cette beauté. Or est il que la
seule voie qui conduit ceux qui y aspirent, n’est autre que pieté conjointe avec connaissance de
Dieu. Qui est cause, que maintes personnes ignares, et sans expérience, et dévoyés du sentier et
trace de piété, n’ont craint d’appeler aussitôt l’homme mortel bien ou bonté, que l’immortel et
éternel Dieu : encores qu’iceluy homme ne puisse nullement avoir la vraie notice de bien : ains soit
totalement empêtré es lacqs (lacs) de tous maux, et qu’il estime le mal être bien, et usant d’iceluy
sans remède aucun d’amendement, et avecques crainte d’être de luy privé. Finalement en ce qu’il
s’efforce de tout son astuce, avecques innumerables machinations et controuvement, de n’être grevé
ni molesté de aucun mal, et pour ce faire l’accroît journellement en un nombre infini. Telles sont
doncques ô Esculape, les beautés et bontés des hommes, lesquelles n’est en notre puissance de fuir
ne haïr. D’autant que cela est la chose que nous avons la plus difficile en ce monde, à raison
principallement qu’il nous est de nécessité d’en user et en vivre : de manière que si nous en étions
privés, nous ne vivrions pas.
L’argument du septième Dialogue.
Le septième fait complainte de la perte d’ignorance, laquelle gâte et détruit toute la terre, et
corrompt l’âme enclose es liens de ce corps. Il enhorte les ignorants de retourner à leur bon sens, et
de s’amender. Et pour mieux ce faire, il commande de dépouiller ce corps mortel, qui est le
vêtement, par lequel nous sommes précipités en ignorance, et trainés à la mort : en persuadant, et
soigneusement admonnestant nous retirer au lieu secret de notre entendement, lequel seul
contemple celuy qui ne s’entend d’oreilles humaines, ni ne se voit d’yeux mortels, ni ne se
prononce de bouche humaine.
Que c’est le plus grand mal que peut encourir l’homme
Que c’est le plus grand mal, que peut encourir l’homme, que de ignorer Dieu.
Dialogue VII
Ou vous précipitez vous hommes mortels, pleins d’ivrognerie ? Vous qui êtes ivres du vin
d’ignorance, puis qu’ainsi est que ne le pouvez plus porter ni souffrir en vos corps, vomissez. Vivez
sobrement, et regardez ce qu’il faut voir des yeux spirituels. Et si ne le pouvez tous faire, le facent à
tout le moins ceux qui le peuvent. La perte d’ignorance gâte toute la terre, et corrompt l’âme
empêtrée es liens de ce mortel corps, et l’empêche de ne suivre la voie de salut. Ne permettez
doncques être submergés et engloutis en ce gouffre de corruption, et de mort. Respirez maintenant,
respirez, retournez à votre bon sens, dont avez été si longuement éperdus, recourez encore à la
fontaine de vie, et ensuivez celuy qui vous introduira à l’oratoire de vérité, ou il y a une lumière
resplandissant à merveille, de nulles ténèbres ofusquée ni obscurcie. Là nul ne chancelle d’ébriété,
mais sont tous sobres et vaillants, et contemplent clerement des yeux spirituels celuy
Livre d’Hermès : description du lieu des Bienheureux
Celuy qui ainsi veult être vu et contemplé. C’est celuy qui ne s’entend d’oreilles humaines ni ne se
voit des yeux corporels, ni ne se prononce de langue : mais la seule pensée est, qui le peut voir et
proférer. De manière que pour ce faire il te faut en premier lieu dépouiller la robe que tu portes, qui
est le vêtement d’ignorance, le fondement de malice, le lien de corruption, le voile ténébreux, la
mort vive, le corps mort sensitif, le sépulcre tournant de tous côtés, le larron finablement
domestique. Lequel procure haine et rancune quand il flatte, et lors qu’elle est procurée, conçoit une
envie à l’encontre de toi. L’ombrage donc duquel tu es environné est de telle sorte, que tu n’as plus
mortel ennemy que celuy là. Lequel s’efforce continuellement de t’attirer et fléchir à soi, et
t’abaisser contre bas, craignant qu’en contemplant la beauté de vérité et le prochain bien, tu ne
conçoives haine à l’encontre de sa déloyauté, et ne prévoies à quelques fois les embûches qu’il te
dresse, et continuellement machine contre toy. C’est celuy qui hébète, et trouble la vivacité des sens
intérieurs : et la matière crasse qui la suffoque, et enivre d’une abominable et ennuyeuse volupté,
tendant toujours à ce que tu ne puisses jamais ouir ne voir ce que doit être oui à bon endroit, et vu
sur toutes choses, et contemplé des yeux intérieurs. L’ar-
Livre d’Hermès : argument du huitième dialogue
L’argument du huitième Dialogue.
Le huitième montre que les corps célestes gardent continuellement le même ordre, que Dieu leur
père et créateur leur a premièrement baillé. Et que la mort s’apparaît alentour des corps terriens qui
ont vie : mais de dire qu’ils meurent, ou que ce nom même de mort ait quelque vertu et importance,
n’est presques que toute vanité et abus : au moyen qu’ils ne meurent pas, ains se changent
seulement d’espèce en une autre. De façon, que la matière qui est immortelle, change seulement les
qualités des espèces, images, et semblances, desquelles Dieu la voulu parer, et aorner (orner). Il
montre finablement comment l’homme immortel (animans dissoluble toutefois, le lien, et noeud de
toute nature, partie corporel, partie incorporel, et capable du haut entendement divin) a été de Dieu
crée à la semblance du monde, à fin que par un corps sensible comprint le monde sensible, et par
l’heureuse contemplation de son entendment, s’élevant en Dieu.
Que tout ce que les errans et dévoyes de raison appellent mort, ne soit qu’une mutation d’une chose
en autre. Mercure à son fils Tatius.
Dialogue VIII
Livre d’Hermès : Thanatos c’est-à-dire mort
Il nous faut maintenant mon fils, traicter (traiter) du corps et de l’âme. Savoir est comment elle est
immortelle, et quelle grande vertu active elle a en la conjonction et dissolution de ce corps. Or veux
je dire et maintenir que l’un ni l’autre ne meurt. Car ce mot Thanatos en langue Grecque, qui
signifie mort en la nôtre, n’est autre chose qu’une conception d’une appellation mortelle, ou
quelque autre chose vaine et de nulle importance : ou bien vient de la faute de le bien écrire : de
manière que apr la remotion de la première lettre nous disons communément thanatos, c’est-à-dire,
mort, au lieu que nous devrions dire Athanatos, c’est-à-dire immortel. Car thanatos signifie ce que
nous disons mort, combien qu’en tout ce qui est en ce monde, sont membres d’iceluy, et
principalement l’homme, qui est seul animal raisonnable. Dieu premièrement sur toutes choses est
sempirternel, immortel, non crée, et autheur de toutes choses universellement. Secondement il a fait
le monde à son image et semlance,
La différence qu’il y a entre ce qui est vivant et ce qui est éternel
et est de luy gardé, nourri, et doué d’immortalité comme de son propre et naturel père, toujours
vivant comme luy et étant immortel. Or y a il grande différence entre de ce qui est toujours vivant,
et ce qui est sempiternel, au moyen que ce qui est sempiternel ne fut oncques fait d’autruy, n’y a eu
commencement aucun : ains seulement conciste de soy même. S’il est doncques de soy même sans
commencement, il ne fut jamais fait, mais se fait toujours. Car éternité se dit, en tant que toutes
choses sont éternelles. Dieu doncques père et autheur de toutes choses est de soy même éternel :
mais le monde a été de luy fait et crée à toujours mais vivant et immortel. Et autant qu’il a conçu de
matière en sa divine préscience pour la faire corporelle, et assembler en une masse pour faire toutes
ses oeuvres, il a attrempé en telle sorte et manière, qu’il a rendu tou sphéricq, en imprimant en icelle
matière (étant immortelle, et ayant éternelle raison de matière) une qualité. Mais Dieu père et
créateur de toutes choses, étant garni de toutes espèces, à puis après mis et semé en cette sphère
toutes autres qualités, l’environnant d’icelle et la remparant tout autour, comme d’une haye. Car il a
voulu aorner, et magnifiquement parer ce qui est après luy le plus excellent, quasi muniant tout son
corps d’immortalité, craignant que la matière dont il est fait
Les corps célestes dans l’ordre de Dieu
le voulut départir de sa conjonction, et retourner encores derechef en sa déformité. Car mon fils, tu
dois savoir, qu’auparavant que la matière eut corps, qu’elle n’avait forme, ni figure. Combien que
celle-ci ait encores quelque difformité, au regard de quelque petites qualités après que nature de
croître et décroître à fait son cours, laquelle communément appelons mort. Tel est le désarrois et
confusion des choses terriennes qui ont vie.
