Le Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste 3
Version de 1577 de Loys lazarel
Corpus Hermeticum d’Hermès Trismégiste, de Loys lazarel
Ce qu’est la vie et la mort.
Toutes, est Dieu, par lequel sont faites toues choses, et d’où elles prennent leur source et dirivation.
Or n’est ceste vie autre chose, que l’union et concorde de l’ame, et de l’entendement. Et la mort
n’est pas la destruction des choses conioinctes, ains la deslieson de leur union. L’image doncques de
Dieu (pour faire bref) est l’aage, celle de l’aage le monde, celle du monde le Soleil, celle du Soleil
l’homme. Mais aucuns estiment la mort estre quelque mutation, pour autant que ceste masse
corporelle se resoult, et la vie se reduyt en quelque chose occulte. Certes mon trescher amy
Mercure, il fault que de moy tu retiennes que le monde se change aucunement, à l’ocasion que
quelques particules d’iceluy se mussent continuëllement : n’estime iamais toutesfoys se pouvoir
faire que aucune d’icelles puissent perir. Or ses passions, sont revolution et occultation. Dont
revolution, vault autant à dire comme conversion et changemêt d’une chose en autre : et occultation,
renouvellement de toues choses. D’avantage pour autant qu’il est omniforme, c’est-à-dire, qu’il
côtient les formes et figures de toutes choses, il n’en reçoit aucunes autres d’ailleurs, et estranges :
mais trop bien les meut, et agit en soy. D’où peut on voir clerement et entendre, que puis qu’ainsi
est que ce monde a esté crée plein de toutes formes, de quelle trop plus grande excellence
L’idée est une forme simple, pure et immuable
doit estre son autheur. Certes au pris, il ne se peut faire, qu’il n’ay quelque forme. Mais s’il est aussi
omniforme, en cela il sera semblable au monde. Au contraire, s’il n’a qu’une forme, il faut dire par
cela qu’il est de pire condition que le monde. Au contraire, s’il n’a qu’une forme, il faut dire par
cela qu’il est de pire condition que le monde. Que dirons nous doncques à cecy ? Ie te prie que ne
demeurons point en doute. Car en matiere de divinité, ce dont on fait doute, n’est encore cogneu.
Dieu donc n’a qu’une seule Idée, c’est-à-dire un forme, ou espece. Laquelle pour ce qu’elle ne se
peut voir elle est incorporelle, et exprime ses formes par un chacun corps. Et ne t’esmerveille
aucunement de ce que ie dy, qu’il y a quelque Idée incorporelle. Car il fault que tu entendes, qu’elle
est telle que celle de la parolle, ou bien comme sont les sommetz des caracteres en quelques escritz :
lesquelz semblent fort exceder, combien qu’ilz soient de leur nature uniz par-dessus, et legiers. Mais
ie te prie de mediter ce que i’ay vouloir de traiter à present, à cause principallement que ie le veux
essertener plus hardiment, et plus veritablement, que ie n’ay encores fait. Tout ainsi que l’homme ne
sçauroit Dieu vivre qui ne produysist tous biens. Car sa vie, et son acte, est de produyre toues
choses et de leur inspirer vie. Mais entre ce que i’ay dit au dessus, il y a quelques choses, lesquelles
requierent autre
Toutes choses sont en Dieu, ce qui n’est pas un lieu
certaine intelligence. Prendz garde en cest exemple, et que ie veux par iceluy singulierement
signifier. Toutes choses sont en Dieu, non pas toutesfois comme si elles estoiêt colloquées en
quelque certain lieu. Car lieu est un corps immobile, et ce qui est mis en quelque certain lieu n’a
aucun mouvement. Car d’une autre sorte met on quelque chose en un corps, et d’une autre en la
fantasie. Pense doncques à celuy qui toutes choses contient, pense n’estre rien en toute nature
corporelle plus capable, plus abondant, plus fort et puissant que luy : et d’avantage qu’il est
sur’toutes choses qu’on pourroit dire, ou penser, le tres capable, le tres soudain, le tres puissant. Et
ainsi faisant, et commençant encore à toy mesme medite tout cecy de rechef, et commande à ton
ame s’en aller ou tu veux penser, et la verras s’en voller premier que luy ays commmandé.
Commâde luy de passer outre la grand’mer Occeane, et aperceveras qu’elle y sera, avant que luy
ayes commandé, sans toutesfois sortir hors de son lieu. Commande luy s’en voler au ciel, et elle y
vollera incontinent sans ayde d’aelles quelconques, et si n’y aura rien qui puisse nuyre à son cours :
ny’ l’ardeur du Soleil, ny l’amplitude et estenduë de l’air, ny le cours et revolution des cieux, ny le
cours de tous les autres astres, qu’elle ne penetre tout, et ne passe outre, et parvienne iusques au
supreme corps.
La vivacité de l’âme
D’avantage si as vouloir de surpasser tous les globs et rondeurs celestes, et en chercher tout ce qui
est lassus, il se sera pareillement loysible. Voy doncques et considere combien est grande la
puissance et soudaineté de ton ame. Tu peux faire tout cecy, et Dieu ne le pourra faire ? Contemple
doncques Dieu et l’apprehende, comme ayant en soy les parfaites cognoissances et intelligences de
toutes choses, et se contenant soy mesme à la façon qu’il contient le môde universel. Car si tu ne te
fais esgal à Dieu, et ne t’appareilles à luy, tu ne le comprendras, ny ne l’entendras iamais, atendu,
que le semblable est tousiours cogneu du semblable. Estans toy doncques d’une grandeur infinie,
sors hors de ce corps, surpasse tout temps, sois eternité, et ainsi finablement tu pourras cognoistre
Dieu, sans à toy supposer rien impossible. Estime toy immortel, et pouvoir comprendre toutes
sciences, et tous artz. Eslieve toy plus hault que toute hauteur, et te deprime plus bas que les
abismes et profonditez. Recueille tous les sens de tes faitz, ensemble du feu, de l’eau, de toute
secheresse et humidité. Soys par toutes les parties du monde, au ciel, en la terre, en la mer, des a
doncques leur commêcement iusques à present. Habite hors le vaisseau de ce corps. Estime ne
pouvoir rien perir par la mort. Comprends toutes ces choses ensemble, sçavoir est, tous lieux, tout
Le paresseux et le nonchalant ne connaissent pas Dieu
temps, toute pesanteur et legereté, toutes qualitez et quantitez, et lors pourras finablement entendre
que c’est que Dieu. Au contraire si tu mets à nochalloir ton ame et n’en fais conte, et la permets
estre par ce corps aborbée, et abismée es profondes abismes d’ignorance et paresse, et te veaustres
en leur ordure et infameté, par telles ou semblables parolles : Ie ne sçay rien, et ne puis rien
sçavoir : I’ay crainte des vastes abismes de la mer : Ie ne peu voller lassus au ciel : Ie ne sçay que
c’est de moy à present, ne que ie deviendray à l’avenir : quelle acointance as-tu avecques Dieu ?
Car pendant que tu seras meschant, inique, et serf de ce puant corps, tu ne pourras aucunement
comprendre ceste supreme bonté, ne voir ceste excellente et infinie beauté. Or est la plus extreme
meschanceté que peut l’homme encourir, que de ne recognoistre point son Dieu. Mais se confier en
luy, et avoir bonne esperance de pouvoir à quelque fois par son moyen trouver ce bien, est une voye
divine, conduysant un chacun par le droit sentier ou y veult aspirer, sans se forvoyer çà et là.
Laquelle si tu suys, elle te rencontrera tousiours en tous lieux que tu marcheras sur terre, que tu yras
sur mer, que tu parleras, ou te tairas, soit iour soit nuict. Car il n’y a rien en toutes les choses de
nature, qui n’ait en soy quelque image representative de divinité.
TRISMEGISTE : Et Dieu n’est il pas invisible ?
LA PENSEE : Ie te prie, Trismegiste, de plus religieusement parler. Car qui peut estre plus luysant
que luy ? Car aussi il a fait et crée toutes choses à ceste seule intention, que tu le veisses et
contemplasses par une chacune d’elles. Et de fait sa seule bonté et vertu, est de reluyre par une
chacune de ses oeuvres. Tellement qu’il n’est rien invisible, mesmes es choses incorporelles.
L’entendement certes se voyt par son intelligence et apprehension, et Dieu par ses oeuvres. Tu sufise
doncques, Trismegiste, t’avoir declaré toutes ces choses iusques icy, tu pourras les autres facilement
par toy mesme en chercher d’icy en avant, sans estre deceu par quelque faulce espece de verité.
L’argument du douziesme Dialogue.
Le douziesme traicte de l’entendement inferieur, lequel est quelque apparence et image de celuy de
Dieu : apres la breve et parfaicte declaration d’iceluy, il le conioint à l’ame de chasque animans.
Disant que es bestes irraisonnables il n’est autre chose que leur nature, mais qu’est hommes, que
c’est leur raison. De laquelle ceux qui en sont destituez, sont à la façon des bestes sauvages,
d’ardente impetuosité transportez au desir et accomplissement de toutes voluptez, sans iamais
mettre ne trouver fin à leur ordure, maux, et passions. Et pour tant, par le decret
et arrest de Dieu, ilz endurent à bon droit, et souffrent les peines à eux deuës pour leur ignorance.
Les gens de bien au contraire sur lesquelz raison et entendement (qui est l’image de toute beauté et
bonté) dominent, reçoivent le bien, que ce divin decret et fatalle destinée leur a adiugé. Parquoy il
fault penser estre impossible de l’eviter, au moyen que ce n’est autre chose que la loy divine. Mais
on peut bien fuyr les maux, qui suyvent iniquité. Mercure en apres estant inspiré de l’oracle divin,
dispute de plusieurs choses, asseurant avoir sceu (su) ce qu’il dit, par divine inspiration. Il loüe fort
les deux dôs (dons) de grace, que sur toutes autres creatures de ce monde, Dieu a conferé à
l’homme, sçavoir est, entendement, et la parolle. Il declare puis apres les oracles que son bon ange
et celeste esprit, son inspirateur, luy a divinement inspiré, comme de Dieu, du Verbe, du monde, et
de la matiere. Il dit finablement n’estre rien en ce monde, qui soit privé de vie, ou qui soit mortel :
mais plus tost, qu’il le fault estimer seulement dissoluble, et qu’il ny a rien immobile. D’avantage,
qu’entre toutes choses dissolubles, en maintes sortes Dieu se ioint et se communique à l’homme
seulement, en monstrant comme en delaissant les choses sensibles, il se peut esleve pour
comprendre Dieu.
Du commun Mercure à Tat son fils
De la puissance : DU COMMUN MERCURE à Tatius son filz.