Car quant aux corps célestes ils gardent toujour et maintiennent le propre ordre qui leur a été de
Dieu premièrement constitué. Lequel ordre néantmoins est gardé par la restitution, de toute chose
indissoluble en leur premier être. Veu doncques et attendu que tous corps terriens seront réduis à
quelquefois en leur premier ordre et état, et mêmement toute dissolution en corps indissolubles et
immortels, il convient dire et conclure qu’il se fait seulement privation de sens, non pas destruction
et annulation des corps. Loinct (loin) que le tiers animal qui est l’homme, faict (fait) et créé à la
semblance du monde, et estranten iceluy, et s’accordant au vouloir du père céleste, a non seulement
oultre toutes autres créatures alliance et affinité avecques le second Dieu, qui est ledit monde, mais
aussi intelligence du premier, qui est Dieu le créateur. Et comprend entièrement par ses sens ce
second Dieu la
Argument du neuvième dialogue
d’autant qu’il est corporel : mais ne s’élève en la connaissance du premier, que par esprit, au moyen
qu’il est incorporel, et souveraine bonté, qui ne se comprend que par entendement spirituel.
TAT : C’est animal ne devient-il pas à quelquefois à rien?
TRISMEGISTE : Je te prie mon fils, de parler plus sagement, et de penser en toi-même que c’est
que Dieu, le monde, et cet animal immortel, et indissoluble. Retiens doncque que le monde procède
de Dieu : l’hõme (l’homme) du monde, et au monde. Et que Dieu est le commencement de toutes
choses, et les contient, et ordonne une chacune en son ordre et degré.
L’argument du neuvième Dialogue.
Le neuvième enseigne, les humains, lesquels encores qu’ils usent d’intelligence, étant ce
néantmoins matériels, conçoivent de la semence des diables (car il n’y a partie de ce monde qui soit
de leur présence destituée) et en étant gros, enfantent à la fin adultères, forcément de femmes,
homicides, meurtres, et toute autre méchanceté.
Mais au contraire ceux qui sont spirituels, et qui ont Dieu, pour leur ensemenseur, conçoivent tout
aornement de vertu, et enfantent puis après tout acte vertueux. Car les semences divines, sont en
petit nombre, mais de grand rapport, et belle et bonnes, et trop plus excellentes que l’innumérable
Mercure à Esclépios
Ie fy (je fît) hier, ô Esculape, une harangue à mon fils Tatius, touchant ce que les gens errans
appellent la mort, qui fait que je pense à présent être de nécessité, de parlementer une peu avecques
toy des sens. Or pour dire ce qui en est, il me semble premièrement, qu’entre sens et mouvement y a
une telle différence, que le mouvement provient de la matière, et le sens de l’essence divine. Il me
semble néantmoins que l’un et l’autre reviennent en un, et qu’ils n sont distincts des hommes, à
cause de raison, de laquelle ils participent. Quant aux autres animaux, leur sens est conjoint à leur
nature, mais des hommes intelligence. Il y a toutesfois quelque différence entre intelligence et
intellect, ainsi qu’il y a entre Dieu et divinité. Car divinité procède de Dieu, et intelligence de
l’homme. Laquelle certes est soeur prochaine de la parole, si nous ne voulons dire plus apertement,
que l’un et l’autre font instruments s’entr’aydans (s’entraidant) l’un l’autre ensemblement. Car ny la
parolle peult être aucunement prononcée sans l’ayde d’intelligence, n’y intelligence être déclaré
sans le moyen de la parolle. Et par ainsi le sens et l’intelligence sont tellement en l’homme
conjoints, liés, et unanimes, qu’il ne se peuvent délier, ni séparer, car il nous est entièrement
Intelligence sans le sens
Impossible d’entendre sans le sens, et de sentir sans l’entendement. Il est néantmoins possible
aucune fois avoir l’intelligence de quelque chose sans le sens, comme ceux qui voyent des
phantômes, ou faulses (fausses) visions et semblances en leurs songes. Il me semble aussi que l’une
et l’autre opération s’exerce es vision desdicts (des dits) songes par le sentiment dont l’on se
réveille. D’avantage il avient (arrive) par fois que l’âme et le corps, c’est-à-dire tout l’homme, se
unyent et conjoignent ensemble de telle sorte, qu’il ne se fait qu’un d’eux deux, toutes et
quantesfois qu’il n’y a aucun discord entre les particules des sens, mais sont unies et concordantes
les unes aux autres, dont lors l’intelligence après avoir conceu (conçu) l’entendement, est mise hors.
Lequel entendement certes conçoit toutes connaissances : bonnes premièrement toutes et quantes
fois que Dieu luy infuse les semences : mauvaises, quand les diables épandent les leurs. Car il faut
entendre n’être partie en ce monde, qui soit vuyde (vide) et destituée de la présence des diables. La
clarté et lumière desquels, descendent entièrement et provient de Dieu. Le diable doncques épandu
en l’homme, iecte (jette) en luy, et sème les semences génératives de sa propre connaissance et
opération. Et l’esprit étant ensemencé de telle semence, engrossit, et puis après enfante adultères,
stupres ou forcements de
Les Semences de Dieu
Vierges, homicides, meurtres, sacrilèges, mépris de Dieu, égorgements d’hommes, ruynes et
evertions de villes, et autres milles oeuvres diaboliques. Mais d’autant que les semences de Dieu
sont en plus petit nombre, d’autant sont elles plus excellentes, belles et bonnes, qui sont vertu,
tempérance, et piété. Laquelle piété, ne est autre chose, que congoissance (connaissance) de Dieu.
Celuy qui le cognoist (connais), non seulement est remply de tout bien, mais aussi entend et
comprend toutes divines cognoissances : cognoissance, dy-ie (dis-je), à peu d’autres semblables.