Dialogue XII
Tatius mon filz tu doibs sçavoir et entendre que la pensée naist et procede de la propre essence de
Dieu, si toutesfois aucune il en a intelligible. Laquelle essence, quelle quelle soit, seule se comprend
soymesme purement et simplement. De laquelle n’est iamais divisée la pensée mais plustost est à
elle conioincte, ainsi que la lumiere au corps du Soleil. Ceste pensée ou entendement, est un Dieu es
hommes, tellement qu’aucuns d’entre eux sont dieux, et leur humanité est tres approchante de
divinité. Et de fait mon bon ange et celeste esprit, m’a souvent inspiré, que tout ainsi que les
bienheureux espritz sont immortelz. Mais es bestes brutes et irraisonnables, que ladite pensée et
entêdement, n’est autre chose que leur nature. Car tout ce qui a ame, il a pareillement entendement :
tout ainsi que ce qui a vie, a semblablement ame. En tout ce qui vit, neantmoins sans le discours de
raison, l’ame est leur vie, privée toutesfois de tout entendement raisonnable. Au moyen que le seul
L’entendement est le seul guide de l’âme humaine
entendement, conduyt et ayde l’ame de l’homme, la revocant et eslevant tousiours à son propre et
naturel bien. Quant aux autres animaux, qui ne participent de raison, il les conduyt seulement à faire
leurs oeuvres, avecques le naturel d’un chacun. Il resiste aussi par fois à l’ame humaine, et luy fait la
guerre, à raison que quand elle est infuse au corps, se deprave par volupté, et continuel douleur. Car
douleur et volupté sourdent de la conionction du corps et de l’ame, ainsi que les ruysseaux de la
fontaine, esquelz l’ame une fois plongée, est souvent suffoquée et noyée. Toute ame doncques à
laquelle domine entendement et raison, il l’esclarcist (éclaircit) et illustre de sa divine lumiere, en
resistant à ses perverses meurs, et tous inconveniens qui luy pourroient succeder. Et tout ainsi qu’un
medecin fait une grieve douleur au patient, quand il vient à le cauterizer et entailler, à fin que le
malade reçoive garison de son mal : au cas pareil l’entendement en la repugnance qu’il fait à la
chair donne grande afliction à l’ame voluptueuse, pour totallement arracher et tollir d’elle les
racines de volupté. Pour autant que d’elle proviennent toutes maladies, qui peuvent eschoir à l’ame.
Entre lesquelles la plus greve et dangereuse est impieté, c’est-à-dire, mescognoissance et oubliance
de Dieu, et ingratitude de ses biens, qu’il nous fait continuëllement. Quant à
Quel mal encourent ceux qui n’ont pas d’entendement
opinion et fantasie, elle n’attrait aucun nullement à bien, mais à mal plus tost. Auquel l’entendement
estant par-dessus, repugne tousiours, en procurant le bien de l’ame, ainsi que le medecin la santé et
côvolescence du corps. Or faut il entendre, qu’autant qu’il y a d’ames, qui ne ont cest entendement
pour leur gouverneur, qu’elles souffrent et endurent telles ou semblables choses que les bestes
brutes. Car leur lachant la bride il les delaisse à l’abandon de toutes cupiditez et voluptez charnelles,
au desir et acomplissement desquelles sont transportez de ardente et affectueuse impetuosité, et
comme bestes sauvages immoderement se forcenent de courroux, et convoytise. Et qui pis est, ne
mettent iamais fin à leurs libidineuses voluptez, et autres maux et innumerables passions, que
iournellement ilz cômettent. Aux quelz Dieu a ordonné une loy, comme d’iceux vindicatrice, et
executrice de son divin commandement, à l’encontre de leurs enormes pechez, dont il est offensé.
TAT. En ce lieu, mon pere, la dispute de fatalle destinée, que nous avons au dessus delaissée
imparfaicte, se reveille. Car s’il est decerné par divine providence, que les uns soient adulteres, les
autres sacrileges, pourquoy seront ilz puniz, atêdu qu’ilz ont delinqué contraintz par necessité de
fatalle destinée ?
TRISMEGISTE : Il est bien vray que toutes choses sont oeuvres de
Que toutes choses sont oeuvre de fatalité
fatalité, mon filz, sans laquelle ne peult estre aucune chose corporelle, ne pareillement estre faict
bien ou mal. Et est de Dieu ordonné que celuy qui commet quelque chose deshonneste, la souffre et
endure. Laquelle il a commis toutesfois, à fin d’endurer par cela, tout ce qu’il souffre apres la
perpetration du faict. Or quant à ceste fatalle destinée, et supplices que doivent endurer tous ceux
qui delinquêt, nous en avons ailleurs traicté, parquoy nous supercederons à present d’en parler
d’avantage. Mais maintenant nostre intention est, de traicter de l’entendement : cest à sçavoir
qu’elle puissance il a, et combien est son instinct es hommes different des bestes brutes. Et comme
il ne leur faict telle grace qu’aux hommes, en ce qu’il retrenche l’impetuosité de leur libidinité, et
restrainct l’ardeur de leurs courroux. Dont ensuyt par cela qu’entre les homes aucuns sont
raisonnables, les autres non, selon qu’ilz refrenent telles passions. Tous hommes doncques sont à
trois choses subiectz, à fatalle destinée, à generation, et changement. Car defaict aussi le
commencement et fin de fatalité, sont ces deux cy, sçavoir est, generation, et changement. Tous
hommes aussi souffent ce qu’ordonne fatalité. Ceux neantmoins qui usent de raison, sçavoir ceux
aux quelz (comme avons dit au dessus) entendement domine comme leur
L’entendement ne souffre pas de la fatalité
conducteur et maistre, n’endurent pas ainsi que les autres. Mais, à l’ocasion qu’ilz sont reculez
d’improbité et de peché, et qu’ilz ne sont mauvais, aussi ne souffent ilz point de mal.
TAT : Comme dites vous cecy mon pere ?
TRISMEGISTE : Viens ça, que t’en semble, un adultere est il pas mauvais ? Un homicide, est il pas
pareillement mauvais ? Un autre usant de raison, qui ne fera homicide, ny adultere, l’estimes-tu
souffrir de mesme façon, que celuy qui le sera ? Non, non. Vray est, qu’il est impossible pouvoir
fuyr la qualité du changement, ne pareillement l’effect de generation : si est il neantmoins facile à
celuy qui a entendement, d’eviter le vice et peché ou chacun est enclin de nature. Par quoy mon filz,
i’ay tousiours entendu de mon bon Ange mon inspirateur, que celuy qui redigeroit par escrit toutes
choses dignes de memoire, feroit un grand fruict et singulier emolument au genre humain. C’est luy
seul, mon filz, lequel speculant toutes choses, nous les declare, et espand sur nous ses divins
oracles. Lequel ay autrefois entendu dire, que toutes choses, et principalement tous corps
intelligibles, n’estoient que un, et que nous vivions par la puissance, et l’acte de Dieu, et par
eternité. Et que l’ame de cestuy cy, est aussi bonne, que celle de celuy la. Ce que estant ainsi,
convenoit conclure, qu’il ny avoit aucun different d’une chose intelligible
L’homme dominé a fatale destinée.
à l’autre. Bien vray est, que Dieu, lequel est seigneur de toutes choses, pouvoit faire ce que bon luy
sembloit. Voylà que m’a declaré mon bon Ange, et inspirateur. Toy doncques, mon filz, considere le
tout, et soys ententif de tout ton pouvoir à ce que ieveux inferer tant de fatalle destinée, que de
l’entendement. En premier lieu, si avecques soigneuse diligence tu evites, toutes deceptions
lititgieuses, et iniustes cavillations, tu trouveras sans doute, et en toy-mesme apperceveras, que
l’entendement et ame de Dieu domine à toutes autres, ensemble à fatallité, à la loy, et toutes choses
universellement : et que tout ce qui concerne fatalité ne est impossible à l’entendement humain. Et
mesme qu’il domine à ladite fatalité, et la surmonte, sans toutesfois mespriser ce qui est à elle
soumis. Telz sont les singuliers oracles du bon ange mon inspirateur.
TAT : Ie vous asseure mon pere, que tout cecy a esté de vous deduyt fort commodément, et
divinement. Il y a toutesfois encore quelque chose que ie ne peu bônement comprêdre, que ie vous
supplie me declarer. Un peu au dessus vous disiez que l’entendement oeuvroit es bestes brutes par
le moyen et l’ayde de leur nature, et qu’il cooperoit ensemble avecques leurs affections sensuelles :
ou certes ay pris advis, disant en moymesme. Les affections doncques des choses raisonnables sont
L’entendement et les affections
(comme ie cuyde) passions. L’entendemêt opere ensemble avecques les affections. Les affections
doncques ne sont que passions. Et par consequence, l’entêdement est quelque passion, puis qu’en
telle sorte il se conforme aux passions.
TRISMEGISISTE : Bon courage mon filz, ayes bon courage. Vrayment puis que tu m’as bravement
interrogué, c’est bien raison que ie face pareil à respondre à ton obiection. Tu dois doncques
entendre, que tout ce qui est es corps incorporel, est passible : mais qui plus est, sont propres et
naturelles passiôs. Car aussi toute chose qui meut l’autre, est incorporelle, et celle qui de l’autre est
agitée et meuë est corporelle. Celle qui est incorporelle, est pareillemêt meuë par l’entendement. Or
motion, n’est que passion, qui faict que l’une et l’autre souffre, sçavoir est tant ce qui meut, que ce
qui est meu : le premier toutesfois comme dominant, et l’autre, comme subiect (sujet). Mais si tost
que l’ame est de ce corps separée, lors est de toute passiô delivre. Mais pour mieux dire, mon filz, il
ny a rien qui puisse estre impassible. Car de fait toutes choses sont passibles. Mais passion, et ce qui
est passible, different principallement en ce que l’un aage, et l’autre soufrfre. Tous corps aussi,
selon la nature et proprieté d’un chacun, agent. Car ou ilz sont immobiles, ou ilz se mouvent. Ou
soit l’un toutesfois, ou soit l’autre, si est-ce nonobstant tousiours
Paroles et entendement
passion. Mais à cause que les choses incorporelles agent sans cesse, elles sont aussi passibles. Et ne
te trouble aucunement de leurs appellations, au moyen que ce que nous disons actions, n’est autre
chose, que ce que nous appellons autrement passion. Il ny a rien toutesfois qui te puisse empescher,
que tu n’uses du vocable plus receu en commun parler.
TAT : Vous avez rendu un fort apparente raison de ce que ie vous ay requis, mon pere ?