Dont vient que si quelques uns se dédient à les vouloir entendre, ils ne seront iamais aggreables au
commun vulgaire, ne luy à eux. Mais qui plus est, ils sont de luy réputés, comme fols et insensés,
mocqués, et hays (haïs), et avecques parolles contumelieuses iniuries (injuriés), finablement mis à
mort. Car (comme avons dit au dessus) toute improbité fait icy sa demeure, tellement que la terre
est la propre région de toute iniquité. Ie dy (je dis) la terre, et non le monde universel, ainsi qu’ont
voulu dire quelque gens impitoyables, et détracteurs. Toutesfois l’homme à Dieu dedié, incontinent
qu’il a gousté (goûté) la vision et cognoissance (connaissance) divine, il met toutes autres choses en
oubly : et qui plus est, tout ce que les autres estiment être mal, il luy eschait (échoit) à bien : à raison
principallement qu’il y pourvoit prudemment, et
Intelligence et entendement
tourne tout à science, et (qui est chose plus émerveillable) pource que totallement il convertist le
mal en bien. Mais retournons encore à nostre premier propos, de parler du sens. C’est doncques
chose qui n’est point hors d’humanité de conioindre le sens avecques intelligence, au moyen que
toutes personnes sont (ainsi que i’ay dit au dessus) conduictes par intelligence, ou entendement. Si
est-ce toutesfoys que l’un provient de la matière, et l’autre d’essence divine. Car celuy qui est serf
de péché, est matériel, et reçoit la semence de son intelligence des diables, comme avons dit au
dessus. Mais ceux qui ayment bonté, et obtiennent le bié (bien) de l’âme, leur nature est sous la
protection et sauvegarde de Dieu. Car tout ainsi qu’il est l’origine et cause effectrice de toutes
choses, aussi fait il et rend toutes ses oeuvres semblables à luy. Iaçoit qu’il y ayt aucunefois
quelques unes de ses oeuvres bien faites et formées, lesquelles sont néantmoins stériles en l’effect
de leurs operations. Car la révolution du monde en ce que elle produit, imprimé quelques qualités,
souillant les unes de mal, purgeant les autres, et nettoyant par le moyen de bien. Le monde
pareillement, ô Esculape, a sens et mouvement, non toutesfois pareil à celuy de l’homme : ains
(mais) beaucoup plus puissant, et plus simple. Car le sens et intelligence du monde, n’est autre
chose que faire
Le monde organe et instrument de Dieu
et défaire, produyre et destruyre. C’est l’organe et instrument de la divine volonté, lequel a esté fait
de Dieu à cette raison principalement, qu’il receust (reçu) de luy toutes semêces (semences), et les
cachast (cachaît) fidellement en son gyron : finablement les assemblast toutes ensemble, et puis
apres les produist: et après leur production les séparast (séparaît) de rechef et divisait les unes des
autres, et à la fin les tollust (?). Faisant en cela comme un expers vigneron, lequel taille en la vigne
tout ce qui est trop vieil et superflu, à fin qu’au printemps de produyre, elle reverdisse derechef. Et
aussi ny a il rien, auquel le monde ne donne vie, aussi qu’il est le lieu de vie, et d’icelle instituteur et
commencement. Or est il a sçavoir (savoir) qu’il y a grâde (grande) difference entre tous corps qui
consistent de la matière. Car les uns sont de terre, les autres d’eau, les autres d’air, et la plus grand
part de feu. Lesquels certes sont tous composes. Si est ce toutesfoys que les uns sont plus massifs,
que les autres, les aucuns plus simples : desquels les premiers sont pesans, les seconds agilles et
legiers. Mais la soudaineté de cette agitation induist par sa diversité les qualités de toutes
générations. Au moyen que le fréquence et assidue respiration, donne aux corps une qualité, avec
une superabondance de vie. Dieu doncques est le pere du monde, et le monde fils de Dieu, et pere
de tout ce qui est en luy et soubz (sous) sa domina-
Raison pourquoi le monde est ainsi appellé
domination et puissance. Lequel non sans iuste (juste) cause est appellé monde. Car il aorne (orne)
et illustre toutes choses par la diversité de génération, ensemble par l’opération continuelle de vie,
par la perpetuelle hatisveté (hâtiveté) de necessité, par la conionction (conjonction) des élémens, par
l’ordre finablement, et disposition de toutes choses crées. Le monde doncques, qui vault autant à
dire comme aornement, est à bon droit et de necessité ainsi appellé, pour autant que le sens et
intelligence de tous animaux reçoivent de luy extérieurement leur influence, à cause qu’il contient
en soy toues inspirations et influences. Lequel monde garde en son entier à perpetuité tout ce qu’il a
receu de Dieu des adoncques son commmencement et création. Dieu aussi n’est pas (ainsi que
tiennent aucuns misérables, et faux détracteurs) privé de sens ny d’entendement. Car eux oppressés
de misère, ne sçavent autre chose, sinô (sinon) que mal parler de Dieu. Tu dois pareillement sçavoir
ô Esculape, que tout ce qui despend de Dieu, aage partie par le corps, partie meut par essence
animée, ou vivifie par esprit, ou est receptacle des choses mortes. Sera neantmoins beaucoup mieux
dit, quand nous dirons que Dieu n’a point toutes telles choses mais (à fin d’exprimer la pure verité)
qu’il est tout ce que l’on pourroit dire ou penser : et qu’il ne reçoit aucunes telles choses
exterieurement mais
Entendre n’est pas autre chose que croire
Mais qu’il les donne à toutes choses extérieures et eslongnées (éloignées) de sa divine maiesté. Ce
qu’est le sens et entendement de Dieu, sçavoir est de mouvoir tousiours (toujours) toutes choses.
Qui est la cause qu’il nous convient confesser ne pouoir (pouvoir) estre aucun temps, auquel
devienne à neant aucune chose de tout ce qui est. Or toutes et quantesfois que ie dy ce qui est,
i’entends dire le threfor de Dieu. Car Dieu contient toute essence, hors lequel il ny a rien, et si n’est
hors de rien. Cecy ô Esculape te semblera estre vray, si tu le veux entendre, et y appliquer ton
esprit : au contraire incrédible, si tu le veux ignorer. Au moyê (moyen) qu’entendre n’est autre
chose, que croyre : comme au contraire ne vouloir croyre, n’est qu’ignorer. Car tout ce que ie dy,
n’est que vérité, à cause que mon esprit est si dilaté, que deslors qu’il se met à desduyre quelqeu
chose certaine, il en côprend (comprend) l’entiere et pure verité. Et en comprenant les choses, et les
trouvant conformes à ce qu’il interprète, soudain il y adiouste (ajoute) foy : en laquelle estant
affermy et assuré, heureusement se repose. Et ainsi, ce qui se dit des choses divines, est creu
asseurément quant il est entendu : au contraire nyé, quand il ne l’est point. Te suffise doncques
d’avoir iusques icy traicté d’intelligence.
Argument du dixième dialogue
le dixième dit que Dieu est toutes choses, lesquelles toutesfoys une chacune à part soy retiennent
par participation leur nature et proprieté. Que Dieu neantmoins est le pere, et le souverain bien, en
tant qu’il est toutes choses. Il traicte en apres du ravissement de l’ame en silence, en disant n’estre
licite ny permis reveler ce que lon voyt des yeux de l’entendement. Touchant ce qu’il aiouste de la
transformation des animaux, ce que s’ensuyt puis apres declare assez falloir suyvre non la fiction
des parolles, ains l’allegorie de la fiction, quand il dit. Il n’y a autre corps que l’humain, qui puisse
l’ame humaine recevoir, et n’est licite que l’ame raisonnable tombe en quelque corps de celle qui
est irraisonnable. Et un peu apres. Telle est la digne punition de nature, non telle que toy, mon fils, à
l’aventure, ou quelques autres estiment : aux quels il semble que lors que nostre ame est despouillée
de ceste figure humaine, qu’elle retourne, et degenere en corps es bestes brutes. Car tel erreur est
par trop meschant, et miserable. Au regard de ce qu’il dit que l’ame de l’enfant se voyt et contemple
soy mesme, premier qu’elle tombe en ce corps mortel, y prennent esgard ceux qui avecques
obstination defendent que l’entendemêt et intelligence est cachée en elle.
La clé de Mercure à son fils Tatius
Dialogue X
IE te vouay, ô Esculape, la harangue d’hier, qui fait que i’estime estre raisonnable dedier celle du
iourd’huy à mon fils Tatius, à cause principallement que la dispute presente ne doit estre qu’un
sommaire des choses qu’avons traitées au paravant. Tout premierement mon fils tu dois entendre
que Dieu, pere, et bien, ont une mesme nature et operation. Car le nom par lequel on appelle
communément toutes choses muables et immuables, c’est-à-dire, humaines et divines, n’est qu’une
apellation d’acroissement ou diminution : desquelles choses il veut estre l’un et l’autre. Mais
ailleurs (comme avons môstré et declaré autre part) il veut estre l’acte de toutes choses, soient
divines, soient humaines. Ce que se peult entendre en cela, que son acte est sa volonté, et son
essence de vouloir que toutes choses soient et consistent. Car qu’est ce que Dieu, pere, et bien,
sinon estre tout ce qui n’est encores point ? Au contraire tout ce qui a estre, n’est autre chose que
cela, c’est-à-dire, Dieu pere, et bien. Auquel certes nulle autre chose doit
Dieu est la cause première de toute chose
Doit, ou peult estre appliquée. Car ny le monde, ny le Soleil se doivent appeller pere des choses
vivantes quant à la cause de leur vie et bonté, sinon que par participation. Ou s’il avient que la
chose soit telle, c’est-à-dire, que le monde soit cause de vie et bonté à toutes choses vivantes, il fault
dire qu’il est comprins en la volonté de ce supreme bien, sans laquelle il ne peult estre aucunement
ny avoir esté fait. Et combien qu’il soit pere des enfans, et de tout aliment, si est ce neantmoins qu’il
reçoit cela par le seul vouloir de ce bien (lequel bien certes est actif) et ne peult à autre appartenir ne
escheoir sors qu’à luy seul. Lequel pour autant qu’il ne reçoit rien d’ailleurs, il veult estre toutes
choses. Ie ne dy pas, mon filz Tatius, que le monde face toutes choses universellement. Car quand il
a fait quelque chose, il est long temps puis apres sans rien faire, estant indigent. Au moyen qu’il fait
par foys, et par autre serepose, ayant affaire de qualité et de quantité, aucunesfoys les disposant, par
autre faisant le contraire. Mais Dieu, pere, et bien, est ainsi appellé, pource qu’il est toutes choses.
Estant doncques tel, il peult au monde tout cecy commander, à raison qu’il luy plaist que cela soit
ainsi, et est. Et luy commande plus tost qu’à l’une de ses creatures, à cause principalement que tout
est fait pour l’amour de luy. Car la nature et proprieté de bien, ô Tatius
CorpDifférence entre le regard de Dieu et celui du Soleil.
ô Tatius mon filz, est de se manifester, et se donner à cognoistre.
TATIUS : Ô mon pere, que vous m’avez tendu participant d’une belle vision. Car par icelle l’oeil de
mon entendememêt est presque entierement purgé, de toute ordure.
TRISMEGISTE : Et non sans cause mon filz. Car le regard de ce bien, n’est pas semblable à celuy
du Soleil. Celuy du Soleil corrompt et esblouist la veuë par sa trop grande lueur : mais celuy de ce
bien, illustre et acroist celle de l’oeil interieur d’autant plus, que aucun peut plus parfaitement
comprendre et apercevoir l’influance de sa splendeur intelligible. Laquelle certes est beaucoup plus
subtile que celle du Soleil : tellement qu’elle remplist une chacune chose d’immortalité, et
innocence. Ceux qui peuvêt abondamment puiser de ceste lueur, sont souventesfois transportez de
leurs corps, et raviz en l’aspect de ceste grande et excellente beauté, côme Selius, et Saturnus noz
predecesseurs se sont eslevez
.
TATIUS : A’ ma volonté qu’ainsi soit il de nous mon pere.
TRISMEGISTE : A’ ma volonté, mon filz : Nous sommes toutesfois encore par trop imbecilles et
imparfaitz, pour ainsi se hault bien contempler. Mais lors pourrons nous eslever les yeux de nostre
entendement, et parfaitement regarder ce tant excellent bien, avecques l’incorruptible et
incomprehensible beauté d’iceluy, quand nous n’en parlerons point,
Transmutation en essence divine
Au moyen que parfaite cognoissance d’iceluy, n’est autre chose qu’un silence divin, et ententive
application de tous les sens. Celuy qui l’entend, ne peult à autre chose penser. Celuy qui le voit, ne
peult voir autre chose. Celuy qui l’oyt ne peult ouyr autre chose puis apres, ny mouvoir les
membres de son corps : de maniere questant delivré de tous ses sens et mouvemens corporels, fait
toutes ses affaires sans crainte aucune. Car celuy qui par sa tresresplendente lumiere tout environné,
embrase tellement, et de toutes pars iecte ses rayons sur son entendement, qu’il luy tire et soustrait
entierement son ame hors de son domicile, et le transmue totallement en essence divine. Car, mon
filz, il est impossible que l’ame de l’homme gissante en l’ordure de ce corps, puisse recevoir en soy
l’espece et forme de Dieu. Et n’est aucunement loysible à homme de pouvoir contempler la beauté
et excellence de Dieu, s’il n’est en Dieu premierement regeneré, reformé, et transubstancié.
TAT : Comment dites vous cela mon pere ?
TRISMEGISTE : A’ cause de la distribution de toute ame mon filz.
TAT : En quelle sorte et manière se font ses changemens ?
TRISMEGISTE : Ne l’as-tu pas entendu en ce qu’avons n’agueres dit generallement, à sçavoir
comment de la seule ame du monde toutes les autres dépêndent, comme par tout le monde esparses
çà et là
Le langage allégorique (analogie)
discurrentes ? Des ces ames donc, il y a diverses mutations et châgemens, partie en meilleure
condition, partie en contraire. Car aucunes y a de celles des reptiles, qui se changent en aquatiques,
et de celles des aquatiques en terrestres, de celles des terrestres en celles des oyseaux, de celles qui
habitêt en l’air en celles des hommes. En après celles des hommes, qui sont immortelles, en celles
des Anges : lesquelles finablement revolent en l’heureuse compagnie de ceux qui on iouissance de
Dieu. Ce qu’est la supreme gloire de l’ame. Mais l’ame tombée en corps humain, si elle persevere
en mal, elle ne gouste aucune chose d’immortalité, ny n’a fruition d’aucun bien : mais son cours
finablement revolu, est precipitée de hault en bas, es infrenales contrées. Ce que certes est le
iugement et peine de l’ame meschante et depravée. La pravité de laquelle n’est autre chose que
ignorance. Car ignorant les choses de nature, et le supreme bien, ne fait que s’envelopper est
passions de ce corps. L’ame du diable pareillement en ceste maniere corrompuë, et ignorant soy
mesme, est à plusieurs corps abietz, et autres monstres diformes et infectz asservie. Elle traine son
corps çà et là, comme un pesant fardeau, non estant maistresse de luy, mais pour son ignorance
subiuguée et maistrisée. Au contraire la vertu de l’ame, gist en la cognoissance de Dieu. Car à la
verité, celuy
L’Homme Sage
qui en elle est expert, est coustumieremêt bon, pitoyable, et divin, aymant et craignant Dieu, comme
il appartient.
TAT : Qui est celuy, qui peut estre tel, mon pere ?