TRISMEGISTE : Considere d’avantage mon filz, que Dieu de grece specialle a donné à l’homme
seul sur tous autres animaux deux choses, lesquelles sont estimées estre de mesme loz et pris,
qu’immortalité, à sçavoir est parolle, et entendement. De maniere que celuy, qui en use a ce qui est
raisonnable et decent, ne differe en rien des immortelz. Mais qui plus est, apres estre deslié es liês
de ce mortel corps, sera par l’un et l’autre conduit, en l’assemblée des esleuz (élus) de Dieu, et des
anges.
TAT : Ouy, mais mon pere, entre tous animaux, ny a il que l’homme seul qui use de langage ?
TRISMEGISTE : Non mon filz, mais trop bien de voix, laquelle est à tous commune. Ne sçays tu
pas bien, qu’il y a grande differençe entre voix et parolle ? La parolle est peculiere à l’hôme
seulement : mais la voix est commune tant à luy, comme à tous autres animaux.
TAT : Mais mon pere, tant de diverses manieres de gens, usent-ilz pas de divers langages ?
L’universalité des langages
TRISMEGISTE : De divers mon filz. Si est-ce nonobstant, que tout ainsi qu’il n’est qu’un homme
en plusieurs, aussi n’est il qu’une parolle, laquelle est portée çà et là, et par truchemens interpretée.
De sorte que tout ce que disent les Egyptiens, ou les Persans, ou les Grecz, n’est qu’un seul parler,
quant à l’importance de leurs idiomes et formes de dire. Mais mon filz, tu me sembles n’entendre
pas bien l’estenduë et vertu de la parolle. Le bien heureux Dieu mon bon ange, et interprete, m’a
souvent revelé, l’ame estre dedens le corps, l’entendemêt en l’ame, la parolle en l’entendemêt : en
asseurant que Dieu estoit le pere de tout cecy. La parolle doncques n’est autre chose que l’image et
entendement de Dieu, ensemble le corps de son idée. Mais celle de l’ame, et la pure et entiere
portion de la matiere est l’air : celle de l’aire, est l’ame : celle de l’ame, est l’entendment : celle de
l’entendement, est Dieu. Lequel est à l’entour de toutes choses, et par toutes. L’entendement est à
l’entour de l’ame, l’ame à l’entour de l’air, l’air à l’entour de la matiere. Quant à necessité,
providence et nature, sont les organes du monde, et de l’ordre de la matiere. Et de fait une chacune
chose intelligible est essence, et leur essence n’est autre que cela mesme. Mais une chacune d’elles,
est l’assemblée et multiplication des corps qui sont au monde.
Rapports de l’âme et du nombre selon Pythagore
Les corps composez ayans ceste chose intelligible, et s’entremeslans l’un avecques l’autre (cest à
dire, ces corps avecques ceste chose intelligible et spirituelle) gardent tousiours et retiennent
l’immortalité de ceste chose intelligible. Quant aux autres corps qui ne sont pas composez, l’organe
d’un chacun d’eux est un nombre. Car il est impossible qu’il se puisse faire composition, ou
dissolution, sans nombre : au moyen que les unitez engendrent et accroissent le nôbre : lequel puis
apres retirent en elles, quand elles sont desassemblées. Or n’y a il qu’ne seule matiere. Et tout ce
monde n’est qu’un grand Dieu, et l’image du treshault et souverain, estant à luy conioint : et en
tousiours gardant son ordre, et la volonté de son pere, est l’entiere plenitude et comble de toute vie.
Tellement qu’il n’y a rien en luy de toute eternité, ou depuis qu’il a este crée, ou que l’on prenne
garde au total, ou à quelqu’une de ses parties, qui n’ait fruition de vie. De maniere qu’il n’y a rien
qui en soit privé de present, ny au passé, ny à l’avenir. Car Dieu son pere a voulu qu’il fust vivant
tant qu’il est, c’est-à-dire, à tousioursmais. Ce qui fait, qu’il faille dire que soit un Dieu. Comme dôc
se pourroit il faire, mon filz, qu’il y eust chose en Dieu, en l’image de toute chose, en la plenitud
edevie qui en fust privé ? Car privation de vie, n’est autre chose que corruption : et corruption
Que rien de ce monde ne meurt
que destruction de tout bien. En quelle sorte doncques et maniere se pourroit il faire, que quelque
partie de ce qui est incorruptible, fust corrompu : ou quelque chose de ce qui est Dieu, devint à
neant ?
TAT : Et dea mon pere : tous animaux, qui sont partie d’iceluy, ne meurent ilz pas, et deviennent à
neant ?
TRISMEGISTE : Parle plus sagement, mon filz : car tu erres quât au nom, au moyen qu’il n’y a
rien en ce monde qui meure, mais se faict seulement dissolution, ou desliaison des corps composez.
Laquelle certes n’est pas la mort, ainçois quelque resolution d’une chose coniointe ensemble. Vray
est que l’union se dissoult, non toutesfois que ce qui est prenne mort : mais trop bien ce qui est vieil,
r’aieunist.
TATIUS : Atendu mon pere qu’il se fait quelque operation de vie : ne se doit elle pas apeller
motion ? Et n’y a il pas quelque chose en ce monde immobile ?
TRISMEGISTE : Non, mon filz.
TAT : Ne vous semble il pas que la terre est immobile ?
TRISMEGISTE : Non. Mais au contraire elle me semble estre de diverses motions agitée, et
neantmoins stable en quelque sorte. Ne seroit ce pas chose ridicule de dire que celle qui nourrist,
conçoit, et enfante toutes choses, fust privée de mouvement. Car il est impossible que quelque
choses peust concevoir et produyre, sans quelque mouvement. Tant que vouloir l’opposite
maintenir, ne seroit moins ridicule,
Les quatre éléments
que dire que ce corps, duquel nous sommes revestus fust sterile. Car ce nom immobilité, ne signifie
autre chose que sterilité. Considere doncques, mon filz, tout ce qui est en ce monde, chaun en son
degré, et le trouveras se mouvoir en accroissant, ou en decroissant. Or tout ce qui se meut, a
pareillement vie. Si n’est il pas toutesfois necessaire, que toutes choses vivantes soient semblables,
ou qu’elles ne soient qu’une. Car si nous prenons tout le monde universel, nous le trouverons estre
immobile, ses parties neantmoins se pouvoir mouvoir de toutes pars, sans y avoir rien subiect à
corruption. Mais les hommes sont troublez et deceuz par quelques noms qu’on leur attribue. Car
generation n’est pas creation de vie, mais un decouvrement seulement de la vie l’atente. Mutation
semblablemêt ne se doit apeller mort : ains plus tost une occultation d’une chose en autre. Veu
doncques que tout cecy est tel, il convient dire et conclure n’estre rien qui ne soit immortel. La vie
de la matiere, est l’esprit : et celle de l’ame, est l’entendement divin. Du quel toutes choses vivantes
procedent : qui faict que par son moyen elles demeurent à tousiousmais immortelles. Sur toutes
lesquelles, est l’homme principallement immortel, et entend, et congnoist Dieu, et se conforme à
essence divine. Car à luy seul sur toutes autres creatures de ce monde
Que l’homme sait tout
Dieu a donné sa cognoissance, et se manifete à luy, de nuyt premieremêt par quelque songe, de iour
souventesfois par quelque evidente signification, par lesquelles choses il luy predit ce que doit
avenir, ensemble par augures d’oyseaux, par speculation d’entrailles, par invocation d’esprit,
finablement par les vaticination des Sybilles. D’ou vient que l’homme à bon droict est dit sçavoir ce
qui se faict de present, ce qu’a ésté faict au passé, et qui se fera à l’advenir. Ie veux aussi mon filz
que tu prennes garde comme tout ce qu’a faict Dieu et crée, un chacun se tient en sa region et lieu
determiné en ce monde : ce qui est humide, en l’eau : ce qui est terrestre, en la terre : ce qui vole, en
l’air. Mais l’homme use de toutes ces choses, de la terre, de l’eau, de l’air, du feu, et avecques ce sur
toute autre creature, il contemple le ciel, et le comprend par la vivacité de son esprit. Quand à Dieu,
il est à l’entour, et en toutes choses, au moyen qu’il est leur acte, et puissance. De sorte, que c’est
chose fort difficile de le pouvoir cognoistre. Toutes et quantesfois que tu auras vouloir de le voir et
cognoistre, contemple l’ordre du monde, et l’ornement et proportion d’iceluy. Contemple la
necessité et fatalle destinée des choses qui se peuvent apercevoir par les sens, ensemble la
providence de tout ce qu’a esté fait au passé, et se faict continuëllement.
Contemple cette matière pleine de vie
Contemple ceste matiere, ainsi pleine de vie. Contemple le treshault et puissant Dieu, accompagné
d’une telle troupe d’Anges, et de ses saintz.
TAT : Ouy mais, mon pere, il me semble que toutes ces choses, sont quelques operation.
TRISMEGISTE : Helas, mon filz, d’où penses-tu qu’elles proviennent, sinon que d’un seul Dieu ?
Ignores-tu que tout ainsi que le ciel, l’eau, la terre, et l’air, sont les parties du monde, aussi
pareillement que la vie, immortalité, fatalité, providence, nature, l’ame, l’entendement, ne soient les
membres de Dieu ? Et que toute leur perseverance ne soit une bonté infinie. Tellement qu’il n’est
possible se pouvoir faire, ou avoir esté faicte aucune chose, ou Dieu ne soit et n’assiste.
TAT : Il est doncques par ce moyen en la matiere mon pere.
TRISMEGISTE : Non pas, mon filz. Car elle est à part et séparée de Dieu, à fin de luy assigner
quelque certain lieu. Que cuydes-tu que ce soit de la matiere, sinon une masse imparfaicte, et
indigeste ? Et ne l’estimes autre, si elle n’est refuite en quelque forme. Ce que se il advient, sçavoir
est, qu’elle soit formée, certes cela ne se fait pas sans l’ayde de quelque ouvrier. Or avons-nous dit
au dessus de reduire quelque chose en forme, estre le propre office de Dieu. Parquoy il fault dire
que tout ce qui se faict, est l’oeuvre de celuy qui à tous animaux donne vie, et par lequel est changé
tout ce qui se change, et obtient immortalité tout ce qui a fruition de son loz. Ou que tu appelles
doncques tout cecy matiere, ou corps, ou essence, que il te souvienne estre les actes de Dieu. L’acte
de la matiere, estre raison de la matiere : l’acte descorps, estre raison des corps : l’acte de l’essence
estre raison de l’essence : et tout cecy n’estre autre chose que Dieu, et n’estre rien en tout et par tout
que ne soit luy. Il n’y a doncques environ luy ne grandeur, ne lieu, ne qualité, ne figure, ne temps
aussi, à cause qu’il est tout. Lequel tout est à l’entour de toutes choses, et par toutes. Cecy est le
verbe divin, mon filz, parquoy honore le, et l’adore. L’honneur et adoration duquel, gist seulement à
n’estre point mauvais, mais fuir peché de toutes ses forces et vertus.