TRIMEGISTE : Celuy qui parle peu, et qui en deux parolles entend et oyt ce qui se doit ouyr et
respondre, et l’examine en secret. Car Dieu, pere, et bien, ne se prononce de langue, ny ne s’entend
d’oreilles, sinon spirituelles. Veu donc et atendu que tout cecy, ainsi se côporte es choses lesquelles
sont, et se disent de luy, il faut dire qu’elles sont ses sens, à l’ocasion qu’elles ne peuvent estre de
luy separées. Or y a il grande difference entre le sens et la cognoissance. Car le sens, est un
mouvement de la chose superieure : mais cognoissance est la fin et le but de sciêce, Laquelle
science est don de Dieu, à cause que chasque science use d’entendement incorporel, comme de son
instrument et organe, et l’entendement use du corps. Qui faict que l’un et l’autre ayent leur resource
es corps tant intelligibles, que materielz. Car il est de necessité que toutes choses consistent
d’opposition, et contrarieté, et est impossible qu’il se puisse autrement faire.
TAT : Qui est doncques ce Dieu materiel ?
TRISMEGISTE : C’est le monde, lequel certes est beau, non pas toutesfois bon au moyen qu’il
consiste de la matiere, et qu’il est soubmis à passion. Ioinct qu’il est le premier de tout ce qui
souffre, et le second de tout ce qui
L’âme et le corps, le matériel et le spirituel
qui est, estant de sa propre nature indigent, et qui a esté une fois fait et crée, encores qu’il soit
perpetuel en sa generation, et la geniture de toutes qualitez, et quantites. Ce qui se faict, pour raison,
qu’il est mobile. Car tout mouvement materiel, se doit appeler generation. L’arrest semblablement
et station intelligible, meut en ceste façon le mouvement materiel. Car le monde est une sphere,
c’est-à-dire, un chef dessus, lequel il ny a aucune chose materielle, ny au dessoubz aucune
intelligible, ains tout ce qu’il a, est materiel. Mais l’esprit, qui est ce chef, est agité et meu tout à
l’entour, en façon d’un cercle, c’est-à-dire, selon la nature et proprieté dudit chef. Tout ce qui est
donc contigu et ioignant à la peau de ce chef, (laquelle peau signifie l’ame) est né immortel, quasi
comme si le corps estoit constitué en l’ame, et toutes choses qui ont ame, fussent pleines de corps.
Mais tout ce qui est reculé de cette peau, ou gist ce qui plus participe de l’ame, n’est que corps. Le
tout neantmoins composé ensemble et conioinct , est un animal. Le monde doncques total est
partie de chose materielle, partie intelligible. Lequel certes est le premier animal, et l’homme le
second apres luy , et sur tous autres le plus excellent, au moyen que luy seul possede tous dons de
l’ame, que Dieu a donnez à toutes autres creatures. Et non seulement il est bon, mais aussi mauvais,
en ce
Comment l’âme humaine est portée
qui est mortel. Car le monde ne peult estre bon, atendu sa mobilité : ny du tout mauvais, à cause de
son immortalité. Mais pource que l’hôme est mobile, et mortel, on l’estime mauvais. L’ame duquel
est en ceste maniere portée. Car l’entendement gist en raison, raison en l’ame, l’ame en l’esprit,
l’esprit au corps. L’esprit diffus et espandu de tous costez par les veines et arteres, meut et agit c’est
animal, et entieremêt soubstient et porte la masse de ce corps pendente contre bas. Dont vient
qu’aucuns povres d’esprit et abusez, ont estimé nostre ame n’estre autre chose, que l’humeur du
sang. Aux quelz certes a esté caché, estre de necessité que tout premierement l’esprit vital s’espende
iusques à l’ame, puis apres que le sang prenne nourriture et acroissement, et que par ainsi les venes
et arteres, qui sont creuses, s’estendêt : finablement que c’est animal se resoulde. Ce qui est ce
qu’on appelle la mort du corps. Si est ce neantmoins qu’il faut tousiours entendre, que tout cecy
depend d’un commencement. Lequel commencement, yst et sourd d’un autre seul. Mais le premier
qui est Dieu, est tousiours tout un, sans aucune variation, et sans se departir de son unité. Sont
doncques icy les trois commencements de toutes choses, Dieu, pere, bien, et le monde, et l’homme.
Dieu contient le monde, le monde l’homme. Le monde est crée de Dieu, et l’hom
Dieu a voulu être connu de l’Homme
et l’homme est la geniture du monde. Lequel homme, Dieu n’a pas mis en oubly, mais au contraire
l’a en sa solicitude, en voulant estre cogneu de luy. En la cognoissance duquel consiste le seul salut
de l’homme, et la droite voye pour monter au ciel. Et est le seul moyen, par lequel est bonne l’ame,
non pas toutes fois tousiours bonne, ains aucunesfois mauvaise : ce que se fait, selon fatalle destinée
ou necessité.
TAT : Comment dites vous cela Trismegiste ?
TRISMEGISTE : Ie le dy, mon fils pour raison qu’avant que l’ame de l’enfant soit faite et formée,
et qu’elle soit infuse dans le corps de la femme, elle se contemple et se voit soy mesme. Car de fait
elle ne est encores corrompuë et souillée des passions de ce corps : ains depend seulement de l’ame
du monde. Mais apres que le corps est formé, et que l’ame est espanduë en la masse d’iceluy, lors
est soubmise à toute oubliance, et privée de la vision de toute beauté et bonté. Laquelle oubliance
n’est autre chose, qu’improbité, et peché. Semblable advient à ceux qui decedent de ce monde, au
moyen que l’ame, qui est diffuse et espanduë par tout le corps, recourt en soymeme, et l’esprit vital
au sang : tellement qu’elle se retire en l’esprit, et ne se fait qu’un d’eux deux. L’entendement
d’autre part qui de sa propre nature est divin, estant delivré de tous liens corporelz, et ayant un corps
de feu, ne fait que vaguer
L’entendement et l’âme
par tout çà et là, en delaissant l’ame à son iuste et merité supplice.
TAT : Comment dites vous cela mon pere ?
TRISMEGISTE : Pour autant, mon filz, que l’entendement se separe de l’ame, et l’ame de l’esprit,
le vestement duquel entêdement est l’ame, et celuy de l’ame est l’esprit. Il fault, mon filz, que
l’auditeur s’acorde avecques celuy qui parle. Parquoy entends que l’enveloppement de ces
vestemens, se fait au-dedans du corps humain. Car de mettre un entendement tout nud en une masse
de terre, est chose totalement impossible. Au moyen que l’ordure et infection terrienne, ne peult
recevoir une chose si divine, ny soustenir une telle maiesté, comme est l’entendement, mise en un
corps passible, et la conformer à luy. L’entendement, doncques s’est accompaigné de l’ame, et s’en
est revestu comme d’un vestemêt. L’ame pareillement qui est divine, use de l’ayde de l’esprit,
lequel est diffus par tout l’homme entierement. Incontinent doncques que l’entendement est delivre
de ce corps terrien, il prend incôtinent son propre vestement, c’est à sçavoir un corps de feu, duquel
pendant qu’il en est revestu, ne se peult mettre en un corps terrestre, pour autant que la terre ne
peult ce feu soubstenir ne porter. Car elle feroit tantost arse par la moindre
Le combat de la connaissance de Dieu
Estincelle, qui est en luy. D’où vient qu’il a fallu créer un humeur froit pour envirôner ceste masse
terriêne pour estre comme un obstacle de peur que le feu ne la consommast. Lequel atendu qu’il est
entre toutes conceptions divines le plus subtil et le plus soudain, aussi comprend il les corps d’un
chascun element. Car de fait le createur des cieux, use de feu, principallement à gouverner sa
facture. Le facteur certes de l’univers, use de toutes choses : mais tout autre ouvrier n’use
seulement, que de ce qui est sur la terre, ou à l’entour d’elle. Car l’humain entendement privé de
feu, et seulement idoyne à disposition humaine, ne peut construire chose qui appartienne à divinité.
L’ame humaine aussi (non pas toute, ains celle qui est bien heureuse et pitoyable) est divine.
Laquelle estant exempte et delivre de l’obscure prison de ce corps par la mort, se fait divine, et se
convertist en entendement divin. Le plus fort et penible côbat qu’elle puisse avoir, durant qu’elle est
enclose en ce corps, est premierement de recognoistre Dieu : secondement de ne faire tort ny iniure
à aucun. Quant à celle qui est meschante, il fault entendre que deslors qu’elle est de ce corps
separée, elle demeure en sa propre nature estant d’elle mesme fort tourmentée et affligée, et cherche
quelque corps humain pour y entrer et là demeurer. Car il se fault donner garde
Le tourment du pécheur est son péché
d’errer en estimant qu’il y ayt autre corps que l’humain, qui puisse recevoir l’ame humaine :
tellement qu’il ne se peult faire que l’ame raisonnable tombe en quelque corps de l’ame
irraisonnable. Car la loy divine prohibe un si meschante et si abominable degeneration.
TAT : En quelle sorte doncques, mon pere, est l’ame du meschant homme tourmentée ? Quel est son
plus grief tourment ?
TRISMEGISTE : C’est son peché mon filz Tatius. Car qui est le feu qui puisse avoir la flambe plus
ardente que peché ? Quelle beste sauvage si cruelle soit elle, et ravissante, desmembre si fort le
corps, comme aflige l’ame iniquité ? Ne voys tu pas de combien de destresses est opriméee l’ame
du meschant ? Prens garde, mon fils, de quelles calamitez et supplices est tourmentée, quand en
ceste façon elle se escrie : Ie brusle, ie consume, ie ne sçay que ie fais, ou que ie dy, toutes
calamitez et miseres qui continuëllement survienent, me devorent. O moy miserable ie ne voy, ny
n’oy rien pour les trop urgêtes destresses, qui m’opressent. Telles sont les clameurs et doleances de
l’ame afligée. Telle est la digne punition de nature. Non telle que toy, mon filz à l’aventure, ou
quelques autres estiment, aux quelz semble que deslors que l’ame est despouillée de ceste figure
humaine, qu’elle retourne et degenere es corps des bestes brutes. Car tel erreur, de croyre ou penser
L’âme et le choix du mal
Penser cela, est par trop inique et prophane. Mais il y a bien un autre moyen pour punir l’ame. Tu
dois doncques entendre, que lors que l’entendement est coverty en nature diaboliques, que il luy est
de Dieu commandé sur l’obeyssance qu’il luy doit, prendre un corps de feu. Puys apres espandu en
l’ame, ainsi pleine de meschâceté, la foëtte et tourmente des verges de peché. Desquelles apres
avoir esté bastuë ne s’adonne de là en avant qu’à faire meurtres, à dire iniures, à mesler noyses, à
perpetrer innumerables rapines, et (pour le faire bref) à tous autres exces illicites et desordonnez,
par lesquelz peche l’homme, et delinque contre Dieu. Mais quand cest entendment est en quelque
saincte ame tombé, il l’extolle et esleve en la lumiere de divine sapience. En maniere que puis apres
elle ne peult plus languir de paresse : ainçois, en imitant tousiours Dieu son pere, donne confort et
ayde, tant en dict comme en faict, au genre humain. Parquoy, mon filz, en rendant à Dieu
humblement action de grace, il nous le fault à mains ioinctes prier, et suplier en coeur contrit, qu’il
luy plaise nous faire participans de bon entendment, et faire cheminer nostre ame tousiours de bien
en mieux, et iamais en pis. Il y a d’avantage quelque communication entre toutes ames. Car
premierement celles des dieux cômuniquent en quelque chose
Les rayons de Dieu du monde et de l’Homme
avecques celles des hommes. Mais Dieu communique à une chacune d’elles, au moyen qu’il est
plus excellent, et plus puissant qu’elles toutes ensembles : et que toutes choses sont plus imbecilles
que luy, en maniere que le monde luy est submis, l’homme au monde, la beste brute à l’homme.
Quant à Dieu il est sur, et à l’entour de toutes ses oeuvres : ceux du monde, toutes natures : ceux de
l’homme, sont tous artz et sciences. Les actes de Dieu, s’exercent par le monde, et descendent en
l’homme par les rayôs naturelz du monde, ceux de l’homme par les artz et sciences. Cest doncques
icy l’aministration et gouvernement de toute le monde dependant de la nature d’un seul Dieu, et par
un seul entendement discourant avecques bonne ordre et disposition par toutes les creatures de
Dieu. Oultre lequel entendement, ny a rien plus fort et plus puissant, rien plus divin, finablement
rien plus uny et conioint. On voyt doncques assez clerement par cecy, quelle communication y a
entre les dieux et les hommes. C’est cy le bon ange, mon dilz, duquel l’ame qui en est pleine, est
bien heureuse : au contraire malheureuse celle, laquelle est vuyde d’iceluy.
TATIUS : Par quelle raison dites vous cela mon pere ?
TRISMEGISTE : Sçache mon filz, que toute ame possede le souverain
Raison pour laquelle Dieu nous délaisse.
souverain bien pour sa pensée et entendement. Car aussi de luy est nostre present propos, non pas
de son ministre qui est l’ame privée d’entendement, laquelle avons dit au paravant avoir esté par le
iuste iugement de Dieu envoyé aux infernales contrées. Car l’ame destituée de la presence
d’entendement, qui est ce souverain bien ne peut faire ne dire aucune chose. Côme nous voyons
souventesfois advenir que l’entendement est hors de l’ame, dont vient qu’elle ne voyt ny n’oyt rien
pour lors : mais est semblable à celle de la beste privée de raison. Tant est grande la puissance et
divinité de l’entendement. De maniere qu’il laisse (comme avons dit) l’ame enclose en ceste
obscure prison corporelle, et puis apres la traine es enfers. Certainement mon filz, l’homme lequel a
une telle ame ainsi privée d’entendement, ne se doit appeler homme. Au moyen que l’homme est un
animal divin, et ne se doit accomparer aux bestes brutes, ains aux dieux celestes. De sorte que si
nous voulons dire et confesser ce qui est de verité, nous dirons qu’un vray homme est plus
excellent, que ceux qui habitent au ciel, ou pour le moins que sa condition est pareille à la leur. Et la
raison est pour ce que celuy qui d’entre les celestes descend du ciel en terre, delaisse les bornes et
limites du ciel, aux quelz monte l’homme, et les mesure et compasse sans partir de la terre.
Ioinct qu’il entend toutes choses facillement ou soient basses, ou soient haultes, et en cherche
soigneusement tout le reste. Et qui est chose plus admirable, sans delaisser la terre, il s’esleve au
ciel. Tant est ample la puissance et vertu de nature humaine. Parquoy nous oserôs bien dire et
affermer que l’homme terrien est un Dieu mortel, et que le Dieu celeste est un homme immortel. Il
fault doncques pour toute resolution entêdre, que par la vertu de ces deux à sçavoir de l’homme, et
du monde, sont toutes choses regies et gouvernées, ayans sur eux toutesfoys comme autheur et
principal moderateur celuy, auquel sont toutes choses soubmises et asservies.
L’argument de l’unziesme Dialogue.
L’unziesme plein de haultz propoz, et sentences divines, declare comme eternité depend de Dieu, le
monde d’eternité, le temps du monde : le changement, du temps : du changement, la mort et la vie.