L’argument du treziesme Dialogue.
Le treziesme traicte du mystere de la regeneration, devant laquelle nul ne pouvoit estre sauvé, et dit
que l’haulteur d’icelle est le filz de Dieu faict homme, par le vouloir d’un seul Dieu. Ce qui est un
mystere, qui ne se declare ny ne s’enseigne point : mais qui souz silence se cache, et s’adore des
saintz souz silence en grande reverance et honneur. TOy Chrestien lys le surplus, et si tu es reformé
en Dieu par le filz de Dieu d’une nouvelle regeneration, en dechassant de toy les douze horribles
bourreaux de tenebres, à sçavoir, ignorance, tristesse, inconstance, cupidité, iniustice, luxure,
deception, envye, fraude, ire, temerité, et malice : et ayant par la divine clemence obtenu les dix
vertus opposites, esiouis toy en Dieu de tout ton cueur, en rendant graces à Dieu le reformateur, de
toute la puissance et vertu de ton esprit. Soys d’avantage du tout en son amour embrasé, et estant
faict esprit, et de l’esprit regeneré, chante l’hymne de la divine clemence et misericorde de Dieu : et
sans de rechef retourner à ton vomissement, embrasse et retient en ton cueur ce grand bien que Dieu
t’a faict : et te convertys en luy, qui est le pere de misericorde, et de toute consolation, et son filz
autheur de ceste regeneration : en te exercitant en cecy continuëllement, et devotement meditant les
merveilles de Dieu en ton entendement.
DE LA REGENERATION, ET enjonction de silence. Mercure à son filz Tatius.
.
Dialogue XIII
Mercure à son fils Tat
En tous les propos qu’avons tenuz ensemble, mon pere, vous avez tousiours traicté de la deité
obscurement sans aucune declaration d’iceulx, asseurant nul pouvoir estre sauvé, avant la
regeneration. Certes, mon pere vous n’avez fois monté en la montaigne, que ne vous aye tousiours
accompaigné, vous suppliant humblemêt me declarer la raison et mystere de ceste regeneration,
attendu qu’il ne me restoit autre chose à apprendre que cela. A’ la fin vous me promistes me la
veveler, pourveu que ie fusse retiré de ce monde. Or voyez vous, mon pere, maintenant
l’essait/l’effait, et que ie suis prest et appareillé en cela vous obeïr. I’ay à present reieté hors de moy
toutes les deceptions et dolz de ce monde. Tenez moy doncques promesse mon pere, et me declarez
ou publiquement, ou en secret, ainsi que il vous semblera le plus expedient, la forme de ceste
regeneration. En premier lieu mon pere, ie ne suis informé de quelle matiere, ou de quelle semence
est fait l’homme
TRISMEGISTE : Cela, mon filz, est une sapience contemplative en silence, et par ce entends, que
la semence est le vray et souverain bien.
TAT : Ouy, mais qui en est le semeur mon pere ? Car ie ne le puis bonnement entendre.
TRISMEGISTE : C’est la volonté e Dieu, mon filz
TATIUS : O’ combien donc Qu’il ne faut pas semer des marguerites aux porcs donc est grand et
excellêt celuy qui n’est point crée ! Et de fait ie pense qu’il n’ayt aucune essence intelligible. Ce qui
si ainsi est, celuy qui de luy est engendré est un Dieu, filz de Dieu.
TRISMEGISTE C’est un total, mon filz, dependant du total consistant de toutes vertuz et
puissances.
TAT : Vous seignez des enigmes mon pere, et ne parlez à moy à la façon qu’un pere doit parler à son
filz.
TRISMEGISTE : Pour bien te dire la verité, mon filz, tel secret ne se doit enseigner ny
irreveremment prostituer : mais toutes et quantesfois qu’il luy plaist il s’en retourne en la mémoire
de Dieu l’atentement.
TAT : Vous inferez l’impossible, mon pere, et choses par trop difficiles à supporter, et à ceste cause
ie n’y peux condescendre.
TRISMEGISTE : Tu es merveilleusement abastardy de ton origine paternelle, mon filz.
TAT : N’ayez ennuye sur moy, mon per, et ne m’iniuriez. Car ie suis vostre legitime filz. Mais
laisson telz propos, et me declarez, s’il vous plaist, et m’aprenez la maniere de la regeneration selon
le pretendu, sans me faire languir si long temps.
TRISMEGISTE : Que diray-ie mon filz ? Ie ne sçay que dire, fors que ie voy un vray spectacle et
vision qu’il plaist à Dieu de speciale grace maintenant me reveler. Dont ie suis de present translaté
en un corps immortel, tellemêt que ne suis plus celuy qu’estois tantost ains suis fait tel que la divine
pensée, laquelle c’est nagueres
La Vision corporelle et spirituelle
à moy demonstré. C’set un mystere, mon filz, qui ne se doit facilement enseigner, ny temererement
publier. Parquoy aprends le, et le voy evidemment, par l’apparence de cest element qui vient d’estre
formé : par lequel ce mystere se peult voir aysément, et oculairement se cognoistre. Tu voys que par
cest element, ie ne tiens conte de la premiere espece que i’ay : non que i’aye toutesfois autre
couleur, ou attoucement, ou limitation qu’au paravant. Car ie suis maintenant reculé de toutes ces
choses. Tu me voyes de present des yeux corporelz mon filz, mais quand tu es ententif de corps et
d’aspect à ce que tu medites, tu ne voys pas lors de telz y-eux, ains des ineternelz.
TAT : Vous me provoquez à grande fureur, mon pere : de maniere que maintenant ie ne me voy
aucunement, ny ne sçay quel homme ie suis.
TRISMEGISTE A’ ma volonté mon trescher filz qu’en dormant tu fusses semblablement ravy et
transporté de ton esprit, comme ceux qui en leur sommeil sont occupez de visions.
TAT : Or sus dites moy qui sera l’autheur de ceste regeneration.
TRISMEGISTE : Sera le filz de Dieu fait homme, par la volonté d’un seul Dieu.
TAT : Or m’a vous maintenant rendu muet mon pere, et si fort estonné, que ie ne sens point que ie
fais : mais estant totallement esperdue de l’estat premier de mon entendemêt ie voy une mesme
grandeur avec un charactere, et en
Qu’est-ce donc qui est vrai ?
iceluy un mensonge. Car l’espece mortelle se change iournellement (et d’autant qu’elle est faulte)
pour quelque temps se diminuë, ou s’augmête. Qu’est ce donc qui est vray, Trismegiste ?
TRISMEGISTE : Ce qui n’est ne perturbé, ne limité ne coulouré, ne figuré, ne corrompu : mais ce
qui est nud, cler, comprehensible de soy-mesme, un bien qui ne se peut changer : et qui est
totallement incorporel.
TAT : A’ la verité, mon pere, ie suis maintenant hors de mon sens, et au lieu que i’esperoits estre fait
sage de vous, par telle cogitation sont en moy tous mes sens effrayez et pertroublez.
TRISMEGISTE : Il est ainsi mon filz. Car ce qui est lassus large comme le feu, ça bas ample
ocmme la terre, humide comme l’eau, ietant un vent comme l’air, comme l’entendroys-tu par tes
sens. Car ce qui n’est ne dur, ne mol, ny espais, ne penetrable, doit estre par puissance seulement, et
par acte consideré. Mais qui peut prier Dieu, le prie instamment, qu’il luy plaise luy donner à
entendre ceste regeneration, laquelle est en luy.
TATIUS : Ie ne le peux pas faire, mon pere.
TRISMEGISTE : A’ Dieu ne plaise, mon filz, que tu sois à cela impotent. Retourne seulement à toy,
et en obtiendras le pouvoir. Veille le, et sera faict. Purge les sens de ton corps. Deffais-toy des
irraisonnables bourreaux de ceste matiere.
TAT : Comment mon pere, y a il des bourreaux au dedans de moy ?
TRISMEGISTE : Ouy
Les bourreaux qui tourmentent notre corps
Ouy mon filz en grand nombre et avecques ce fort horribles, et cruelz.
TAT : Ie ne les cognois, mon pere, et par ce il vous plaira me les declarer.
TRISMEGISTE : Tiens mon filz, cognoy les. Le premier est ignorance, le second tristesse, le tiers
inconstance, le quart cupidité, le quint iniustice, le sixiesme luxure, le septiesme deception, le
huytiesme enuye, le neuviesme fraude, le dixiesme ire, l’unziesme outrecuydance, le douziesme
malice. Voy les ia reduyz au nombre de douze, combien que souz eux il y en ayt encores plusieurs
autres contenuz, lesquelz tout ainsi qu’ilz contraignent l’homme endurer par tous ses sens estant
enfermé en l’obscure prison de ce corps, au cas pareil sont ilz esloignez de celuy qui se range souz
la sauvegarde et protectiô de divine clemence. Et ainsi consiste la forme et maniere de la
regeneration, et ce que l’on en peut dire. D’oresnavant doncques, mon filz, tais toy, et louë le
seigneur Dieu en silence, et ce faisant la benignité et clemence divine, ne s’esloignera de nous
aucunement. Esiouys (réjouis) toy desormais en ce que par la puissance et vertu divine, es eslevé en
la contemplation de vérité. La cognoissance de Dieu est elle descenduë en nous ? Si tost qu’elle est
venuë, toute ignorance est reculée de nous. La cognoissance de ioye est elle descenduë en nous ? si
tost qu’elle est presente toute tristesse et melencolie s’eslongne de nous
Constance, continence et chasteté
nous totallement, et s’en va à ceux qui sont prestz à la recevoir. I’appelle constance, une vertu, qui
nous conduist à ioye, laquelle certes est fort amyable et doulce. Aymons la donc mon filz, et
l’embrassons tresvolontiers : car incontinent qu’elle sera presente, et que nous l’aurons receuë, elle
reiectera de nous entierement toute voluptueuse delectation, refraindra toutes dellices esseminées, et
pacifiera toutes mignardises charnelles. I’apelle la quatriesme vertu, continence, ou chasteté,
laquelle est la force et vertu victrice de toutes cupiditez. Ce degré cy, mon filz, est le fondement de
toute iustice. Mais prends garde comme elle reiete iniustice de toutes la oeuvres qu’a crée Dieu.
Nous sommes faits iustes, tout aussi tost que iniustice est reculée de nous. I’apelle la sixiesme une
vertu qui descend en nous, sçavoir est parcimonie contre exces. Laquelle quand elle se depart de
moy, ie invoque verité. Laqeulle venant à mon ayde, s’enfuyt incôtinent deception et ne demeure
que verité. Prends garde, et voy come est le bien parfait et accomply, lors que verité est presente.