D’avantage qu’il ny a puissance, soit divine ou humaine, ou des choses superieures, ou inferieures,
qui se puisse ou se doive acomparer à celle de Dieu, pour autant qu’elle est insuperable, et inifinie.
Lequel il monstre par vives raisons et analogies, estre le seul et unique Dieu de nature : qui pource
qu’il ne peult estre ocieux, faict sans cesse toutes choses.
Ce que fault entendre (pour le bien comprendre) de l’eternelle generatiô du Verbe de Dieu Iesus
Christ, au moyen qu’il dit avoir esté de necessité que l’oeuvre divine y fust, à fin que ce qui se faict,
ou a esté fait, ou se fera à l’advenir, fust et consistast. Ce que n’est autre chose que vie, beauté,
bonté, finablement Dieu, et la vie de toutes choses. Ou ce qu’a plus haultement exprimé la
trompette evangelique saint Iehan, quand il dit : au commencement estoit le Verbe, et le Verbe estoit
avec Dieu, et Dieu estoit le Verbe. Toutes choses ont esté faites par luy, et sans luy n’a rien esté faict
ce qu’a esté faict. En luy estoit la vie. La vie doncques de toutes choses procede de Dieu, et Dieu
mesmes est la vie. Qui fait que ce que vulgairement on estime la mort, ne soit pas la vraye mort des
choses : mais plus tost ce que la vie des choses vivantes delaisse, quand elle se retire et se musse
desormais. Il use à la fin d’une proportion merveilleuse pour comprendre Dieu : lequel ores qu’on le
comprenne, il demeure tousiours incomprehensible, et estant à tous incogneu, se donne en toutes
choses à cognoistre. Vous doncques gens de bien, soyez icy ententifz, et prestez l’oreille d’un franc
vouloir aux hautz propos de la divine pensée, à fin que finablement cognoissiez que celuy qui a faict
et fabriqué toutes choses, l’a fait à ceste intention, de la puissance
LA DIVINE PENSEE, à Mercure.
Dialogue XI
Deporte toy ô Mercure Trismegiste, à exposer tant de choses si long temps. Repose toy à present, et
te remembre de ce que tu as dit au dessus. Car ie ne trouveray etrange de t’exprimer sur ce mon
advis. Et ce à cause principallement que plusieurs et diverses opinions courent, et s’agitent entre les
hommes de Dieu, et du monde.
TRISMEGISTE : Certes à fin de franchement confesser mon ignorance, ie ne comprend pas encores
bonnement la pure et entiere verité de cela. Parquoy, mon seigneur, il vous plaira me la declarer, et
faire entendre. Car ie ne pense qu’il y ayt autre que vous, qui me la peust expliquer.
LA PENSEE : Escouste moy doncques mon filz. Tu dois Sçavoir en premier lieu, que Dieu, le
temps, et l’univers se comportent en ceste sorte. Car Dieu est eternité, et le temps generation. Dieu
fait eternité, eternité le monde, le monde le temps, le temps generation. L’essence de Dieu n’est
presques autre chose que bonté, beauté, beatitude, sapience, eternité. Son essence et celà, n’est
qu’un.
Connaître l’ordre de toutes choses
L’ordre du monde, est changement de temps. Celuy de generation, est la mort et la vie. L’acte de
Dieu, est l’entendement, et l’ame eternité, perseverance, et immortalité. Le cours du monde, est
l’acroissement et diminution du temps, avecques la qualité de generation.Eternité doncques gist en
Dieu, en eternité le monde, dedans le monde le temps, dedans le temps generation. Eternité est à
l’entour de Dieu, le monde se meult en ceste eternité, le temps prêd fin au monde, generation se
faict dedans le têps. Dieu Doncques est la source de toutes choses. L’essence duquel est eternité : la
matiere d’eternité, est le monde : la puissance de Dieu, est eternité : l’oeuvre d’eternité, est le
monde. Lequel fut qu’il n’estoit point, estant tousiours neant-moins en Dieu, comme s’il eust esté
faict avant tout aage. Et attendu que l’aage ne peult cesser, aussi pareillement le monde iamais ne
cessera. Lequel pour ce qu’il est compris d’eternité, iamais aucune partie de luy ne pourra perir.
TRISMEGISTE : Mais qu’est ce que la sapience de Dieu ?
LA PENSEE : C’est bonté, beaulté, beatitude, toute vertu, et aage. Lequel aage donne immortalité,
en donnant semblablemêt perseverance à la matière. Car l’origine de la matière depend de l’aage,
ainsi que l’aage de Dieu. Generation et le temps sont de double nature, tant au ciel, comme en terre. Au ciel premierement
L’âme de l’éternité, du monde et de la terre
ils sont immuables et immortels : mais en terre muables, et subiectz à corruption. L’ame d’eternité,
est Dieu : celle du monde, eternite, celle de la terre, est le ciel. Dieu gist en l’entendement,
l’entendement en l’ame, l’ame en la matiere. Tout cecy neantmoins provient de l’aage, et est le
corps seul, d’ou prennent leur origine tous corps. L’ame pareillement pleine de Dieu, et
d’entendement remplist l’interieur du monde, et embrasse l’exterieur, donnant vie à toutes choses,
et avant toutes à ce hault et parfait animal, qui est le monde exterieurement, interieurement à tout ce
qui est en luy vivant. Lassus il donne vie au ciel, en ce qu’il est tousiours tout un sans alteration et
changement, et le restraint en son ordre, proportion, nombre, et poix. Ca bas il vivifie la terre, en ce
qu’il la fait produyre toute generation. L’aage contient le monde soit par necessité, ou par
providence, ou par nature. Tellement que Dieu fait tout ce que l’on pourroit ou de present, ou à
l’avenir dire ou penser. L’acte, duquel est une puissance nô equiparable, et invincible, qui est la
cause que nul ne doit atenter, à luy comparer aucune autre soit divine, ou humaine. Garde toy
doncq’ bien, ô Mercure, d’estimer qu’il y ayt quelque chose, ou lassus au ciel, ou ça bas en terre,
qui puisse estre semblable à Dieu, si tu ne veux totallement errer, et forvoyer de la verité. Car ce qui
Comparaisons et similitudes
est à toutes choses dissemblable, et unique, ne reçoit similitude, ne comparaison. Et de fait aussi ny
a rien qui puisse avoir semblable vertu, que Dieu. Car qui est semblable à luy, quant à la production
de vie, d’immortalité, et changement de qualité ? Car que peult faire Dieu, outre cela ? Or ne peult il
estre aucunement oysif. De maniere que si celà avoit lieu, toutes choses seroient pareillement
oysives, et cesseroient d’oeuvrer à cause qu’elles sont pleines de Dieu. Mais oysiveté ne se trouve
en aucune partie du monde, qui fait à dire, que oysiveté ne soit que un nom frivolle et de nulle
importance, tant d’un costé que d’autre, c’est-à-dire, tant pour le regard de celuy qui fait, que de ce
qui se fait par luy. Au moyen qu’il est de necessité que toutes choses se facent sans cesse, selon la
nature et proprieté d’un chacun lieu. Car ce qui fait, n’est pas present seulement en un lieu : mais en
tous generallement, et ne produit pas seulement une choses: mais toutes universellement. Car ceste
puissance estant en soy mesme efficace, ne peult estre asservye aux choses qui ont esté par elles
faites et crées : au moyen que toutes les oeuvres de Dieu sont à elle soubmises, et non pas au
contraire. Or fus Mercure, contemple le monde à mon aveu, qui est à ta veuë exposé, et regarde