Car adoncques toute envye et malveillance s’eslongne de nous. Car bien est enraciné en verité
avecques vie et lumiere ensemblement : en maniere que iamais plus outre le bourreau d’ire, n’atente
s’aprocher de nous. Mais qui plus est, tous les autres bourreaux
Notre corps est composé du zodiaque
sont par elle reculez, et reietez de sa côpaignée avecques subite impetuosité. Tu as doncques, mon
filz, entendu (comme ie cuyde) la maniere de la regeneration. Et comment l’intellectuelle est
composée du nombre dizain laquelle reiete celuy de douze, ainsi que nous avons assez speculé par
les choses qu’avons traitées au dessus. Quiconque donc delaisse toute sensualité, et corporelle
delectation, pour l’amour de ceste generation divine, il se cognoist estre de divinité composé et ne
voulant decliner en une part ou en autre: mais estant constant et totallement immuable s’esiouist de
tout son coeur en ceste vertu divine.
TAT : Ie l’entends bien maintenant mon pere, et le comprend, non par le regard des yeux mortelz,
mais par la vertu de mon entendement, s’exerçant par ses forces interieures. Ie suis de present au
ciel, en la terre, en l’eau, en l’air, dedans tous animaux, dedans tous arbres, dedans tous corps, et
premier qu’ilz fussent faitz, et apres qu’ilz cesseront d’estre, finablement en tout lieu. Mais en outre
ie voudroye bien que me declarissiez, comme se fait que les douze bourreaux des tenebres, sont
reietez des djx puissances, et qu’elle en est la maniere.
TRISMEGISTE : Tu dois sçavoir, mon filz, que ce tabernacle icy, c’est-à-dire nostre corps, est fait
et composé du cercle Zodiaque, qui consiste de ce nombre de douze, et que tous
Les nombres de la dizaine engendrent l’âme
ces nombres icy ne sont qu’un, et qu’il est omniforme, c’est-à-dire contenant en soy toutes formes,
selon les especes de nature, pour couvrir et environner l’homme. Parquoy iaçoit que ces bourreaux
soient aucunement separez les uns des autres, en leur action neantmoins sont en quelqeu sorte
coniointz, comme nous voyons que ire et temerité, sont inseparables. A’ bon droict dôcques font
entr’eux separation quand ilz sont des dix puissances reietez, c’est-à-dire du nombre dizain unité.
TAT : Or fus mon pere, ie voy maintenant toutes choses en me voyant moy-mesme, et me mirant en
mon entendement.
TRISMEGISTE : Et cela est la regeneration mon filz, sçavoir est, n’estre plus en un corps qui soit
mesuré et compassé de quantité. La cause pour laquelle i’ay declaré le mystere de la regeneration,
est de peur que ne fussions estimez calomniateurs du total, contre plusieurs que Dieu veux estre
telz, c’est, à dire mesdisans.
TATIUS : Respondez moy à cecy mon pere. Ce corps icy composé de ces divines puissances, ne se
dissoudra il point à quelque fois ?
TRISMEGISTE : Donne toy garde mon filz d’oser dire
Que Dieu requiert toujours l’homme semblable à Lui
ne proferer une autre fois telle parolle. Car premierement tu dis l’impossible, et erre totalement, et
avecques ce usans de telle demande, tu te prophanes es yeux de ton entendement de trop grande
irreligiosité. Il y a grande difference, entre le corps sensible de nature, et celuy de generation
essentiale. Car l’un est dissoluble, et l’autre indissoluble : l’un mortel, et l’autre immortel. Ignores
tu que tu ne sois né Dieu, et enfant de Dieu.
TAT : O’ pleust à Dieu, mon pere, que i’eusse entendu ceste analogie, que vous chantastes en forme
d’hymne, lors que i’estois ententif à un huictain, que i’entendois ailleurs chanter.
TRISMEGISTE : Ce a esté Pimander mon filz, qui a chanté ce huictain. Si tu l’eusses voulu ouyr, il
l’eust fallu te despouiller de cest umbrage corporel. Car luy qui est la pensée de la divine puissance,
est pur et net, et de tous vices reculé, qui est la cause qu’il requiert l’homme pareil à luy. Et croy,
qu’il ne m’a declaré autre chose, qui ce qui est escript, estimât bien que i’en chercherois le surplus
de moy mesme. Et en ce toutesfois qu’il m’a declaré, il m’a pareillement onhorté à bonnes oeuvres
et louables devoirs, dont luy convient de toutes mes vertus rendre loüanges, et action de graces.
TATIUS : I’ay gran vouloir d’ouyr et entendre cela, mon pere.
TRISMEGISTE : Repose toy, mon filz, repose toy, et te deportes un petit de parler
L’hymne de la régénération
parler, et tu orras maintenant une fort doulce et harmonieuse chanson, qui est l’hymne de la
regeneration. Laquelle iamais ainsi aisément ne te declareroys, si ie n’avois espoir, qu’elle te
profitast grandement. Car c’est un mystere qui ne se doit enseigner, mais plustost cacher et
maintenir en silence. Me voys tu bien mon trescher filz ? Prends garde à moy, et considere tout ce
que ie feray, ou que diray diligêment. Me voys tu faire ? Il fault pareillement quand tu voudras prier
et invoquer Dieu hors ta maison, et souz le ciel apert, le Soleil tendant au declin tourner ta face vers
le vent de midy, et quand il se lieve vers celuy d’Orient. Que la nature de tout le monde oye, et
entends le . Toutes eaux oyez le. Toutes forestz, donnez moy silence. Ie veux loüer et magnifier le
createur de toutes choses, lequel est tout, et si n’est qu’un. Oyez cieux, reposez voz ventz, et cessez
à souffler, et que le cercle de l’immortel Dieu exauce ceste mienne oraison. Ie chante maintenant et
loüe le createur de toutes choses, de la terre distributeur, du ceil ponderateur, qui commande l’eau
de la grand’mer Occeane s’espandre par tout, et retenir une douce saveur pour la nourriture des
hommes. Qui commande que le feu resplendisse lassus par l’oeuvre des dieux, et au soulas des
hommes. Rendons luy tous d’une voix
L’Oeil de l’entendement
voix et accord action de graces, qui tous les cieux surpasse, et est de nature createur. C’est luy qui
est l’oeil de l’entendement : c’est luy qui volontiers recevera (s’il luy plaist) la benediction et
loüange des puissances, et de la generation spirituelle. O’ doncques toutes mes forces louez celuy
qui n’est qu’un, et si est tout. Toutes les vertus de mon ame, acordez à ma volonté. O’ que c’est une
saincte cognoissance, mon Dieu, laquelle prend de toy sa clarté ! A’ cause que par toy o intelligible
lumiere, me convient chanter et magnifier le createur, ie m’esiouys de tous mon cueur et pensée.
Toutes mes puissances, chante avecques moy. Ma iustice, chate avecques moy, magnifie, et exalte le
iuste. L’union de mon corps et ame, Ie loüe d’un vouloir entier et parfaict. Que par moy verité
chante la verité. Que tout nostre bien, chante finablement le souverain bien.O’ vie, o lumiere, de toy
provient et descend sur nous toute benediction. Ie te rends graces, mon pere, qui es l’acte de toutes
puissances. Ie te rends graces, mon Dieu, qui es la puissance de tous actes. Ta parolle te loüe et
glorifie par moy. Par moy le monde reçoit les sacrifices de tes parolles. Mes forces et vertus ne
cryent ny ne chantent autre chose que cecy : elles chantent celuy qui est tout, et acomplissent ta
volonté. Laquelle aussi
Témoignages de Dieu par ses créatures
aussi soit de toy, et en toy faicte, qui es tout. Reçoy le sacrifice de bouche, qu’un chacun t’offre et
presente. O’ vie, sauve et garde tout ce qui est en moy. O’ lumiere, illumine tout ce qui est en moy.
L’esprit est Dieu. Ton verbe me conduyt, o createur, qui contiens et portes l’esprit. Tu es le seul
Dieu. Ta creature le testifie par le feu, par l’air, par l’eau, par la terre, par le vent, finablement par
tout ce que tu as faict et crée. Des adonc le commencement d’eternité i’ay trouvé benediction, ou
(que plus ie disire) le moyen de me reposer en ta volonté.
TAT : I’ay entendu vostre hymne mon pere, et ay congneu avoir esté de vous recitée d’une
merveilleuse affection, et provenante du profond du cueur, dont ay apris consequemment, et suis
parvenu à la cognoissance du monde.
TRISMEGISTE : Dis doncques du monde intelligible, mon filz.
TAT : Aini l’entends-ie mon pere. Car par vostre chanson mon entendement est si fort esclarcy, que
i’ay pareillement affectueux desir de chanter à Dieu loüange, comme vous.
TRISMEGISTE : O’ mon filz Tatius, ne chante, ie te supplie les loüanges divines sans certain
propos et affection.
TAT : Ie vous prometz mon pere de les chanter de tout mon cueur.
TRISMEGISTE : Ce que ie contemple, mon filz, ie te le declare, ainsi que ton pere et progeniteur.
TAT : I’offre doncques à Dieu tel sacrifice de bouche. O’ mon Dieu, qui es le pere
L’argument du quatorzième dialogue.
pere, le seigneur, l’entendement de toutes choses, reçoys le sacrifice de mes parolles, tel comme tu
le requiers et demandes de moy, et t’appartient estre faict. Car par ta seule volonté sont faictes et
accomplies toutes choses.
TRISMEGISTE : Offre tousiours à Dieu tel sacrifice mon filz, qui luy soit agreable, et sois ententif
à ton oraison.
TAT : Ie vous mercie mon pere, de ce qu’il vous plaist ainsi bien m’endoctriner, et advertir.
TRISMEGISTE : Ne doubte point que ie ne soys for ioyeux, mon filz, de te voir tant de biens
raporter de verité. Ce que certes font oeuvres immortelles. Apprenant doncques de moy telles
choses, ie veux que tu annocnes aux autres la vertu de silence, ne communiquant à nully le mystere
de la regeneration, doubtant que ne soyons reputez comme calomniateurs. Et de faict un chacun de
nous l’a à sufisance medité, moy premierement en te le declarant, et toy en l’apprenant, qui faict
que tu cognoisses maintenant toy et ton pere.
L’argument du quatorziesme Dialogue.