soigneusement sa forme et beauté, et le trouveras estre un corps incorruptible, outre lequel n’est
Les sept sphères qu’il appelle monde
rien plus excellent, ny en tout et par tout plus parfait, verdoyant et vigoureux. En outre regarde sept
autres mondes au dessus de nous, faitz d’un singulier et merveilleux artifice, d’un ordre eternel
accôplissans l’aage par leurs cours differentz l’un de l’autre, et un chacun d’eux plein de lumiere,
sans qu’il y ayt en eux aucun feu. Ce qui se fait, au moyen de la seule amytié des choses contraires
et non semblables, causans ladite lumière : estant nonobstant illustrée et esclarcie par l’acte de Dieu,
pere de toute bonté, prince de tout ordre, et l’eternel gouverneur de ces sept mondes. Contemple
pareillement la Lune, organe et instrument de nature, comme elle fait son cours et revolution avant
les autres spheres, en changeant la matiere inferieure. Contemple aussi la terre, comme elle est
située au mylieu du môde ainsi que l’escabeau et marchepied du ciel : et comme elle est non
seulement la nourrisse, mais aussi la nourriture de toues choses terriennes. Medite derechef et
considere en toy mesme, le nombre des choses tant mortelles qu’immortelles vivantes et comme la
Lune environne le mylieu d’icelles, comme limitrophe et separation d’entre elles. Et comme l’ame
pleine de toutes choses, est par elle agitée par ses propres mouvemens, partie à l’entour du ciel,
partie autour de la terre. Comme finablement les choses qui sont du costé
Déduction pour prouver qu’il n’y a qu’un Dieu
dextre ne sont iamais meuës vers le senestre, ny celle du senestre vers le dextre. Semblablement ne
celles qui sont en hault vers le bas, ne celles qui sont basses vers le hault. Or que toutes telles choses
soient engêdrées, mon doux amy Mercure, il n’est besoing, que tu le sçaches par moy, pour autant
que facilement tu les voys avoir corps et ame, et mouvement. Mais trop bien dois entendre estre
impossible qu’elles puissent s’acorder ensemble, sans la force et vertu de quelque moyenneur. Il
fault doncq’ de necessité, qu’il y ait aucun tel, et qu’il soit totallement seul. Car veu qu’il y a en
toutes ces choses plusieurs et diverses motions, et que leurs corps soient differens et contraires les
uns aux autres, et qu’il y a en toutes un seul ordre de soudaineté, il est impossible qu’il y puisse
avoir deux ou plusieurs facteurs. Car un ordre ne se pourroit garder ne maintenir, en plusieurs
facteurs. Tellement que celuy qui entre eux serait le plus imbecille, aurait ennuye sur le plus fort,
dont sourderoit une sedition. Celuy donques d’eux deux, qui auroit crée les choses muables et
mortelles. D’avantage atendu qu’il n’est qu’une ame, et qu’une matiere dôt toutes choses prennent
leur origine, à qui d’entre
Un corps qui a vie, possède une âme
Eux appartiendroit il principallement telle oeuvre, et fabricature ? Et s’il advenoit que ce fust à tous
deux, qui seroit celuy à qui reviendroit la souveraineté, et totalle superintendence ? Au surplus,
pense que tous corps vivans, soient mortelz, ou immortelz, consistent d’un matiere et d’une ame.
Car de fait tous corps qui ont vie, ont pareillement ame : mais ceux qui n’ont point vie, ne sont
presques que la pure matiere. L’ame pareillement selon soy mesme prochaine à son pere, qui est
Dieu, est cause de vie, ainsi comme une chacune chose immortelle est cause pareillement de vie.
Comme se faict il doncques que les choses mortelles qui ont vie, different des autres mortelles, et
les immortelles des immortelles ? Il fault doncques dire pour toute resolution, qu’il y a quelque
auteur plus special, plus excellent, et plus apparent que les autres qui face tout cecy : atendu qu’il
n’y a que une ame, qu’une vie, qu’une matiere. Qui est il doncques cest auteur ? Qui pourroit estre,
fors (?) qu’un seul Dieu ? Appartient il à autres qu’à un seul Dieu, créer toutes choses vivantes ? En
cela doncques qu’il n’est qu’un monde, qu’un Soleil, qu’une Lune, et qu’une divinité, est assez
declaré quil n’est qu’un Dieu. Or quant à Dieu, nous croyons certainement qu’il n’y en a qu’un. Luy
doncques tout seul fait chacune chose en plusieurs. Estimes tu qu’il soit à Dieu difficile de faire
Dieu n’a aucune carence
la vie, l’ame, immortalité, et changement du temps ? Car toy mesme te peux tant et si grâdes choses
faire, tu voys, tu oys, tu sens, tu goustes, tu touches, tu parles, tu marches, tu aspires, tu entends,
sans qu’il y ait autre en toy qui face toutes ces choses que toy mesme. Entre tous animaux
pareillement tu n’en trouveras un seul qui seulement parle, l’autre seulement qui marche, l’autre qui
sent, l’autre qui ait le goust, l’autre qui aspire, l’autre qui entende seulement : mais un seul fait tout
cecy. Lesquelles toutes choses, est impossible de pouvoir faire sans l’operation de divine nature.
Car tout ainsi que celuy qui desiste à les faire, n’est plus animal, aucas pareil celuy qui cesseroit à
faire la vie, immortalité, et changement du temps, desisteroit d’estre Dieu. Ce que certes
souspeçonner, seroit par trop illicite et meschant. Si doncques ainsi est, qu’il n’est rien en toute
chose naturelle en quoy ny ayt quelque vigueur naturelle d’oeuvrer, avecques une execution d’un
certain oeuvre, à plus forte raison convient il dire et maintenir ne pouvoir en Dieu eschoir carence
aucune de l’effect et puissance de toutes choses. Car toutes choses oysives, sont imparfaites. Or de
dire que Dieu fust imparfait, ce seroit trop irreveremment parler. Il se fault doncques en ce lieu
arrester, et conclure, que Dieu fait toutes choses. Arrestons nous icy un peu Mercure, et
Dieu fait toutes choses de sa propre vertu
Et mescoute diligemment en te donnant du tout à moy: et en ce faisant, soudain entendras l’oeuvre
de Dieu. Laquelle en premier lieu à esté de necessité, qu’elle fust mise en evidence, à fin que tout ce
qui se fait, ou a esté fait au passé, ou se fera à l’avenir, fust et consistast. Ce que mon doux Mercure,
n’est autre chose que vie, que beauté, que bonté, finablement que Dieu. Et si tu veux que ie te mette
cecy devât les yeux par quelque exemple des choses qui se font en ce monde, prend garde à ce qui
t’avient quand tu veux engendrer, pose neantmoins, que oeuvres de Dieu ne soit à celle y
accomparer. Au moyen que luy en faisant ses oeuvres, n’est espris d’aucune volupté, et si n’a aucun
coadiuteur à les faire. A’ cause que luy ayant de sa propre nature force et pouvoir de faire toues
choses, les fait et parfait de sa specialle vertu, estant tousiours luy mesme tout, et en tout ce qu’il
fist oncques. Tellement que s’il avenoit qu’il retirast de quelques unes son influence et vertu, vie
dessailleroit en elles, et deviendroient à neant incontinent. Mais atendu qu’elles vivent toutes et
qu’il n’y ayt en elles qu’une vie, on peut en cela aysément apercevoir, qu’il n’y a qu’un Dieu.
D’avantage si toues choses sont vivantes, tant celles qu’on voit au ciel, que celles qui sont sur terre,
et que la vie de toutes provienne de Dieu, il faut conclure aussi que la vie de