Le quatorziesme, dit que toutes choses, qui s’aperçoivent par le sens, sont faictes, et se font
continnuëllement. Car tout ainsi qu’elles dependent de celuy, qui comme tout puissant et eternel
Dieu domine sur toutes choses, aussi les soubstient il continuëllement, et les contregarde, de peur
qu’estans de leur nature aisées à cheute, ne deviennent à neât la seule cognoissance duquel faict
l’homme riche et bien heureux. Lequel Dieu, est le createur et pere de toutes choses, et toutes
choses sont ses creatures : de sorte qu’entre le createur et la creature ne peult estre moyen aucun
interposé : mais entre toutes choses universellement, n’y a que ces deux, à sçavoir est geniteur et
geniture. Il dit d’avantage que le mal ne despêd point de Dieu, non plus que la rouilleure du fer, du
ferrurier : ains que toutes choses crées ensuyvent leurs oeuvres. Finablement, par humaine industrie
il nous esleve, à comprendre la divine, disant que Dieu seme au ciel immortalité, en terre mutation
et changement des choses, et par tout le monde vie et mouvement.
L’EPILOGUE DE MERCURE, A’ Esculapius.
Dialogue XIIII
Pour autât que mon filz Tatius, toy, o Esculape, estant absent, à esté epris d’un impatient desir
d’apprendre la nature de toutes choses, et qu’il n’a peu souffir, ny endurer que ie differasse cecy à
autre et plus opportun temps, attendu que il est
L’épilogue de Mercure.
Il est encores ieune et nouveau apprentif, i’ay esté contrainct par son importune instance luy
declarer beaucoup de cas en particulier, faisant à la cognoissance d’une chacune d’elles, à celle fin
qu’il es apprinst et contemplast plus aisément. Mais il m’a semblé maintenant expedient d’epiloguer
sommairement avecques toy la precedent dispute, en recueillant de plusieurs choses que i’y ay
traitées, le meilleur et plus necessaire. Car ie peux bien avecques toy qui es usité, et entendu es
choses naturelles, les discourir succinctement par quelques mysteres. Premierement il faut sçavoir
que toues choses qui s’apperçoivent par le sens, ont esté faictes et crées, et se font continuëllement.
Car defaict tout ce qui est engendré, se fait non de soymesme, mais d’autruy. Nous voyons
pareillement que maintes choses crées s’apperçoivent par le sens une chacune à part elle, lesquelles
neantmoins sont entre elles differentes, et totallemêt dissemblables. Toutes choses engendrées donc
procedêt d’autruy. Et pour autant il faut qu’il y ait quelque facteur d’icelles, et qu’il soit incrée, à fin
qu’il soit plus ancien que ce qui est têporellement engendré et crée. Car nous avons ia dit, que tout
ce qui est engendré, procede, et depêd d’autruy. De maniere qu’entre ce qui est engendré ne peut riê
avoir qui soit plus anciê, que ce qui ne le fut oncques. Car ilest de necessité que le
Dieu a fait toutes oeuvres visibles afin d’être connu
facteur de ce soit plus puissant que cela, et que il soit unique, et seul, sçachant au vray et entendant
toues choses, attendu qu’il ny a rien qui aucunement le precede. Et ce à cause principallement qu’il
domine sur toute multitude, magnitude, continuation d’oeuvre, et sur la difference de toutes choses
engendrées. Consequemment pour ce qu’elles sont visibles, suposé qu’il soit invisible. Lesquelles
neantmoins fait ainsi visibles, à fin d’estre veu et cogneu par elles. Iamais doncques il ne cesse
d’oeuvrer. Ce que certainement est digne d’estre entendu, en l’entendant d’estre loüe, en le loüant
d’estimer heureux celuy qui ainsi recognoist son pere legitime. Car qui est la chose la plus douce, et
amyable qu’un pere legitime ? Qui est il celuy là ? Comment le trouverons nous ? Est il decent, luy
attribuer seulement le nom de Dieu ? ou seulement de facteur ? ou seulement de pere ? ou plus tost
tous les troys ensemble ? Il le fault doncques appeler Dieu, à cause de sa puissance : facteur pour
raison de son oeuvre : pere finablement, pour l’amour de bonté, laquelle à luy seul appartient. Car
aussi sa puissance est bien autre que celle des choses par luy faictes et crées. L’acte duquel consiste,
et s’apperçoit en l production de toutes choses. Parquoy la diversité, ou plus tost vanité, de tant de
parolles omise, fault en premier lieu considerer deux choses en
Deux choses à considérer pour entendre tout.
toutes, sçavoir est le createur et la creature entre lesquelz il n’y a rien interposé, n’autre chose en
tout et par tout ce qui est, et consiste. Quand doncques tu voudras entendre et sçavoir toutes choses,
recorde toy de ces deux, et te souvienne eux estre tout entierement ce que tu pourroys dire ou penser
universellement. Et en ce faisant, ne trouveras rien ambigu ne douteux es choses, tant superieures
que inferieures : tant divines, que humaines : tant patentes, que en celles lesquelles sont es tenebres
mussées.
Car ces deux cy geniteur et geniture, sont tout ce qui est, et qui consiste, sans se pouvoir l’un de
l’autre separer. Au moyen qu’il est impossible que l facture puisse estre sans le facteur, ne le facteur
sans la facture, à cause que l’un et l’autre, n’est autre chose que cela. Et par ce il n’est licite que l’un
soit de l’autre separé, ainsi que l’un ny l’autre de soy mesme. Car si ainsi est que la chose agente,
n’est autre que celle qui age (car defaict elle est simple) tout ainsi qu’elle est tousiours, aussi est elle
tousiours agente, et quât à soy tousiours semblable, sans aucune variatiô, soit en consistant, soit en
oeuvrant. Or entre tout ce qui est engendré, il n’y a rien qui le soit de soy mesme : qui faict que
loeuvre ne puisse estre à part et séparée de son ouvrier. De sorte que celuy qui soubtrairoit l’un,
perdroit l’autre : au moyen que la nature de l’un, regarde tousiours
L’oeuvre de Dieu est sa seule gloire.
la propre nature de l’autre. Si doncques ces deux cy, sçavoir est ce qui faict, et ce qui a esté faict,
c’est-à-dire, l’ouvrier et l’oeuvre sont concedez, il faut pareillement dire qu’ilz sont ensemble unys
et conioinctz : en telle sorte neantmoins que l’un precede, et l’autre ensuyve, dont le precedent est
Dieu l’excellent et parfait ouvrier, et l’ensuyvent est son oeuvre, quoy que ce soit. Et si ne fault que
nul se deffie de ce qu’avons dit, estonné de la diversité des choses, comme si leur ordre et
côstruction tant diverse fust difficile à Dieu, et mal seante et indigne de sa divine maiesté. Car la
facture et constitution de toutes choses, est la seule gloire de Dieu, ne plus ne moins que quelque
corps representatif de son image et figure. Duquel certes parfait et excellent facteur, ne provient
aucun mal, ne vilenie. Car toutes telles passions sont suyvantes toues les oeuvres par luy faites et
crées, ainsi côme la rouilleure ensuyt l’arain, et le lymon les corps animez. Et tout ainsi que nous
voyôs que le serrurier ou mareschal n’induit point la rouilleure, ne le geniteur du corps anime, la
bouë et saleté, qui adhere à ce qu’il fait : au cas pareil dieu n’induyt le mal aucunement. Mais la
continuation et perseverance de generation, contrainct peu à peu le mal venir en avant, ce qui est la
cause pourquoy a ordonné Dieu mutation et changement à toutes choses, comme quelque purgation
Bel argument pour prouver que Dieu peut tout.
de ceste generation. En outre il est a un et mesme peintre loysible de figurer, et pourtraire tant et si
diverses choses, comme le ciel, la terre, la mer, les dieux, les hommes, les bestes brutes, les arbres,
et toutes autres choses vivantes : et dirons nous que la puissance de ce fera aun seul Dieu denyée ?
O l’homme trop fol, et deproueu d’entendement ! O’ l’hôme aveuglé, et sans aucune cognoissance
divine, qui croyroit, et voudroit dire, ou penser cela ! Il ne peult à un homme chose plus ridicule
eschoir, mon amy Esculape, que d’estre si impudent, si effrené, si destourné de bonne raison, que de
vouloir telle chose asseurer. Car en côfessant foy honorer et reverer Dieu, en ce qu’il le delivre de
l’affaire et soing de créer, il ignore Dieu totallement. Et qui pis est à luy impute telles ou semblables
passions qu’aux hommes, comme ennuye, orgueil ignorance, imbecillité. Car si Dieu (dit il) ne fait
toutes choses, il est superbe et orgueilleux, ou plus tost imbecille, desquelz l’un et l’uatre, est plein
de toue meschâceté, au moyen que Dieu n’a qu’une seule et propre nature, qui est souveraine bôté.
Or est il, que ce qui est bon ne peut nullement estre superbe, ne imbecille, ne impotent. Mais ce
bien, n’est autre chose que Dieu. C’est luy, qui est la force et vertu, de tout ce qui se faict. Tout ce
qui est engêdré, est de Dieu engendré, c’est-à-dire, de ce souverain bien, et
Belle similitude pour connaitre les faits de Dieu.
de celuy qui peut toutes choses. Prends garde, ie te prye, comme premierement il les fait :
consequemment comme elles se font. Ce que si as vouloir de comprendre, il te fault diligemment
entendre une evidente raison comme une tres belle image, et fort semblable et acordante au propos
que nous traictons. Regarde ie te prie, un laboureur comment il espand çà et là les semences au
giron de la terre, en lieu du forment, en un autre de l’orge, et consequemment en divers lieux
plusieurs autre semences. Regardes le pareillement hover, biner, et railler les vignes, pommiers, et
figuiers. En ceste sorte aussi, Dieu seme au ciel immortalité, en la terre changement des choses : en
tout le monde finablement vie et mouvement. Tout cecy n’est pas grand-chose atendu qu’il est
determiné d’un certain nombre. Toutes choses doncques (pour conclusion) se raportent et se
reduysent à quatre, estans toues comprises par ces deux, à sçavoir Dieu et generation.
Fin du premier livre de Mercure Trismegiste, De la et puissance sapience, de Dieu.
Second livre, la Volonté de Dieu
LE SECOND LIVRE DE MERCURE TRISMEGISTE, intitulé de la volonté de Dieu.
L’argument du premier chapitre.
En ce premier chapitre, Mercure monstre que toutes choses apartiennent à un, pour autant qu’elles
ne procedent que d’un : et qu’elles ne sont qu’un à cause que par un elles sont toutes faictes et
crées. Il dit en apres, que toute ame humaine est immortelle, de diverse sorte toutesfois et condition.
Itent que tout ce qui descend du ciel, cause generation, et ce qui monte en hault, donne vie, disant
qu’iceluy un, à qui toues choses appartiennent, et qui est tout, meut le monde avecques toutes ses
formes et especes. D’avantage qu’il y a quatre choses, dont est faict et composé le monde, et dont il
prend nourriture et croissance, sçavoir est, le feu, l’air, l’eau, et la terre. Et tout ainsi que les corps
du monde n’en ont qu’un, aussi pareillemêt que les formes et especes de toutes choses, n’en sont
qu’une, les ayant toutes en soy, ce qu’il appelle l’ame du môde, qui faict que tout le monde n’ayt
qu’un corps, ayant en soy toutes formes et especes. De maniere qu’il n’y a (à son dire) en tout et
partout, que ces quatre, un corps, une ame, un monde, un Dieu. Par
Le souverain Bien qui est Dieu.
Par lequel Dieu, divine raison et le Verbe divin à la semblable d’un fleuve courant violemment d’un
hault lieu en une pleine, passe et coule par tout, donnant à toutes choses son influence. Par laquelle
divine raison et verbe divin, n’est autre chose entendu, que la divine sapience, laquelle a tout fait et
fabriqué, et (comme dit le sage) est trop plus mobile que toutes choses mobiles, et estant seule, a
tout en sa puissance, et se maintenant tousiours en soy, sans variation aucune, renouvellant toutes
choses. Voylà le contenu de la premiere particule.
Chapitre premier.
Il me semble, quand ie voy Asclepius, veoir le Soleil. Ie cuyde, o Asclepe, que Dieu t’a maintenant
icy amené, pour assister à ce divin traicté, que i’ay proposé dire à present : voire qui à bon droict est
trop plus divin, que ce qu’avons traicté au dessus, ou plus tost, que ce qui nous a esté divinement de
grace specialle inspiré. Lequel certes si tu peux ouyr et entendre, tu seras, selon ton souhait, remply
de tous biens : si toutesfoys il y en a plusieurs, et non un seul, auquel sont et consistent toutes
choses. Car il se cognoist par vive raison l’un ou l’autre s’acorder sçavoir est, toutes choses à un appartenir, ou un estre
Le présent traité de Mercure.
toutes : au moyen que l’un est en telle sorte à l’autre lyé et conioinct, qu’ilz ne se peuvêt l’un de
l’autre separer. Mais ie te donneray plus apertement cecy à cognoistre, par le propos que nous
aurons cy apres. Entre doncques, Asclepe, un peu plus avant, et apelle celuy que bon te semblera
pour icy assister, et nous faire compagnie. Estant doncques Esculape entré il luy a ramentu de
permettre, que Ammon y assistast. A’ quoy fit responce Trismegiste, qu’il ny avoit rien qui peust
empescher, que Ammon n’y vint, et ne leur feist compagnie. A’ cause principallement (dit il) qu’il
me souvient avoir escript maintz livres et traictez en son nom, comme à mon tres cher et aymé filz,
et entre autres plusieurs choses de Phisique, et autres peregrines sciences. Quant à ce present traicté,
ie ne veux qu’il soit dedié à autre qu’à toy, pour la singuliere amytié que ie te porte. Au reste ie te
supplye n’apeller icy aucun autre que Ammon, craignant que ce tant religieux, et devot propos, que
nous aurons maintenant ensemble contenant de si haulz mysteres, ne soit violé par la survenance de
quelques autres. Au moyen, que c’est le faict d’un homme impitoyable et demesuré, de divulguer un
tel traicté ainsi accomply de divine maiesté, à la conscience de plusieurs. Apres doncques que
Ammon est entré au
Mercure et les secrets de Dieu.
conclave et les autres avecques luy, et que ceste devote assemblée de ces quatre personnes : à
sçavoir, Asclepius, Ammon, Tatius, et Mercure, servante et embrasée d’amour divin, a esté
complecte, et qu’ilz ont fait tous silence competant, les espritz d’un chacun d’eux pendans et
ententifz, le divin Cupido a ainsi cômence à dire par la bouche d’Hermes. O’ Asclepe mon amy, il
fault avant toutes choses sçavoir et entendre, que encore que toutes ames humaines soit immortelles,
toutesfois qu’elles ne le sont toutes, de mesme sorte et condition : mais les unes d’autre maniere, et
par autre temps les autes.
ASCLEPIUS : Car aussi Trismegiste toute ame n’est pas de mesme et semblable qualité.
TRISMEGISTE : O’ que tu es, Asclepe soudain venu à la vraye intelligence de raison. Car aussi
n’ay-ie pas dit, toutes choses n’estre qu’une, et une estre toutes, pour ce qu’elles estoient en
l’entendement du createur premier qu’il les fist et creast. Et non sans cause il est dit estre toutes
choses, puis que toutes choses sont ses membres. Qu’il te souvienne donc par toute ceste presente
dispute de celuy, qui est luy seul toutes choses, ou qui est d’icelle createur. Premierement il te fault
sçavoir que tout ce qui descend en terre, en l’eau, ou en l’air, vient du ciel. Le feu pour ce qu’il est
porté contre hault, seulement vivifie, et ce qui est en bas, luy est essubiety. Mais ce qui descend
Dieu meut l’âme et le monde ainsi que tout.
de hault en bas, cause generation : et ce qui monte de bas en hault, nourriture et vie. La terre seule
consistant en soy-mesme, est susceptible de toutes choses lesquelles puis apres rêd, une chacune en
son genre et degré. Par ce total doncques, auquel avons dit un peu au dessus (si t’en souvient) toutes
choses appartenir, et estre d’elles createur, sont agitez l’ame et le monde, comprins de nature,
tellement toutesfois diversifiez de qualité de diverses sortes d’images que l’on cognoist leurs
especes par la difference de leurs qualitez, estre innumerables et infinies. Lesquelles especes
neantmoins, sont assemblées et coniointes les unes aux autres, à ceste seule fin et intention, que
toutes chose soit veuë et cogneuë n’estre qu’une, et d’elle seule toutes choses proceder. Les elemens
doncques, desquelz est tout le monde formé, sont au nombre de quatre, à sçavoir, le feu, l’eau, la
terre, et l’air. Un monde, une ame, un Dieu. Or sois maintenant à moy ententif de ton pouvoir, et
industrie. Car la divine raison de divinité, qui doit avecques intention du sens interieur, et soigneuse
advertance estre cogneuë, est accomparagée à un fleuve ardent, courât avecques grande violence, de
quelque hault lieu en une plaine. Qui fait que ceste divine raison surpasse souventesfois, avecques
merveilleuse soudaineté l’intention, non seulement de ceux qui l’oyent, mais de ceux aussi qui traitent d’elle.
L’argument du second chapitre.
Pour avoir la vraye, et saine intelligence de ce chapitre, et des autres ensuyvans, il fault sçavoir en
premier lieu, que Mercure use bien autrement de ce mot animal, et de ce vocable ame, que n’avons
coustume d’user. Car au second dialogue de Pimander, il diffinit l’ame par son mouvement, et ce
mot animal au sequent chapitre par l’ame et le corps. Parquoy tout ce qui a vertu motrice (comme
par sa forme de parler on peult recueillir) à pareillement ame, et tout ce qui a corps et ame, est
animal. Le ciel doncques est animal, le monde semblablement, les plantes, et elemens. Mais nostre
coustume, est d’appeler seulement animal, ce qui a corps animé sensitif. Et non seulement nous
difinions l’ame par son mouvement : mais aussi par sa vie, par son sens, par son liberal mouvement,
ou intelligence. Toutes et quantesfois doncques, que nous le trouverons avoir usurper ceste diction
animal, d’autre façon que ne faisons communément, entendons que c’est sa maniere de parler. Mais
venons au sommaire du chapitre. Il fait premierement conference du ciel et de tout corps celeste, à
toutes autres choses sensibles, comme toutesfois le Dieu sensible : ainsi que l’homme à tous autres
animaux, comme neantmoins le Dieu animans. En ce qu’il dit Dieu estre le Recteur ou gouverneur
de toutes choses qui sont au monde, ie cuyde qu’il ne veult autre choses, et les dispense par tous
genres et especes, desquelz le monde en est receptable, en donnant à chacun, comme à un apte et
idoine instrument, quelque don special : comme le Soleil, et la Lune, sont les organes de divinité,
pour la clarté et tenebres de toutes choses, et pour leurs accroissemens et diminutions : et comme il
dispense et gouverne les hommes par les Anges, et les brutaux par les hommes. Mais au regard de
ce qu’il dit des diables, que les especes ne recoivent figure sans leur ayde. Et aucuns avoir adheré au
genre divin, et estre par quelque proximité semblables aux dieux, et les autres avoir perseveré en la
qualité de leur genre, aymans la condition humaine, nous sçavons des sainctes lettres que les Anges,
qui ne garderent leur principauté et seigneurie : mais laisserent leur domicille, estre reservez au
iugement du haut Dieu, es prisons eternelles souz les tenebres. Lesquelz combien qu’ilz facent
semblant d’aymer les hommes, si toutesfois ne les ayment ilz point, ainçois les attirent à toute ruyne
et malheur. Ce qu’ilz ont fait des adonc le commencement. Car dissimulans aymer l’homme, en luy
procurant la mort, disoient : vous ne mourrez iamais, ains serez comme Dieux, sçachans bien et
mal. Ce qu’il dit doncques des diables, il semble ne se pouvoir bonnement tirer à saine intelligence,
ains suyvre l’erreur des Gentilz, et Payens. Toutesfois quant es hommes, qui adherent à Dieu, nous
ne voudrions nyer, mais franchement confesser, devenir divins : comme au contraire ceux qui
adherent aux diables, estre d’avecques eux, lesquelz (comme il est dit) sont reservez au iugement du
hault Dieu, à perpetuelles prisons. Car nous sçavons avoir esté de la bouche de Dieu prononcé, qu’il
dira au iour du iugement à ceux qui seront à sa fenestre : Retirez vous arriere de moy mauditz de
Dieu mon pere, et vous en allez au feu eternel, qui est au diable et à ses anges preparé. Lesquelz ne
faut estimer estre autres, que ceux qui se r’allient des diables en ce monde.
Dialogue II
Le ciel doncques Dieu sensible, est l’administrateur et gouverneur des corps : sur l’augmentation ou
diminution desquelz, ont la préeminence et disposition le Soleil, et la Lune. Mais le grand
gouverneur du ciel et de l’ame, et de tout ce qui est au monde, n’est autre que Dieu le facteur de
toutes choses. Car par les choses susdites (desquelles en est le supreme moderateur) est portée sa
continuëlle et copieuse influence par
Le Monde organe de Dieu
par tout le monde, et par l’ame de tous generts, et toutes especes, et finablement par la nature de
toutes choses. Mais le monde a esté de luy faict et preparé, à ceste cause qu’il fust le receptacle de
toues manieres d’especes. Lequel Dieu irant au vif et representant nature par une chacune desdites
especes, a attiré le monde iusques au ciel par les quatre elemens, à celle fin que toutes choses
fussent plaisantes à son regard. Or tout ce qui pend de lassus en bas, est en especes divisé, en la
façon que ie diray. En premier lieu les genres de toutes choses suyvent leurs especes, en sorte que la
totalité ou solidité soit le genre, et une particule du genre, l’espece. Le genre doncques des dieux, et
des diables, ensemble des hommes, et des oyseaux, et de toues autres choses que le môde contiêt en
soy, n’engendre especes, qu’elles ne soient semblables à luy. Il y a un autre genre d’animal, lequel
posé qu’il soit sans ame, si n’est il point neatmoins privé de sens. Ce que s’apperçoit en ce qu’il se
delecte, quand on luy faict quelque bien : au contraire se diminuë et corrompt, quand on luy faict
quelque tort, ou qu’il luy advient quelque infortuen. I’entends dire de tout ce qui en terre vit et
croist, par la force et vigueur des racines et gettons, et dont les especes sont par toute la terre
espanduës. Quand au ciel, il est remply de Dieu. Mais les susditz genres demeurent, es lieux
L’homme mortel, l’humanité immortelle.
des especes de toutes les choses, qui sont immortelles. Car espece est une partie du genre ainsi que
l’homme d’humanité, laquelle ensuyt de necessité la qualité de son genre. Dont se faict qu’encore
que tous genres soient immortelz, ce neantmoins, toutes especes ne sont pas immortelles. Car le
genre de dvinité, est avec ses especes immortel. Mais iaçoit que les genres de toutes autres choses,
qui ont eternité pour leur genre, semblent mourir par leurs especes, si est ce toutesfois que ledit
genre est tousiours conservé et gardé en son integrité, par la fecondité de naistre. Et pourtant les
especes sont mortelles, ainsi que nous voyons que l’homme est mortel : combien que humanité soit
immortelle. Les especes neantmoins de tous genres, se meslent avecques leurs genres. Desquelles
les aucunes sont faictes avant les autres, les autres dependent et proviennent de celles cy. Mais
celles qui se font des dieux, ou des diables, ou des hommes, se font toutes semblables à leurs
genres. Car tout ainsi qu’il est impossible, que les corps reçoivent aucune forme sans la puissance et
vouloir divien : aussi est il impossible que les especes reçoivent figures, sans l’ayde des diables : ne
plu ne moins que les bestes ne peuvent estre instituées, honorées, et reverées sans le moyen des
hômes. Parquoy tous diables tombans de leur genre, qui se fait par
La diversité des hommes
Cas d’adventure conioints à quelque espece par la proximité et alliance de quelque une du genre,
divin, sont estimez semblables aux dieux. Mais ceux desquelz les especes perseverent, au moyen de
la qualité de leur genre, estans amoureux de condition humaine, sont appellez diables. Telles est
aussi l’espece des hommes, ou encore plus ample. Car l’espece de l’humain genre, est variable et de
diverses sortes et façons. De maniere qu’elle venant d’en hault, de la compagnie devant dicte, faict
maintes conionctiôs avecques toutes autres especes, et presques avecques toutes choses, par fatalle
necessité. Et à ceste cause celuy approche des dieux, lequel par religion et pieté divine, s’allie
avecques eux d’entendment et pensée, par laquelle st à eux conioinct. Au contraire, qui des diables
s’adioinct, se faict à eux semblable. Mais ceux sont humains, qui se contentent de la mediocrité de
leur genre. Quant aux especes de toutes autres choses, elles sont communément semblables àceux,
aux especes du genre desquelz elles s’adioignent et r’allient.
L’argument du troisième chapitre.
En ce troisiesme, Mercure extolle à merveilles la dignité de l’homme, au moyen de laquelle doit
estre sur toutes choses recogneu autheur de tant de biens, ayme d’affectueux amour, loué
finablement de perpetuelle action de graces, de l’avoir doué de tant et si excellens dons. Car (come
il luy plaist dire) l’homme a esté de Dieu faict et crée, à fin d’heriter divine nature, et en elle se
transformer, en côgnoissant le genre des hommes et des Anges. Il dit qu’il est crée ensemble
avecques eux, les ayant des adôcques sa naissance pour ses guydes, et obtenant une nature
prochaine des choses immortelles, marquée et cachetée, du marq de Dieu. Et est composé d’une part
mortel, et d’autre immortel, l’une terrienne, et l’autre celeste. Mais rememorant les dons et graces
de divinité, il mesprise celle qui est terrienne, ayant son appuy sur la celeste et immortelle. Il
souspire apres le ciel et le regrette : pour ce que par sa meilleure partie, se sen de la voir sa propre
affinité, et naturelle alliance. Estant toutesfois mis au mylieu du monde, il s’allie avecques soy par
le lien de charité toutes les choses, esquelles se cogoist par l’ordonnance divine estre necessaire, à
fin qu’en aymant ce qui est à luy inférieur, soit aymé des choses supérieures. Il dit en outre que
entre tous animaux, Dieu seulement aorne et illustre les sens humains, pour avoir l’intelligence de la
divine raison, et que l’intelligence que nous avons, nous est donnée de Dieu, à fin de le recognoistre
et faire sa volonté, et ceste intelligence est la partie de l’homme celeste et immortelle, et qu’elle
surpasse la nature de toutes les choses de ce monde,
L’excellence et dignité de l’homme.
combien qu’il y en a, qui par deffault d’entendemêt ne suyvent que la mondaine, sensuelle, et
ombrageuse image de ceste divine intelligence. Laquelle n’engendre en leur esprit autre chose, que
malice, en transformât l’homme, qui est de sa nature le bon et divin animal, en nature et meurs de
bestes sauvages. Mais ceux qui parfaictement l’entendent, sont heureux, pour autant que par devote
intention d’esprit sont en Dieu continuëllement transportez et raviz.
Chapitre III.
Pour ceste cause il fault conclure, o Asclepe, que c’est un grand et esmerveillable cas que l’hoôme,
et un animal digne de tout honneur et reverence. Car c’est celuy, qui se transforme en nature divine,
comme si c’estoit un Dieu. C’est celuy, qui cognoist le genre des Anges, à cause qu’il se cognoist
avoir eu sa naissance ensemble avecques eux. C’est celuy, qui se cognoissant estre de double nature
composé, desprise en soy mesme celle qui est humaine, estant appuyé sur la divinité de l’autre. O
que heureusement donques, est la nature des hommes temperée, et combien est excellente, et
approchante de celle des dieux ! L’homme ainsi conioinct à divinité,
Charité de l’homme.
non seulement contemne dedans soy la partie dont est terrien : mais aussi r’allie avecques soy du
lien de charité toues les autres choses, aux quelles se cognoist estre necessaire, par l’ordonnance
celeste, dont vient qu’il contemple le ciel. Il est doncques mis et constitué en l’heureux lieu de
medieté, à fin d’aymer ce qui est à luy inferieur, et estre aymé de ce qui est à luy superieur. Et
combien qu’il habite en terre, si est-ce neantmoins, qu’il se mesle avecques les elemens par sa
soudaineté, et descend es abismes et profonditez de la mer, par la subtilité de son entendement.
Toutes choses luy luisent : ny le ciel mesme luy semble estre haut, au moyê qu’il le côtemple,
comme s’il estoit pres de luy. Nulle obscurité d’air, ne confont l’intention de son entendement.
L’espesseur et massisveté de la terre, ne peut empescher son affection, comme ny la profondeur de
l’eau, estonner son aspect. Il est toutes choses, et en tous lieux tout un. Tous animaux, qui à tous ces
genres cy apartiennent, ont leurs racines venans de haulz en bas. Mais celles de tous autres qui sont
sans ame raisonnable, frondoient de bas en hault.
Entre lesquelles, aucunes y a, qui sont nourries de doubles alimens, les autres de simples. Les
aliments desquelz consistent tous humains, sont le corps et l’ame. Quant à l’ame du monde, elle est
tousiours nourrie, par son mouvement continuël.
Toutes choses sont pleines d’esprit.
Mais les corps, prennent leur augmentation et accroissement de l’eau, et de la terre, qui sont les
alimens du monde inferieur. Toutes choses semblablement sont pleines d’esprit, lequel estant
avecques elles meslé, les vivifie : le sens outre ce adioinct à l’intellignece de l’hême. qu’il a sur
toutes autres creatures. Ce qui est la quinte essence, seulement à l’homme concedée du ciel.
Laquelle sur tous animaux anoblist, illustre, et esclarcist les sens humains, à fin de leur donner
intelligence de divine raison. Mais à l’ocasion qu’il me convient à present traiter du sens, ie vous
exposeray puis apres la raison de ceste quinte essence. Car elle est fort divine, et de fort grande
excellence, et non moindre que celle mesme qui apartient à divinité. Mais maintenant ie vous veux
expedier ce qu’avoirs commencé. Or traictoys-ie au commencement de la conionction et affinité
qu’ont les hommes avecques les dieux, sçavoir est comme l’homme seulement entre toutes autres
creatures, iouist de leur dignité et excellence. Et de faict ceux qui se sont trouvez si heureux, d’avoir
obtenu ce divin sens d’intelligence, ont pareillement aisement entendu, qu’il n’y a sens plus divin,
que celuy qui est un seul Dieu, et en l’humaine intelligence.
ASCLEPIUS : Comment cela Trismegiste. Et le sens de tous hommes n’est il pas esgal ? ou de
mesme sorte et façon ?
TRISMEGISTE : Non, o Asclepe,
L’homme de double nature.
A cause que etous n’obtiennent pas la vraye et parfaicte intelligence des choses : mais ne suyvent
seulement que son image, avecques une temeraire et oultrecuydée impetuosité, sans avoir esgard à
la vraye raison, tellement qu’ilz sont totallement abusez. Laquelle image n’engendre es cueurs des
hommes autre chose que malice, en transformant ce bon et excellent animal, en nature des bestes
sauvages. Quant au sens et toutes choses sensuelles, ie vous en donneray l’entiere raison, quand ie
viendray à parler de l’esprit. L’homme donques seul entre tous animaux est double, duquel lune
partie est simple, que nous appellons communément forme de divine semblance. Et l’autre que nous
nommons mondaine, est en quatre divisée, dont est faict et proportionné le corps, par lequel est
environné et de toues parts couvert ce qui est en l’homme divin (dont avons traicté au dessus) à fin
que ceste divinité d’entendement, se repose avecques ses cousins et alliez, c’est-à-dire, avecques les
sens de pure et nette pensée, comme close et remparée, du meur de ce corps.